Divergences et rapprochements : conséquences récentes du dualisme juridictionnel sur l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante

Cass. Soc., 13 octobre 2021, no 20-16.585 et s. ; CE, 28 mars 2022, no453378, Ministre des Armées c. M. Panizza ; CE, 19 avril 2022, avis no 457560

DOI : 10.35562/ajdc.1712

Abstract

Confrontées au dualisme juridictionnel, les règles relatives à l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante ont pu être rapprochées par les juges administratifs et judiciaires. Pour autant, certaines divergences sont maintenues et, dans ce cadre, les seconds sont plus exigeants que les premiers, s’agissant, notamment, de la preuve du préjudice d’anxiété, selon que le travailleur relève, ou non, du régime de l’ACAATA, et du point de départ de la prescription de l’action.

Outline

Décisions attaquées : CA Douai, ch. soc., 28 février 2020, no 16/02495 ; CAA Nantes, 6e ch., 6 avril 2021, no 19NT03475 ; CAA Marseille, 7e ch., 15 octobre 2021, no 18MA05094.

 

Actualité à souligner : La Cour de cassation a accepté d’élargir le périmètre d’indemnisation d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en cas de faute inexcusable de l’employeur. Les victimes, comme leurs ayants droit, seront mieux indemnisées, notamment celles qui ont été exposées à l’amiante : Cass. Assemblée plénière - pourvois no 21-23.947 et no 20-23.673.

Le scandale sanitaire entourant l’utilisation de l’amiante n’en finit pas de faire couler de l’encre, dans l’actualité juridique, en ce qu’il est régulièrement à l’ordre du jour, lorsque la Cour de cassation, ou le Conseil d’État, se prononcent sur la réparation des préjudices qui en découlent. Dans ce cadre, l’objet du présent article est de présenter les conséquences récentes du dualisme juridictionnel, face à la réparation du seul préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante, dont les régimes sont précisés, par les juridictions, au fil des années. Il peut être indemnisé, par le juge judiciaire, sur le fondement du manquement de l’employeur, personne privée, à son obligation de sécurité (Cass Soc., 11 mai 2010, no 09-42.241), que le demandeur relève, ou non, du régime de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante (ACAATA) (Cass A.P., 5 avril 2019, no 18-17.442). Il peut l’être également, par le juge administratif, soit sur le fondement du manquement de l’employeur, personne publique, à son obligation de sécurité (CE, 3 mars 2017, no 401395, Ministre de la Défense c/M. Pons), soit sur celui de l’État à son obligation de prévention des risques professionnels (CE, 3 mars 2004, no 241152, Ministre de l’Emploi et de la Solidarité c/Consorts Thomas), sans qu’il ne soit nécessaire que le demandeur relève du régime de l’ACAATA (CE, 3 mars 2017, précit., considérant 4). Récemment, par un arrêt du Conseil d’État du 28 mars 2022, et un de la Cour de cassation du 13 octobre 2021, et que lors d’un avis contentieux de celui-ci du 19 avril 2022, plusieurs dissonances sont apparues, même si des rapprochements ont été réalisés, ou confirmés. L’arrêt de cassation de la juridiction du quai de l’Horloge, rendu après un second pourvoi après cassation, concerne des salariés, ne relevant pas du régime de l’ACAATA, pour lesquels la cour d’appel avait accepté d’indemniser leur préjudice d’anxiété, grâce à la mobilisation de présomptions, et sur le fondement de la responsabilité civile de leur employeur. La décision du Conseil d’État, qui rejette le pourvoi du ministre des Armées, est rendue dans le cadre de l’examen d’une décision d’une cour d’appel, ayant confirmé l’indemnisation, de ce même préjudice, d’un ancien marin, grâce, également, au recours aux présomptions, et sur le fondement de la responsabilité administrative de leur employeur. Les arrêts partagent donc la même problématique : le demandeur doit-il prouver la réalité de son préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante ou bénéficie-t-il du jeu de présomptions ? L’avis contentieux, quant à lui, est rendu après saisine, par la cour administrative d’appel de Marseille, du Conseil d’État, dans le cadre d’une demande, formulée par un travailleur de droit privé relevant du régime de l’ACAATA, d’indemnisation du préjudice d’anxiété, formée à l’encontre de l’État, pour manquement à son obligation de prévention des risques professionnels. Il s’interroge alors sur la détermination des règles de la prescription dans le cadre de ces actions. Or, ces décisions et avis rappellent que le dualisme juridictionnel peut mettre à mal, dans une certaine mesure, l’harmonie des règles relatives à la preuve du préjudice d’anxiété (I) et à la prescription de l’action afférente (II).

