Précisions sur les contours de la notion d’ITT

Civ. 2e, 19 novembre 2015, n° 14-25.519

DOI : 10.35562/ajdc.702

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Mots-clés

victimes d’infractions, incapacité totale de travail

Rubriques

Régimes spéciaux d’indemnisation : victimes d’infractions

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 19 novembre 2015 publié au Bulletin, apporte des précisions sur les contours de la notion d’incapacité totale de travail (ITT) au sens de l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Rappelons qu’une victime d’une infraction pénale, sous réserve de satisfaire aux conditions de recevabilité exigée par la loi, peut saisir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) pour solliciter l’indemnisation des préjudices résultant de l’infraction pénale dont elle a été victime.

L’article 706-14 du code de procédure pénale pose le principe d’une réparation plafonnée. Toutefois, l’article 706-3 du même code prévoit la possibilité pour une victime d’infraction pénale d’obtenir devant la CIVI une réparation intégrale des préjudices résultant d’une atteinte à sa personne à condition de justifier d’un préjudice suffisamment grave à savoir :

  • les faits ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois,
  • les faits constituent une infraction de viol, d’agression sexuelle, de traite des êtres humains, ou d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.

Dans le présent arrêt commenté, la Cour de cassation rappelle que la cour d’appel de Rennes avait débouté la victime de sa demande au motif qu’elle ne justifiait pas d’une incapacité totale de travail dans la mesure où l’expert judiciaire avait retenu un déficit fonctionnel temporaire total de seulement deux jours.

À titre liminaire, il convient de rappeler que le déficit fonctionnel temporaire, selon la nomenclature Dintilhac

« cherche à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation […] et va traduire l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu’à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime, mais aussi à la “perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante” que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.) ».

Traditionnellement, la jurisprudence distingue le déficit fonctionnel temporaire total qui correspond aux seules périodes d’hospitalisation, du déficit fonctionnel partiel qui correspond aux périodes pendant laquelle la victime n’est plus hospitalisée mais continue à rencontrer, du fait de ses lésions, une incapacité fonctionnelle restreignant son activité personnelle. Le déficit fonctionnel temporaire partiel est dégressif jusqu’à la consolidation, répartie traditionnellement en 4 classes (Classe 4 : 75 % ; Classe 3 : 50 % ; Classe 2 : 25 % ; Classe 1 : 10 %).

Ainsi, la cour d’appel de Rennes assimilait incapacité totale de travail et déficit fonctionnaire temporaire total, excluant du calcul de cette incapacité les jours de déficit fonctionnel temporaire partiel évalué par l’expert au motif que la victime, durant cette période, pouvait se livrer à certaines activités. En effet, elle soutenait que la victime, qui exerçait la profession de représentant de commerce itinérant, si elle ne pouvait pas démarcher sa clientèle, pouvait toutefois faire de la comptabilité, passer des commandes, effectuer des activités annexes pendant la période d’incapacité partielle du 7 juin au 1er août 2008.

Cette interprétation est censurée par la Haute juridiction au motif

« qu’en statuant ainsi, en limitant la durée de l’incapacité totale de travail personnel causée à M. de X… par les faits présentant l’élément matériel de l’infraction de violences volontaires, à la durée du déficit fonctionnel temporaire total correspondant aux deux jours d’hospitalisation fixée par l’expert, la cour d’appel, a violé le texte susvisé ».

Dès lors, la Haute juridiction apprécie l’incapacité totale de travail telle que prévue par l’article 706-3 de manière totalement autonome, en la déconnectant des périodes d’hospitalisation. Ainsi, dans le décompte des jours d’ITT, le juge doit procéder à une appréciation globale en tenant compte des périodes d’incapacité qu’elles soient totales ou partielles.

On ne peut que saluer une telle solution. En effet, une position contraire aurait conduit à restreindre le dispositif d’indemnisation CIVI aux seules victimes justifiant d’une hospitalisation d’un mois, et exclure de facto, un certain nombre de victimes gravement atteintes mais ne justifiant pas d’une durée hospitalisation aussi longue.

Sur ce point, on rappellera que la solution retenue par les Conseillers du Quai de l’Horloge est conforme à l’esprit de la loi puisque le critère posé par l’article 706-3 a pour but de limiter l’accès au dispositif d’indemnisation aux préjudices suffisamment graves. Or, la durée d’hospitalisation n’est pas à elle seule, nécessairement synonyme de gravité du préjudice.

Cet arrêt amène également à s’interroger sur la pertinence de conserver la notion d’ITT que ce soit devant la CIVI mais plus largement en matière pénale. Cette notion, outre le fait qu’elle ne correspond pas à son appellation, n’étant pas nécessairement lié à l’exercice d’une activité professionnelle, n’est pas conforme à la réalité du préjudice. Ainsi, il est fréquent de constater que l’ITT pénal ne correspond pas à la réalité de l’incapacité subie par la victime.

À quand une réforme !

Document annexe

Citer cet article

Référence électronique

Quentin Mameri, « Précisions sur les contours de la notion d’ITT », Actualité juridique du dommage corporel [En ligne], 6 | 2015, mis en ligne le 17 novembre 2017, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=702

Auteur

Quentin Mameri

Avocat au Barreau de Paris, F-75017, Paris, France

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