Application de l’adage contra non valentem agere non currit praescripto au délai de contestation de l’offre d’indemnisation faite par le FIVA à un mineur

Civ. 2e, 5 juillet 2018, n° 17-22.709

DOI : 10.35562/ajdc.1323

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Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), offre à la victime, délai de contestation

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Après le décès de son père des suites d’une maladie provoquée par l’exposition à l’amiante, sa fille, agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de ses trois enfants mineurs, petits-enfants du défunt, a saisi le FIVA aux fins d’indemnisation du préjudice qu’elle avait elle-même subi et que ses enfants ont subi du fait de ce décès. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er octobre 2014, le FIVA a notifié à la fille du défunt une offre d’indemnisation en lui demandant de lui adresser l’approbation du juge des tutelles territorialement compétent pour les offres concernant les mineurs. La fille du de cujus et son époux, père des enfants, ont saisi – le 13 novembre 2014 selon le moyen annexé au pourvoi – par requête le juge de tutelles, lequel, estimant l’offre du FIVA insuffisante, a désigné, par ordonnances du 2 avril 2015, la mère en qualité d’administrateur ad hoc chargée de représenter les intérêts des trois enfants mineurs.

La mère, ès qualités, a saisi la cour d’appel de Toulouse le 6 mai 2015, laquelle a déclaré, par arrêt du 11 mars 2016, irrecevable le recours formé par la mère, ès qualités, aux motifs que :

  • la mère et le père, représentants légaux des mineurs avaient qualité pour saisir la cour d’appel d’une contestation de l’offre du FIVA, à titre conservatoire, dans l’attente de la décision du juge des tutelles sur l’offre d’indemnisation ;
  • l’intérêt de l’enfant est donc sauvegardé en cas d’absence d’homologation par ce juge dans le délai de deux mois puisque le représentant légal conserve en toute hypothèse le droit de saisir la cour d’appel dans ce délai ;
  • la procédure devant le juge des tutelles n’a pas de caractère suspensif du délai de recours à l’égard de la proposition d’indemnisation du FIVA.

La cour d’appel de Toulouse conclut que le délai de recours expirait le 1er décembre 2014, de sorte que le recours exercé par la mère ès qualités le 6 mai 2015 n’a pas été formé dans le délai prévu par l’article 25 du décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001. La Cour de cassation casse et annule cet arrêt pour violation des articles 53, V, alinéa 1 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, 25, alinéa 1 du décret du 23 octobre 2001, et 389-6 du Code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, et de la règle contra non valentem agere non currit praescripto. Elle affirme qu’il résulte de la combinaison de ces textes et de cette règle que :

« lorsque le demandeur est un mineur, l’offre d’indemnisation présentée par le FIVA ne peut être valablement acceptée par les administrateurs légaux qu’avec l’autorisation du juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs ; qu’il s’ensuit que le délai de deux mois prévu pour saisir la cour d’appel de la contestation de l’offre est suspendu entre la date de la saisine de ce juge et sa décision ».

La Cour de cassation a donc dû régler la question de la computation du délai prévu à l’article 25, alinéa 1 du décret du 23 octobre 2001 à l’égard du mineur, ce qui suppose de rappeler la nature de ce délai (I), d’en rappeler les conséquences à l’égard des mineurs (II) et d’analyser les effets de l’application de l’adage contra non valentem agere non currit praescripto (III).

La nature du délai de contestation de l’offre du FIVA

La procédure d’indemnisation des victimes de l’amiante se déroule en deux temps. Elle commence, d’une part, par une phase transactionnelle. La victime saisit le FIVA d’une demande d’indemnisation, et le fonds est tenu de lui présenter une offre d’indemnisation dans un délai de six mois. D’autre part, en cas d’échec de la phase amiable, parce que la demande d’indemnisation a été rejetée, qu’aucune offre n’a été présentée dans le délai prévu, ou parce que l’offre présentée n’a pas été acceptée, la victime peut saisir directement une cour d’appel d’une demande d’indemnisation (art. 53, L. du 23 déc. 2000) dans un délai de deux mois (art. 25, D. du 23 oct. 2001).

La Cour de cassation a jugé que ce délai de deux mois est un délai préfix, lequel n’était pas suspendu durant la minorité de l’auteur de l’action (Civ. 2e, 8 mars 2007, n° 06-13.057Civ. 2e, 4 déc. 2008, n° 07-21.994). Il est en effet communément admis que le délai préfix est un délai d’action fixé par la loi dont le cours, à la différence du délai de prescription, n’est susceptible ni de suspension ni d’interruption. La solution dégagée par la Cour de cassation était donc susceptible d’entraîner des difficultés lorsqu’il s’agit d’indemniser, comme en l’espèce, un mineur.