I. Le dualisme juridictionnel face à la preuve du préjudice d’anxiété

Problématique. – Les manifestations récentes du dualisme juridictionnel relatives à ce préjudice concernent, tout d’abord, sa preuve. Dès lors que si, selon la procédure civile, c’est au demandeur de prouver ce qu’il allègue (C. proc. civ., art. 9), les difficultés probatoires entourant la caractérisation de la réalité des préjudices moraux ont amené les juridictions à s’interroger sur le recours aux présomptions. Or, sur ce point, les divergences sont bien plus présentes que les rapprochements, et elles tiennent, principalement, à une distinction entre les travailleurs, selon qu’ils relèvent, ou non, du régime de l’ACAATA.

Travailleurs relevant du régime de l’ACAATA. – L’arrêt du Conseil d’État du 28 mars 2022 a confirmé l’alignement des règles concernant la preuve du préjudice d’anxiété, dans l’hypothèse où le travailleur qui le subit relève du régime de l’ACAATA. En effet, pour lui, l’existence de ce préjudice est présumée, sur le fondement de la présomption de l’exposition à l’amiante qui découle du bénéfice potentiel de ce régime (pour les juges administratifs, v. par ex. : CE, 28 mars 2022, précit., considérant 4 ; CE, 3 mars 2017, précit., considérant 6 ; pour les juges judiciaires, v. par ex. : Cass Soc., 4 décembre 2012, no 11-26.293 ; Cass Soc., 9 décembre 2020, no 19-10.881 et s.). En conséquence, la charge probatoire de ces victimes est amoindrie. Néanmoins, cette confirmation du rapprochement des jurisprudences n’est que partielle, dès lors que le contenu du préjudice d’anxiété n’est pas identique dans les ordres judiciaire et administratif. En effet, la Cour de cassation (Cass Soc., 13 octobre 2021, précit., § 11 ; Cass Soc., 3 mars 2015, no 13-21.832 et s.) inclut à la fois « l’inquiétude permanente face au risque de déclarer la maladie [et] l’ensemble des troubles extrapatrimoniaux créés par cette angoisse tels que privation de la possibilité d’envisager sereinement l’avenir, remise en cause des projets de vie personnel, etc. » (Lambert-Faivre Y., Porchy-Simon S., Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2022, 9e éd., spéc. p. 787). Le Conseil d’État, quant à lui, rappelle qu’il distingue l’angoisse, et donc le préjudice d’anxiété, des autres troubles psychologiques (CE, 28 mars 2022, précit., considérant 2 ; CE, 3 mars 2017, précit., considérant 9). Ainsi, cette divergence contribue à la complexification des régimes d’indemnisation. En effet, les travailleurs relevant du régime de l’ACAATA ont une faveur probatoire tenant à l’existence d’une présomption de préjudice qui permet, pour le juge judiciaire, de réparer à la fois l’anxiété en elle-même et les autres troubles psychologiques résultant de l’exposition à l’amiante et, pour le juge administratif, d’indemniser la seule anxiété. Ainsi, pour ce dernier, la réalité des autres troubles psychologiques doit, quant à elle, être prouvée par le demandeur, qui ne bénéficie donc pas du jeu des présomptions.

