La cour confirme la condamnation de l’État à réparer les dégâts causés lors des manifestations des Gilets jaunes tout en réduisant le montant des sommes octroyées à la ville de Toulouse et à Toulouse Métropole par le tribunal administratif

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Décisions de justice

CAA Toulouse, 3ème chambre – N° 22TL21484 – 15 octobre 2024 – C

Juridiction : CAA Toulouse

Numéro de la décision : 22TL21484

Numéro Légifrance : CETATEXT000050362250

Date de la décision : 15 octobre 2024

Code de publication : C

CAA Toulouse, 3ème chambre – N° 22TL21485 – 15 octobre 2024 – C

Juridiction : CAA Toulouse

Numéro de la décision : 22TL21485

Numéro Légifrance : CETATEXT000050362253

Date de la décision : 15 octobre 2024

Code de publication : C

Index

Rubriques

Responsabilité de la puissance publique

Textes

Résumé

La cour administrative d'appel de Toulouse a été saisie par le préfet de la Haute-Garonne de deux jugements du tribunal administratif de Toulouse ayant jugé que l’État était responsable des désordres causés au mobilier urbain et aux biens immobiliers, appartenant à la ville de Toulouse et à Toulouse Métropole, à l’occasion des manifestations des Gilets jaunes survenues au cours de l’hiver 2018-2019.

La cour a dû trancher la question de l’engagement de la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure en vertu duquel L'État est civilement responsable des dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements contre les personnes ou contre les biens.

À la suite du tribunal, la cour juge que la responsabilité de l’État est engagée dès lors que les dégradations causées aux biens de Toulouse Métropole et de la ville de Toulouse ont été commises lors du passage des manifestations, à proximité ou dans leur prolongement, de sorte qu’elles étaient bien survenues à l’occasion d’attroupements ou de rassemblements.

En revanche, la cour, en se fondant sur les factures produites devant elle, réduit sensiblement le montant des sommes que la commune de Toulouse et Toulouse Métropole ont obtenues du tribunal, lequel s’était fondé en partie sur des éléments, tels que des devis ou de simples tableaux, regardés comme insuffisamment probants. Elle condamne en conséquence l’État à verser 334 402,48 euros à Toulouse Métropole et 135 167,45 euros à la commune de Toulouse.

Arrêts n°22TL01484, 22TL01485 – 15 octobre 2024 – (3ème chambre – Préfet de la Région Occitanie et de la Haute-Garonne / Toulouse Métropole ; Préfet de la Région Occitanie et de la Haute-Garonne / Ville de Toulouse)

L’État condamné du fait des actions violentes commises dans le cadre des rassemblements Gilets jaunes

Martin Moralès

Maître de conférences en droit public, université Paris Est Créteil, membre associé du CREAM

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DOI : 10.35562/ajamont.289

Près de six années se sont écoulées depuis la fin du mouvement des Gilets jaunes, crise sociale dont chacun se remémore encore l’ampleur, considérable par sa durée et son intensité. Si les conséquences politiques sont difficilement perceptibles, les juridictions administratives continuent de statuer sur les actions en responsabilité intentées par différents acteurs, commerçants et communes en particulier, victimes directes ou indirectes des différentes actions menées. Dégradations de biens publics et privés et baisse de fréquentation durant les manifestations sur la voie publique, blocage durable des accès à certains commerces en raison des blocus de circulation et autres « opérations escargots » ont rythmé les samedis dans de nombreuses villes de France.

Sur le plan de la responsabilité administrative, ces différents types de violence commise dans un contexte de mouvement social interrogent le champ d’application et la portée du régime de responsabilité sans faute de l’État du fait des rassemblements prévus à l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.

C’est dans ce contexte que la cour administrative d’appel de Toulouse a été saisie en appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse, le 21 avril 2022, au terme duquel l’État a été condamné à verser à la métropole de Toulouse la somme de 622 714,08 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, au titre des préjudices subis à raison des dégradations commises lors des manifestations ayant eu lieu chaque samedi à partir du 17 novembre 2018 et jusqu’au mois de juin 2019 dans le centre-ville de Toulouse.

