Près de six années se sont écoulées depuis la fin du mouvement des Gilets jaunes, crise sociale dont chacun se remémore encore l’ampleur, considérable par sa durée et son intensité. Si les conséquences politiques sont difficilement perceptibles, les juridictions administratives continuent de statuer sur les actions en responsabilité intentées par différents acteurs, commerçants et communes en particulier, victimes directes ou indirectes des différentes actions menées. Dégradations de biens publics et privés et baisse de fréquentation durant les manifestations sur la voie publique, blocage durable des accès à certains commerces en raison des blocus de circulation et autres « opérations escargots » ont rythmé les samedis dans de nombreuses villes de France.
Sur le plan de la responsabilité administrative, ces différents types de violence commise dans un contexte de mouvement social interrogent le champ d’application et la portée du régime de responsabilité sans faute de l’État du fait des rassemblements prévus à l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure.
C’est dans ce contexte que la cour administrative d’appel de Toulouse a été saisie en appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Toulouse, le 21 avril 2022, au terme duquel l’État a été condamné à verser à la métropole de Toulouse la somme de 622 714,08 euros toutes taxes comprises assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, au titre des préjudices subis à raison des dégradations commises lors des manifestations ayant eu lieu chaque samedi à partir du 17 novembre 2018 et jusqu’au mois de juin 2019 dans le centre-ville de Toulouse.
Deux actions en responsabilité sans faute avaient été dirigées contre l’État par la métropole. La première, fondée sur les dispositions de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, tendait à l’indemnisation de nombreux préjudices liés notamment au coût de remise en état du mobilier urbain, des chaussées, des trottoirs et des matériaux naturels. La seconde, fondée sur le régime jurisprudentiel de la rupture d’égalité devant les charges publiques visait à obtenir réparation pour les coûts des travaux de reprise de la voirie en raison de l’augmentation du trafic des poids lourds liés à une déviation décidée par les services de gendarmerie pour contourner le blocage d’un dépôt pétrolier sur la commune de Lespinasse.
La cour a estimé que seules les conditions de la responsabilité sans faute de l’État au titre des rassemblements et attroupements sont réunies, condamnant par voie de conséquence l’État à verser à la métropole, l’absence de causalité entre la détérioration des routes et la déviation excluant toute responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
S’agissant de l’application de l’article L. 211-20 du Code de la sécurité intérieure, la jurisprudence récente a tenté d’apporter des éléments de clarification face à l’apparition de nouveaux groupuscules violents agissant dans le contexte d’un rassemblement pacifique1.
Dans son sillage, la cour a ainsi pu confirmer la condamnation ordonnée en première instance, indiquant que celles-ci « sont survenues concomitamment au passage des manifestations, à proximité ou dans leur prolongement », faisant fi du principal moyen de défense du préfet consistant à souligner que les actions violentes ont été commises par des groupuscules autonomes et détachés de la manifestation. Sur le plan indemnitaire, la cour revoit à la baisse le montant de la condamnation à 334 402 euros pour défaut de preuves suffisantes concernant certains préjudices.
Ce courant jurisprudentiel qui semble avoir été taillé sur mesure pour répondre aux nouvelles formes de violences sociales en marge des manifestations, visibles pendant le mouvement des Gilets jaunes et plus largement incarné par le mouvement des black block, demeure toutefois frappé d’incertitudes.
Pour rappel, la mise en œuvre de ce régime de responsabilité prévue par la loi suppose que plusieurs conditions soient réunies.
Il faut d’abord que les dégâts et dommages résultent de crimes et délits, commis à force ouverte ou par violence, ce qui exclut les actes contraventionnels et impose que les agissements revêtent un caractère violent. En l’espèce, cette condition n’a pas posé de difficulté en raison du caractère violent de l’essentiel des actions menées.
Il est ensuite nécessaire que les dommages soient commis dans le prolongement d’un rassemblement ou d’un attroupement. Selon une jurisprudence qui semblait stabilisée, cette condition tend à exclure du bénéfice de l’indemnisation les préjudices résultant d’une action organisée et préméditée2. Sont en conséquence exclus du régime de responsabilité les préjudices liés à des opérations de blocage et de filtrage de la circulation sur l’autoroute3.
La question pose en revanche une réelle difficulté lorsque les actions violentes ont été orchestrées en amont, notamment sur les réseaux sociaux et qu’elles sont commises concomitamment à des rassemblements.
Pour apprécier si des actions violentes peuvent être rattachés à un rassemblement, il convient de vérifier si les violences ont été commises aux mêmes horaires et à proximité du lieu du rassemblement principal4. Sans vérifier spécifiquement cela, la cour juge en l’espèce que les dégradations sont rattachées à une manifestation. Or, dans une décision récente, dont les faits sont similaires, elle a jugé que les dommages commis par un groupe d’individus appartenant au black block dans la ville de Montpellier ne peuvent être regardés comme résultant d’un attroupement ou d’un rassemblement5, en dépit de leur survenance de manière concomitante à la manifestation. Les contours du régime de responsabilité du fait des rassemblements et attroupements devront ainsi être précisés, en particulier la condition requise du rattachement à un rassemblement.