Travailleurs ne relevant pas de l’ACAATA. – Pour les travailleurs qui ne relèvent pas du régime de l’ACAATA, la Cour de cassation rappelle que le préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante doit être « personnellement subi » (Cass Soc., 13 octobre 2021, précit., § 10 ; Cass Soc., 13 octobre 2021, no 20-16.584 et s., § 11-13 ; Cass, Ass. plén., 5 avril 2019, précit.), caractère classique des préjudices individuels. Elle en déduit qu’il ne peut pas résulter « de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique » (Cass Soc., 13 octobre 2021, précit., § 11) et qu’il ne peut pas être prouvé par une simple attestation d’exposition à l’amiante, délivrée par l’employeur (ibid., § 12). En conséquence, il est nécessaire que le demandeur prouve, d’une part, une exposition effective à l’amiante et, d’autre part, l’existence d’un préjudice d’anxiété en découlant (ibid., § 13. Pour une confirmation, v. : Cass Soc., 15 décembre 2021, no 20-11.046, § 12-13). Cette position est critiquée car elle est discriminatoire, eu égard au fait que des salariés travaillant dans un même lieu, mais mis à disposition ou pour lesquels leur employeur est un sous-traitant, ne bénéficieront pas de la même faveur probatoire, selon qu’il ait été inscrit, par arrêté ministériel, dans la liste des entreprises ouvrant droit à l’ACAATA (en ce sens : Asquinazi-Bailleux D., « Le préjudice d’anxiété devant le Conseil d’État : un préjudice d’exposition ? », BJT 2022, no 201). Le Conseil d’État, quant à lui, préféra élargir le bénéfice de la présomption de préjudice à d’autres travailleurs ne relevant pas du régime de l’ACAATA (CE, 28 mars 2022, précit., considérants 3 et 7). Néanmoins, ils doivent toujours apporter des « éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d’amiante » (ibid., considérant 2). Cet état est alors présumé, d’une part, pour les personnes étant intervenues, dans le cadre de leurs fonctions, « sur des matériaux contenant de l’amiante » (ibid., considérant 3), les conduisant à inhaler des poussières de ce minéral, et, d’autre part, pour les marins, dès lors que, indépendamment du contenu de leurs fonctions, ils ont été exposés, eu égard au lieu d’exercice de ces dernières, de façon constante et confinée, et « pendant une durée significativement longue » (CE, loc. cit.), à des poussières d’amiante, sans avoir ni protections ni moyens d’éviter de les inhaler. En conséquence, tout travailleur exposé à l’amiante n’a qu’à démontrer l’effectivité de cette exposition, qui peut, en sus, être présumée, en ce que cette première preuve déclenche le jeu de la présomption de préjudice d’anxiété (un auteur a ainsi parlé de « préjudice d’exposition » s’agissant de celui d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante – V. Asquinazi-Bailleux D., « Le préjudice d’anxiété devant le Conseil d’État : un préjudice d’exposition ? », précit. Dans la même logique, un autre auteur a parlé de « quasi-présomption », V. Champeaux F., « Le Conseil d’État facilite la preuve de l’anxiété en présence d’un risque particulièrement important », SSL, 2022, no 1996).

En conséquence, contrairement à la position restrictive de la Cour de cassation, le Conseil d’État a une jurisprudence plus favorable. Cependant, il convient de tempérer l’importance de cette divergence, eu égard aux exigences probatoires des juges judiciaires, pour lesquels de simples attestations de proches, affirmant que le demandeur souffre bien d’une anxiété liée à l’exposition à l’amiante, suffisent (Cass Soc., 15 décembre 2021, précit., § 14). Ensuite, elle s’explique eu égard aux conclusions du rapporteur public relatives à l’arrêt du 28 mars 2022 (Le Corre M., « L’exposition à l’amiante dispense de prouver l’anxiété en résultant », AJDA, 2022., 1243). En effet, ces dernières affirment que la position de la Cour de cassation ne doit pas être suivie, au motif que, principalement, une divergence de régime naîtrait alors selon que le travailleur relève, ou non, du régime de l’ACAATA. Sur ce point, la position du Conseil d’État est bien plus cohérente car elle rappelle que la présomption de préjudice découle de la présomption d’exposition à l’amiante. En effet, la preuve du préjudice d’anxiété est intimement liée à celle de l’effectivité de l’exposition à l’amiante. Dès lors, pourquoi ne pas avoir maintenu la présomption de préjudice en excluant seulement la présomption d’exposition ? Il aurait été plus logique et cohérent de rappeler que, pour les travailleurs ne relevant pas du régime de l’ACAATA, ceux-ci doivent prouver l’effectivité de leur exposition à l’amiante et que, s’ils y parviennent, alors le préjudice d’anxiété est présumé. Cela l’aurait été d’autant plus que le caractère personnel, sur lequel la Cour de cassation se fonde pour exclure le jeu des présomptions, signifie seulement que le demandeur « doit avoir été atteint dans son patrimoine, son honneur ou son intégrité corporelle » (Porchy-Simon S., Droit des obligations 2023, Paris, Dalloz, coll. « Hypercours », 2022, 15e éd., no 925, spéc. p. 486) et n’implique nullement l’interdiction de la création de faveurs probatoires. Peut-être peut-on espérer que, dans un arrêt ultérieur, la Cour de cassation reçoive l’arrêt du Conseil d’État et procède à l’harmonisation des régimes, comme l’a fait, en partie, ce dernier, lors d’un avis contentieux relatif à la prescription de l’action (II).