Les difficultés soulevées par la nature du délai de contestation de l’offre du FIVA à l’égard des mineurs

Dans un avis du 25 mars 2013 (Cass. avis, 25 mars 2013, n° 12-70.019) relatif à l’offre d’indemnisation faite à un mineur par le FGTI, la Cour de cassation a considéré

« [qu’]hors le cas de tutelle avec conseil de famille, les représentants légaux d’un mineur ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction doivent recueillir l’autorisation du juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs, préalablement à l’acceptation de l’offre d’indemnisation prévue par l’article 706-5-1 du Code de procédure pénale, dès lors qu’elle emporte pour le mineur renonciation à un droit ».

La Cour de cassation a également jugé qu’à défaut d’autorisation du juge des tutelles, la transaction conclue « entre l’administrateur légal d’un mineur victime d’un accident de la circulation et l’assureur du conducteur du véhicule impliqué encourt la nullité pour défaut d’autorisation du juge des tutelles » (Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 06-16.783).

Il s’ensuit logiquement que l’administrateur légal ne peut pas accepter l’offre faite par le FIVA tant que le juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs, ne l’a pas autorisé à le faire. Il ne peut pas non plus saisir la cour d’appel, même à titre conservatoire, car cette saisine conduit à rendre caduque l’offre initiale faite par le FIVA et qu’il présente au juge pour être autorisé à l’accepter (Civ. 2e, 14 janv. 2016, n° 14-26.080).

La Cour de cassation a en conséquence anticipé l’hypothèse où le juge des tutelles, saisi d’une demande d’autorisation d’acceptation de l’offre présentée par le FIVA, ne s’est pas prononcé dans le délai de deux mois prévu par l’article 25 du décret du 23 octobre 2001. À cet égard, si les délais préfix ne peuvent en principe être suspendus, il a été admis qu’ils restaient soumis à la règle contra non valentem agere non currit praescripto. En effet, cette règle d’équité, qui permet de libérer le justiciable du jeu de la prescription, a été étendue au délai préfix pour écarter la forclusion (Req. 25 nov. 1946, DP. 1948, p. 321, note Holleaux ; RTD civ. 1947, p. 186, obs. Lagarde), sous réserve que le justiciable ait été suffisamment diligent lorsque l’impossibilité a cessé. La règle veut que la prescription, et par extension le délai préfix, courent contre toutes personnes à moins qu’elles ne soient dans quelque exception établie par une loi (art. 2234 C. civ.).

Dans l’arrêt étudié, la Cour de cassation confirme et reprend ainsi la solution qu’elle avait adoptée dans deux arrêts de cassation du 8 septembre 2016 et du 23 mars 2017 (Civ. 2e, 8 sept. 2016, n° 15-23.041Civ. 2e, 23 mars 2017, n° 16-12.002). L’adage contra non valentem agere non currit praescripto a donc encore été mobilisé pour venir au secours du justiciable empêché d’agir, soit en l’espèce le mineur représenté par son administrateur ad hoc, ce qui a permis au juge de le relever de son impossibilité d’agir et de lui permettre d’exercer son recours. Cette règle devrait en toute logique être transposée au nouvel article 387-1 du Code civil.

Les effets de l’application de l’adage contra non valentem agere non currit praescripto

La solution retenue dans l’arrêt étudié, comme dans ceux des 8 septembre 2016 et du 23 mars 2017 (Civ. 2e, 8 sept. 2016, n° 15-23.041Civ. 2e, 23 mars 2017, n° 16-12.002), précise que le délai préfix de deux mois, prévu pour saisir la cour d’appel de la contestation de l’offre du FIVA, est suspendu entre la date de la saisine du juge aux affaires familiales et sa décision. Le délai de recours contre l’offre litigieuse du FIVA n’est donc pas prorogé, contrairement à ce que prévoit le régime originel de la règle contra non valentem agere non currit praescripto (V. not. H. Roland, L. Boyer, Adages du droit français, 4e éd., Litec, 1999), puisque le point de départ du délai de deux mois de l’article 25 du décret du 23 octobre 2001 n’est pas reporté à la date de la décision du juge aux affaires familiales – et encore moins à la date de la notification de la décision à l’administrateur ad hoc désigné. C’est ce qui ressort justement de deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 25 octobre 2017 qui ont appliqué purement et simplement les règles de la suspension :

