Le droit à rectification des observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes

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Décision de justice

TA Nîmes, 1e chambre – N° 2203333 – Syndicat des eaux de la région Rhône Aygues Ouvèze – 17 décembre 2024 – C

Juridiction : TA Nîmes

Numéro de la décision : 2203333

Date de la décision : 17 décembre 2024

Code de publication : C

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Procédure

Textes

Résumé

Il appartient à la chambre régionale des comptes d’examiner l’ensemble des allégations contenues dans la demande de rectification et de leur donner la suite qu’elle estime convenable. La décision par laquelle la chambre régionale des comptes, soit refuse d’apporter la rectification demandée, soit ne donne que partiellement satisfaction à la demande, est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Saisi d’un tel recours, le juge administratif peut contrôler la régularité de la procédure suivie et vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n’est pas entachée d’une méconnaissance, par la chambre régionale, de l’étendue de son pouvoir de rectification. Il ne lui appartient pas, en revanche, eu égard à l’objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives des chambres régionales des comptes, de se prononcer sur le bien‑fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l’appréciation qu’elle a portée, dans le cadre des attributions qui lui sont données par la loi, sur la gestion de la collectivité ou de l’organisme en cause.

En l’espèce, aucune des erreurs matérielles alléguées n’est établie et le moyen fondé sur l’existence d’erreurs d’appréciation est écarté comme inopérant

54 Procédure

54-07 Pouvoirs et devoirs du juge

54-07-02 Contrôle du juge de l’excès de pouvoir

54-07-02-01 Appréciations échappant au contrôle du juge

Notes - références

Cf. Conseil d’État, avis, Section, 15 juillet 2004, Chabert, n° 267415, A - Rec. p. 339

Cf. cour administrative d’appel de Toulouse, 10 octobre 2024, société Econotre, n° 23TL02829, C+

Le droit à rectification des observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes

Leïla Farah

Doctorante en droit public, université de Perpignan Via Domitia, ED 544 (CDED Yves-Serra)

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DOI : 10.35562/ajamont.283

L’examen, par le tribunal administratif de Nîmes, de la requête introduite le 4 novembre 2022 par le syndicat intercommunal des eaux de la région Rhône-Aygues-Ouvèze (RAO) illustre les enjeux nombreux qui entourent la formalisation et la portée des actes émis par le juge des comptes. Dirigée contre le refus opposé le 21 juin 2022, par le président de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), de rectifier le rapport d’observations définitives adopté à l’issue de l’examen de la gestion de l’établissement public, la requête visait à en obtenir l’annulation, assortie d’une injonction tendant au réexamen de la demande en rectification. Par sa décision de rejet prononcée le 17 décembre 2024, la juridiction administrative de Nîmes revient sur la spécificité du contrôle opéré par le juge administratif en soulignant les contours du droit à la rectification des observations définitives dont disposent « les dirigeants des personnes morales contrôlées ou toute autre personne nominativement ou explicitement mise en cause »1.

Avant que n’intervienne sa consécration législative en 2001, le droit de rectification des observations définitives formulées par les chambres régionales des comptes à l’issue de l’examen de la gestion des organismes relevant de leur compétence a été le fruit d’une solution prétorienne2. Écartant la justiciabilité des rapports d’observations définitives3, le juge administratif va considérer que tel ne sera pas le cas des décisions portant refus total ou partiel de les rectifier : ces décisions faisant grief seront soumises à la censure du juge de l’excès de pouvoir4. Le cadre de ce recours et le contrôle juridictionnel susceptible d’intervenir à cette occasion, seront alors définis par le Conseil d’État suivant un avis Chabert intervenu en 2004. Le juge administratif pourra « contrôler la régularité de la procédure suivie, […] vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n’est pas entachée d’une méconnaissance, par la chambre régionale, de l’étendue de son pouvoir de rectification ». Une limite est posée :

« Il ne lui appartient pas, en revanche, eu égard à l’objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives des chambres régionales des comptes, de se prononcer sur le bien‑fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l’appréciation qu’elle a portée (…) sur la gestion de la collectivité ou de l’organisme en cause »5.