II. Le dualisme juridictionnel face à la prescription de l’action

Problématique. – Les juridictions administratives mobilisent la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics, donc la prescription quadriennale. Le juge judiciaire applique, quant à lui, la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du Code du travail (Cass Soc., 8 juillet 2020, no 18-26.585 et s., § 6-7). Si les délais ne sont pas les mêmes, il demeure que cela n’implique pas, nécessairement, des divergences de jurisprudences sur les autres règles liées à la prescription. Sans revenir sur la partie de l’arrêt relative aux causes non-interruptives de prescription qui n’appellent pas de développements particuliers, eu égard au fait qu’il s’agit de positions classiques des jurisprudences administratives et judiciaires, les principales remarques portent sur la détermination du point de départ de la prescription de l’action.

Point de départ dans le cas d’un seul arrêté. – Pour la Cour de cassation (Cass Soc., 29 janvier 2020, no 18-15.388) et l’article L. 1471-1 du Code du travail, le point de départ du délai de la prescription de l’action est le « jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ». Les juges sont alors venus préciser que ce délai ne commence à courir qu’à compter de la publication de l’arrêté ministériel classant l’entreprise dans celles susceptibles d’entrainer la mise en œuvre du régime de l’ACAATA (Cass Soc., 19 novembre 2014, no 13-19.263 et s. ; Cass Soc., 12 novembre 2020, no 19-18.490 ; Cass Soc., 15 décembre 2021, précit.). En effet, cette publication permet au salarié de connaître les faits lui permettant d’exercer son droit, dès lors qu’il a conscience avoir été exposé à l’amiante, ce qui fait naitre son préjudice d’anxiété (par ex., v. : Cass Soc., 22 novembre 2017, no 16-20.666 et s.). Pour les salariés ne relevant pas du régime de l’ACAATA, la Cour de cassation a précisé que « [l]e point de départ du délai de prescription de l’action […] est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l’amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin » (Cass Soc., 8 juillet 2020, précit., § 8).

S’agissant du Conseil d’État, et aux termes de l’article 1erde la loi de 1968, la prescription quadriennale commence à courir « à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ». Dans un premier temps, il rappelle qu’il ne peut être antérieur « à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélés » (CE, 19  avril 2022, précit., considérant 4), ce qui suppose donc, d’une part, que le préjudice d’anxiété soit connu et, d’autre part, qu’il soit déterminable. Ce faisant, le Conseil d’État établit donc une règle qui vaut pour tous les travailleurs, qu’ils relèvent, ou non, du régime de l’ACAATA. Dans un second temps, pour déterminer plus précisément ce point de départ, le Conseil d’État refuse d’appliquer les règles relatives aux préjudices continus et évolutifs. Les conclusions du rapporteur public expliquent en effet que le préjudice d’anxiété a un fait générateur délimité dans le temps, qui ne se poursuit donc pas au jour de la saisine des juridictions (Skzryerbak A., « Exposition à l’amiante, préjudice d’anxiété : point de départ de la prescription », RFDA, 2022, 551). En conséquence, s’il est permanent, il ne pourrait pas être évolutif au sens où sa cause ne l’est pas, et, ce faisant, il ne serait pas continu. La créance doit donc être considérée comme acquise au jour où le travailleur a eu conscience de son exposition effective à l’amiante, et « non à chacune des années au cours desquelles l’intéressé souffre de l’anxiété dont il demande réparation » (CE, 19 avril 2022, précit., considérant 5), dès lors que cette connaissance fait naître celle du préjudice d’anxiété (CE, loc. cit.). Ainsi, pour les travailleurs relevant du régime de l’ACAATA, le point de départ de la prescription est le jour de la publication de l’arrêté susmentionné. Ce raisonnement nous semble éminemment discutable. Tout d’abord, il ne peut être que difficilement accepté que le préjudice d’anxiété n’est pas évolutif. En effet, outre le fait que cette dernière dépend éminemment de l’évolution de la connaissance que celui qui a été exposé à l’amiante a de souffrir de certaines maladies, il a été proposé, dans la doctrine civiliste, de définir le préjudice extra-patrimonial évolutif comme celui « résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène […] qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital » (définition proposée par le professeur Lambert-Faivre, citée par ex. par : Dintilhac J.-P., Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, 2005, p. 41), ce qui renvoie donc, en partie, au préjudice d’anxiété. Ensuite, elle l’est également eu égard à la jurisprudence précédente des juges administratifs du fonds qui, bien que retenant le même point de départ, ne sont pas passés par un gauchissement des caractères du préjudice d’anxiété pour y parvenir, en se contentant de mobiliser la seule première partie du raisonnement du Conseil d’État, même si, bien sûr, cela n’est pas pleinement satisfaisant, d’un point de vue argumentatif (CAA Nantes, 6e ch., 6 juin 2019, no 18NT03162, considérants 2 à 5 ; CAA Marseille, 8e ch., 30 mai 2017, no 14MA03854, considérants 1 à 3). Pour autant, le raisonnement de l’avis contentieux du Conseil d’État a déjà été repris par d’autres juridictions administratives (v. par ex. : TA Grenoble, 7e ch., 1er juillet 2022, no 1807492 ; CAA Marseille, 7e ch., 8 juillet 2022, no 18MA05095, considérants 3 à 15).

