Il n’est décidément pas évident de sortir du cadre fixé par la nomenclature Dintilhac pour indemniser les préjudices extrapatrimoniaux consécutifs à un dommage corporel. C’est ce que nous confirme la solution rendue par la deuxième chambre civile le 11 septembre dernier.
Une jeune femme avait été agressée par son concubin qui lui avait porté plusieurs coups de couteau. Par arrêt du 25 novembre 2010, la cour d’assises de Saint-Denis de La Réunion avait déclaré celui-ci coupable de tentative d’assassinat. Par requête du 12 janvier 2011, la jeune femme avait saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (la commission d’indemnisation ou la CIVI) du tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion d’une demande d’indemnisation de son préjudice sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale. Par décision du 3 novembre 2011, la commission d’indemnisation lui avait alloué une somme de 418 880 € en réparation de son préjudice. Ce montant avait été confirmé en appel par la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion qui avait précisé, dans ses motifs, qu’étaient indemnisés à travers cette somme non seulement les souffrances endurées de la victime mais également un préjudice moral résultant de la dépendance affective qu’elle subissait de la part de son compagnon, auteur de la tentative d’assassinat et des circonstances des faits particulièrement traumatisantes ; la Cour ajoutant que, victime d’une tentative d’assassinat, la jeune femme avait vécu un épisode de terreur résultant de la peur de mourir.
Par cette motivation, c’est donc, une nouvelle fois, un préjudice d’angoisse de mort imminente que choisissait d’indemniser la juridiction du fond réunionnaise.
Malheureusement pour les défenseurs de victimes, c’est sur cette indemnisation que choisissent de revenir les conseillers de la deuxième chambre civile, dans la présente décision, en censurant l’arrêt d’appel au motif que « le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés, étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, ne peut être indemnisé séparément » sous peine de procéder à une double indemnisation qui violerait le principe de réparation.
À ce titre, la solution n’a rien d’originale. La Cour reprend ici la motivation qu’elle avait adoptée dans un arrêt du 16 septembre 2010 (Civ. 2e, 16 septembre 2010, n° 09-69.433) où le juge du droit avait, de la même manière, considéré que les souffrances endurées constituent un poste de préjudice temporaire, absorbées pour le surplus dans le déficit fonctionnel permanent.
On notera cependant que depuis, dans un arrêt du 23 octobre 2012 (Crim., 23 octobre 2012, n° 11-83.770), la chambre criminelle a semblé infléchir cette position en donnant au préjudice d’angoisse de mort imminente une reconnaissance et une véritable autonomie. Certes, jusqu’à présent, la question de la réparation de ce préjudice spécifique s’est surtout posée dans des cas où la victime directe était ensuite décédée, et où il fallait décider si celui-ci était transmissible à ses héritiers. Toutefois, cette limite ne paraît que d’espèce. Une fois la spécificité et l’autonomie de ce préjudice reconnues, on ne voit guère de raison d’en refuser la réparation au motif que la victime aurait survécu au risque de mort qui pesait sur elle. Dès lors que cette angoisse a été vécue et ressentie par la victime, elle mérite réparation. Peu importe que le risque à l’origine de cette angoisse ne se soit pas réalisé. Sur un plan technique, relevons enfin, que si ce préjudice est transmissible aux héritiers de la victime, c’est bien qu’il est rentré dans son patrimoine de son vivant. La seule exigence à poser pour admettre la réparation de celui-ci est de s’assurer, comme l’indiquait la chambre criminelle dans son arrêt du 23 octobre, que la victime était bien en mesure de prendre conscience du risque qui pesait sur elle.