  • dans le premier arrêt (Civ. 2e, 25 oct. 2017, n° 16-25.101), la Cour de cassation a jugé légalement justifié l’arrêt d’une cour d’appel déclarant irrecevable le recours contre l’offre du FIVA exercé par l’administrateur ad hoc, au motif de pur droit substitué aux motifs erronés de la cour d’appel, que le délai de deux mois, prévus à l’article 25 du décret du 23 octobre 2001, suspendu entre la date de la saisine du juge des tutelles (17 mars 2014) et sa décision désignant un administrateur ad hoc (14 octobre 2014), expirait le 26 octobre 2014, de sorte que la saisine de la cour d’appel postérieure à cette date était irrecevable comme tardive ; en l’espèce, la notification de l’offre du FIVA a été faite le 29 janvier 2014 et la cour d’appel a été saisie le 12 mars 2015 ;
  • dans le second arrêt (Civ. 2e, 25 oct. 2017, n° 16-25.102), la Cour de cassation a jugé légalement justifié l’arrêt d’une cour d’appel déclarant irrecevable le recours contre l’offre du FIVA exercé par l’administrateur ad hoc, au motif de pur droit substitué aux motifs erronés de la cour d’appel, que le délai de deux mois, prévus à l’article 25 du décret du 23 octobre 2001, suspendu entre la date de la saisine du juge des tutelles (31 juillet 2012) et sa décision désignant un administrateur ad hoc (21 février 2014), expirait le 2 mars 2014, de sorte que la saisine de la cour d’appel postérieure à cette date était irrecevable comme tardive ; en l’espèce, la notification de l’offre du FIVA a été faite le 9 juillet 2012 et la cour d’appel a été saisie le 18 septembre 2014.

Ces deux arrêts, en appliquant strictement la suspension du délai préfix de deux mois prévu par le décret du 23 octobre 2001 et en n’autorisant pas un report de son point de départ, ont donné à l’administrateur ad hoc, qui était dans l’impossibilité d’agir avant la date de notification de l’ordonnance du juge des tutelles le désignant, un laps de temps extrêmement court – quelques jours après la décision du magistrat – pour contester l’offre du FIVA devant la cour d’appel dans l’intérêt des enfants mineurs, soit :

  • dans le premier arrêt, entre le 14 et le 26 octobre 2014 ;
  • dans le second arrêt, entre le 21 février et le 2 mars 2014.

En l’espèce, la saisine du juge aux affaires familiales étant intervenue le 13 novembre 2014 selon le moyen annexé au pourvoi, tout recours contre l’offre du FIVA après le 20 avril 2015 aurait logiquement été irrecevable. Il aurait donc été possible pour la Cour de cassation d’adopter la même solution que dans les deux arrêts du 29 octobre 2017 (Civ. 2e, 25 oct. 2017, n° 16-25.101Civ. 2e, 25 oct. 2017, n° 16-25.102) et de rejeter le moyen par substitution d’un motif de pur droit relevé d’office à un motif erroné (art. 1015 C. pr. civ.), puisque la cour d’appel avait été saisie le 6 mai 2015.

La spécificité de la matière – tenant à l’indemnisation d’un mineur par le FIVA après désignation par le juge aux affaires familiales, en sa qualité de juge des tutelles des mineurs, d’un administrateur ad hoc – et la nécessité d’assurer un recours effectif dans l’intérêt supérieur des enfants mineurs pourraient cependant justifier de fixer le point de départ du délai préfix de deux mois à la date à laquelle la personne désignée en qualité d’administrateur ad hoc a eu connaissance de sa désignation par le juge – soit la date de notification de la décision selon l’article 1230 du Code de procédure civile et non la date de la décision en elle-même selon l’arrêt étudié. Cela garantirait effectivement à l’administrateur ad hoc un temps nécessaire et suffisant pour saisir la cour d’appel de la contestation de l’offre d’indemnisation faite par le FIVA, et pallierait l’imparfaite protection des droits du mineur accordée par le régime de la suspension. Il semblerait que ce soit la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt étudié, à moins qu’elle n’ait décidé de ne pas rejeter le moyen par substitution d’un motif de pur droit relevé d’office à un motif erroné (art. 1015 C. pr. civ.).

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References

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Geoffroy Hilger, « Application de l’adage contra non valentem agere non currit praescripto au délai de contestation de l’offre d’indemnisation faite par le FIVA à un mineur », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 17 | 2018, Online since 01 juillet 2018, connection on 04 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1323

Author

Geoffroy Hilger

Université de Lille, Centre de recherche droit et perspectives du droit, CRDP, EA 4487, F-59024, Lille, France

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