Deux actions en responsabilité sans faute avaient été dirigées contre l’État par la métropole. La première, fondée sur les dispositions de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, tendait à l’indemnisation de nombreux préjudices liés notamment au coût de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels. La seconde, fondée sur le régime jurisprudentiel de la rupture d’égalité devant les charges publiques visait à obtenir réparation pour les coûts des travaux de reprise de la voirie en raison de l’augmentation du trafic des poids lourds liés à une déviation décidée par les services de gendarmerie pour contourner le blocage d’un dépôt pétrolier sur la commune de Lespinasse.

La cour a estimé que seules les conditions de la responsabilité sans faute de l’État au titre des rassemblements et attroupements sont réunies, condamnant par voie de conséquence l’État à verser à la métropole, l’absence de causalité entre la détérioration des routes et la déviation excluant toute responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques.

S’agissant de l’application de l’article L. 211-20 du Code de la sécurité intérieure, la jurisprudence récente a tenté d’apporter des éléments de clarification face à l’apparition de nouveaux groupuscules violents agissant dans le contexte d’un rassemblement pacifique1.

Dans son sillage, la cour a ainsi pu confirmer la condamnation ordonnée en première instance, indiquant que celles-ci « sont survenues concomitamment au passage des manifestations, à proximité ou dans leur prolongement », faisant fi du principal moyen de défense du préfet consistant à souligner que les actions violentes ont été commises par des groupuscules autonomes et détachés de la manifestation. Sur le plan indemnitaire, la cour revoit à la baisse le montant de la condamnation à 334 402 euros pour défaut de preuves suffisantes concernant certains préjudices.

Ce courant jurisprudentiel qui semble avoir été taillé sur mesure pour répondre aux nouvelles formes de violences sociales en marge des manifestations, visibles pendant le mouvement des Gilets jaunes et plus largement incarné par le mouvement des black block, demeure toutefois frappé d’incertitudes.

Pour rappel, la mise en œuvre de ce régime de responsabilité prévue par la loi suppose que plusieurs conditions soient réunies.

Il faut d’abord que les dégâts et dommages résultent de crimes et délits, commis à force ouverte ou par violence, ce qui exclut les actes contraventionnels et impose que les agissements revêtent un caractère violent. En l’espèce, cette condition n’a pas posé de difficulté en raison du caractère violent de l’essentiel des actions menées.

Il est ensuite nécessaire que les dommages soient commis dans le prolongement d’un rassemblement ou d’un attroupement. Selon une jurisprudence qui semblait stabilisée, cette condition tend à exclure du bénéfice de l’indemnisation les préjudices résultant d’une action organisée et préméditée2. Sont en conséquence exclus du régime de responsabilité les préjudices liés à des opérations de blocage et de filtrage de la circulation sur l’autoroute3.

La question pose en revanche une réelle difficulté lorsque les actions violentes ont été orchestrées en amont, notamment sur les réseaux sociaux et qu’elles sont commises concomitamment à des rassemblements.

Pour apprécier si des actions violentes peuvent être rattachés à un rassemblement, il convient de vérifier si les violences ont été commises aux mêmes horaires et à proximité du lieu du rassemblement principal4. Sans vérifier spécifiquement cela, la cour juge en l’espèce que les dégradations sont rattachées à une manifestation. Or, dans une décision récente, dont les faits sont similaires, elle a jugé que les dommages commis par un groupe d’individus appartenant au black block dans la ville de Montpellier ne peuvent être regardés comme résultant d’un attroupement ou d’un rassemblement5, en dépit de leur survenance de manière concomitante à la manifestation. Les contours du régime de responsabilité du fait des rassemblements et attroupements devront ainsi être précisés, en particulier la condition requise du rattachement à un rassemblement.

Notes

1 CE 11 oct. 2023, min. de l’Intérieur, nº 465591. Retour au texte

2 V. notamment en ce sens, CE 26 mars 2004, société BV Exportslachterij Apeldoorn ESA, req. nº 248623. Retour au texte

3 CE, 28 oct. 2022, société Sanef, nº 451659. Retour au texte

4 CE, 30 décembre 2016, société Covea risks, req. nº 386536. Retour au texte

5 CAA Toulouse, 3e chambre, 24 juin 2025, 23TL01128. Retour au texte

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