Le contrôle opéré par le tribunal administratif de Nîmes rejoint donc pleinement le cadre dégagé par l’avis Chabert (§ 5) ainsi que les jurisprudences qui en reprennent uniformément les termes6.

Contredisant la matérialité de certains faits relevés dans le rapport d’observations définitives adopté par la chambre régionale des comptes de PACA et l’appréciation qui en résultait, le syndicat RAO demandait la rectification de plusieurs mentions relatives aux conditions de passation de marchés publics et au contrôle, par cet établissement, de leur exécution (§ 6 à § 12). Conformément à son office, le juge administratif s’est donc limité à vérifier la réalité des faits énoncés par la chambre, sans jamais entrer sur le terrain de l’appréciation portée par celle-ci (§ 12). La nature « particulièrement limitée » de ce contrôle découle de la spécificité des missions exercées par les chambres régionales des comptes7, dont le juge administratif rappelle les principaux ressorts à l’appui des articles L. 211-3 et L. 211-4 du Code des juridictions financières (§ 1 à § 3), avant d’énoncer les dispositions régissant la procédure de rectification des observations définitives (§ 4)8. Une limitation de l’office du juge qui a pu questionner « l’intérêt » de ce recours en excès de pouvoir que la permanence des débats autour de l’injusticiabilité des observations définitives semble traduire9.

La décision rendue par la juridiction administrative de Nîmes est autrement singulière. Par la confrontation explicite des observations définitives dont la rectification est demandée, avec les moyens soutenus par le requérant, compte tenu des éléments soumis à son appréciation, le juge livre ici la grille de lecture appliquée lors de son contrôle. Ce faisant, il éclaire davantage les contours du droit à la rectification des observations définitives et par conséquent, l’étendue du pouvoir de rectification du juge financier lesquels ont reçu des précisions en 201910.

Pour critiquer le refus de rectifier le rapport d’observations définitives au terme duquel le président du syndicat RAO était intervenu dans le classement et la sélection d’entreprises candidates aux marchés publics considérés (§ 6 et § 8), l’établissement soulevait l’existence de plusieurs inexactitudes matérielles. Ainsi en était-il d’un écart de notation entre deux candidats qui, d’après le syndicat intercommunal, était supérieur à celui relevé par la chambre (§ 7). Or, la notation observée par le juge des comptes s’appuyait sur le rapport d’analyse des offres dont il avait reçu communication ; quand la notation soutenue par le requérant, bien que constatée par le juge administratif, se fondait sur un document qui n’avait pas été utilement transmis à la chambre. Le syndicat RAO s’étant abstenu, sans le contester par ailleurs, de communiquer la pièce démontrant l’écart de notation litigieux tant au moment de l’examen de gestion, qu’« en réponse à la transmission [des] observations définitives » ; le juge ayant aussi relevé, que le demandeur n’avait aucunement « contesté l’inexactitude de cet écart dans sa réclamation » (§ 7).

S’agissant d’une décision juridictionnelle, la recevabilité du recours en erreur matérielle est subordonnée à ce que l’erreur ne soit pas imputable au requérant11. Le principe apparaît transposé aux recours formés contre les décisions ayant refusé, totalement ou partiellement, de rectifier les observations définitives adoptées par les chambres régionales des comptes dans le cadre de l’examen de gestion.

Outre l’obligation de communication de « tous documents, données et traitements » pesant sur les organismes contrôlés12, il a été jugé, sur le fondement de l’article R. 243-21 précité, qu’un requérant « ne conteste pas utilement le motif de refus qui lui a été opposé par la chambre régionale des comptes […] », lorsque celui-ci soulève « un élément nouveau qui ne pouvait être pris en considération lors du délibéré de la chambre sur les observations définitives »13.

Si les discussions autour de la portée des observations et des recommandations formulées par les chambres régionales des comptes ne sont guère épuisées, le juge des comptes démontre aussi, qu’à son ouvrage, il faisait invariablement sien les mots de Boileau : « Vingt-fois sur le métier… »14. Et le juge administratif de réaffirmer, par cette décision, que sans être « censeur »15 de l’office des chambres régionales des comptes, il en régule16 et en préserve les contours.