Point de départ dans le cas d’arrêtés successifs. – Ce rapprochement n’est, néanmoins, que partiel, car les solutions divergent sur la question de savoir quel est le point de départ, dans l’hypothèse où plusieurs arrêtés ministériels successifs ont été adoptés, lesquels arrêtés étendent la période au cours de laquelle un travailleur, exerçant ces fonctions dans l’établissement en étant l’objet, a été exposé à l’amiante. À cette question, le Conseil d’État répond que, le point de départ « est la plus tardive des dates de publication » (CE, 19 avril 2022, précit., considérant 5) de ces arrêtés. La Cour de cassation, quant à elle, estime que seule la date de publication du premier arrêté compte (Cass Soc., 11 septembre 2019, no 18-50.030) La divergence s’explique par le fait que, le point de départ de la prescription, est, pour le Conseil d’État, le jour où le travailleur a eu connaissance de l’existence et de l’étendue du préjudice (CE, 19 avril 2022, précit., considérant 4) alors que, pour la Cour de cassation, seul le jour de la connaissance de l’existence est pris en compte (Cass Soc., 8 juillet 2020, précit., § 8). Or, comme l’indique les conclusions du rapporteur public, ce n’est qu’avec les arrêtés ultérieurs qu’il a pu prendre connaissance de la durée de son exposition à l’amiante et, ainsi, de l’étendue du préjudice (Skzryerbak A., « Exposition à l’amiante, préjudice d’anxiété : point de départ de la prescription », RFDA, 2022, 551). Certes, donc, chaque solution à sa logique propre, mais il est nécessaire, eu égard au fait qu’il s’agisse, dans les deux cas, de travailleurs soumis au droit privé, d’aligner les jurisprudences sur, notamment, ce point-là. Cet avis, comme d’ailleurs les arrêts précédemment étudiés, rappellent donc l’importance du « dialogue des juges » (Bacache M., « Dommage corporel », D., 2022, 1934) face au dualisme juridictionnel dans le cadre de l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante.

Travailleur relevant du régime de l’ACAATA Travailleur ne relevant pas du régime de l’ACAATA
Définition du préjudice Ordre administratif Inquiétude permanente de développer une pathologie en raison de l’exposition à l’amiante
Ordre judiciaire Ensemble des conséquences extrapatrimoniales de l’exposition à l’amiante
Preuve du préjudice Ordre administratif Présomption de préjudice d’anxiété découlant de la présomption d’exposition à l’amiante Présomption de préjudice d’anxiété découlant de la preuve de l’exposition effective à l’amiante (présomption d’exposition possible, selon les fonctions du demandeur)
Ordre judiciaire Nécessité de la preuve de la réalité du préjudice d’anxiété et de celle de l’exposition effective à l’amiante
Point de départ de la prescription Ordre administratif Au jour de la publication du dernier arrêté ministériel classant (ou étendant la période de classement) le lieu de travail comme susceptible d’entraîner la mise en œuvre du régime de l’ACAATA Au jour de la connaissance de l’existence et de l’étendue du préjudice (après la fin de l’exposition à l’amiante)
Ordre judiciaire Au jour de la publication du premier arrêté ministériel classant le lieu de travail comme susceptible d’entraîner la mise en œuvre du régime de l’ACAATA Au jour de la connaissance de l’existence du préjudice (après la fin de l’exposition à l’amiante)

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References

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Pierrick Maimone, « Divergences et rapprochements : conséquences récentes du dualisme juridictionnel sur l’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’exposition à l’amiante », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 24 | 2022, Online since 17 mars 2023, connection on 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1712

Author

Pierrick Maimone

Doctorant en droit privé, Équipe de recherche Louis Josserand, Bourse ADEME, université Jean Moulin Lyon 3, F-69007 Lyon, France

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