Notes

1 Code des juridictions financières, L. 243-10. Retour au texte

2 Damarey, Stéphanie, « Chambres régionales et territoriales des comptes », Répertoire de contentieux administratif, Dalloz. 2015, § 918. CE, sect., 12 févr. 1993, Mme Gaillard, nº 83814 ; Hecquard-Théron, Maryvonne, « Compétence du Conseil d’État en premier ressort pour connaître des recours pour excès de pouvoir relatifs aux compétences non juridictionnelles de la Cour des comptes », AJDA, nº 9, 1993, p. 665 ; Weil Laurence, « Tout intéressé est recevable à demander à connaître les mentions le mettant en cause dans les rapports provisoires ou intermédiaires de la Cour des comptes », D., nº 10, 1994, p. 121 ; loi nº 2001-1248 du 21 déc. 2001. Retour au texte

3 CE, 8 fév. 1999, Cne de La Ciotat, nº 169047. Retour au texte

4 TA Marseille, 29 avr. 1997, Cne Fos-sur-Mer ; Dr. adm., juin 1997, nº 205, p. 16, note Benjamin. Retour au texte

5 CE, sect., avis, 15 juill. 2004, Chabert, nº 267415 ; Concl. Lamy, Francis, « Le contrôle juridictionnel des rectifications d’observations définitives opéré par les chambres régionales des comptes », RFDA, nº 5, 2004, p. 884 ; Landais, Claire et Lenica, Frédéric, « La rectification de leurs observations définitives par les chambres régionales des comptes », AJDA, nº 31, 2004, p. 1705. Retour au texte

6 CAA Marseille, 22 janv. 2007, nº 04M400876 ; CAA Marseille, 22 janv. 2007, nº 04M400871 ; CAA Marseille, 7 avr. 2009, nº 06MA01875 ; CAA Marseille, 12 déc. 2023, nº 21MA03704. Retour au texte

7 CAA Toulouse, 10 oct. 2024, Société Econotre, n° 23TL02829 ; Pauliat, Hélène, « Rapport d’observations définitives d’une chambre régionale des comptes : pas de recours contentieux direct ! », JCP A, 2025, nº 10-11, 2069. Retour au texte

8 Code des juridictions financières, article L. 243-10 et R. 243-21. Retour au texte

9 Concl. Cytermann, Laurent, sur CE, 24 avr. 2019, n° 409270 ; Concl. Restino, Virginie, sur CAA Toulouse, 10 oct. 2024, société Econotre, n° 23TL02829, AJDA, nº 44, 2024, p. 2369-2373 ; Mouzet, Pierre, « La jurisprudence Chabert aussi a vingt ans », AJDA, 2024, nº 28, p. 1513. Retour au texte

10 CE, 24 avr. 2019, nº 409270 ; Damarey, Stéphanie, « Observations des chambres régionales des comptes et droit à rectification », JCP A, 2019, nº 40, p. 2267. Retour au texte

11 CE, 26 mars 2003, Lemang et Delebarre, nº 250101. Retour au texte

12 Code des juridictions financières, article L. 241-5. Retour au texte

13 CAA Marseille, 12 déc. 2023, nº 21MA03704, § 6. Retour au texte

14 C. comptes, Recueil des normes professionnelles, 4e éd., 2024 ; Miller, Gilles et Advielle, Frédéric, « Les chambres régionales des comptes au lendemain de l’année des trois lois », AJDA, nº 11, 2012, p. 591. Retour au texte

15 Landais, Claire et Lenica, Frédéric, op. cit. ; Lascombe, Michel et Vandendriessche, « Le Conseil d’État », La Revue du Trésor, nº 2, 2006, p. 143. Retour au texte

16 Douat, Étienne, La chambre régionale des comptes et l’ordre juridictionnel administratif, thèse, université de Bordeaux I, 1991 ; Torelli, Michèle, « Recours contre le rapport d’observations définitives d’une chambre régionale des comptes », AJDA, nº 2, 2025, p. 74. Retour au texte

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