Par cette décision du 25 juin 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation nous rappelle que :
- la réparation de l’assistance par tierce personne permanente (« ATP ») vise à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d’une aide à ses côtés pour l’accompagner dans la réalisation des actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie ;
- le coût de l’embauche d’un remplaçant par la victime doit intégralement être indemnisé au titre de ses pertes de gains professionnels actuels (« PGPA »), en ce y compris les charges sociales et fiscales.
En l’espèce, la victime est blessée suite à un accident de la circulation. Elle pilotait une motocyclette lorsqu’elle a été percutée un taureau qui divaguait sur la chaussée. Par jugement en date du 29 septembre 1998 le tribunal de grande instance condamne le propriétaire de l’animal (sur le fondement de l’article 1243 du Code civil, anciennement 1385) à la réparation des préjudices subis.
Sur l’assistance par tierce personne de la victime
Les magistrats reconnaissent unanimement l’existence d’un besoin en aide humaine pour la victime jusqu’à la reprise de ses activités professionnelles, soit jusqu’au 30 juillet 1998. Celle-ci obtient donc une réparation au titre de son assistance par tierce personne temporaire.
En revanche, au sein de son arrêt du 24 avril 2019, la cour d’appel de Rennes refuse d’accorder à la victime une indemnisation au titre de l’assistance permanente par tierce personne (« ATP »). Les juges considèrent effectivement que
« la persistance des gênes fonctionnelles douloureuses des deux poignets et du coude droit invoquées par la victime au soutien de sa demande d’allocation d’une indemnité pour l’aide par une tierce personne n’était pas de nature à le rendre tributaire d’une aide pour restaurer sa dignité ou suppléer sa perte d’autonomie ».
Cette position sera d’ailleurs confortée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation au sein de sa décision du 25 juin 2020. La Haute juridiction considère que les juges d’appel ont souverainement estimé qu’aucune indemnisation n’était due à ce titre pour la période postérieure au 30 juillet 1998. Elle précise :
« […] la cour d’appel qui, en dépit d’une maladresse d’expression, n’a pas limité l’indemnisation de ce poste de préjudice à l’impossibilité d’accomplir certains seulement des actes de la vie courante, a souverainement estimé qu’aucune indemnisation n’était due à ce titre pour la période postérieure au 30 juillet 1998 » (expression déjà employée V. Civ. 2e, 23 mai 2019, n° 18-16.651).
La victime semble bien souffrir, de manière permanente, de certaines gênes fonctionnelles (douleurs aux poignets et aux coudes) indemnisées au titre de son déficit fonctionnel permanent (« DFP »). En revanche, dans la mesure où elle n’est pas dans l’incapacité d’accomplir seule, sans la présence d’une assistance, certains actes essentiels de la vie quotidienne, ni être tributaire d’une aide de nature à préserver sa sécurité, contribuer à sa dignité et suppléer sa perte d’autonomie (suivant la définition retenue par la nomenclature « Dintilhac » : rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels), sa demande d’allocation d’indemnité au titre de l’assistance par tierce personne n’apparaît pas justifiée. La Haute juridiction rappelle ainsi que le besoin pour la victime de recourir à un tiers pour l’assister doit être caractérisé afin de pouvoir donner lieu à une indemnisation (en ce sens également V. Civ. 2e, 6 février 2020, n°18-26.779 et Civ. 2e, 13 juin 2019, n°18-19.604).
Sur la perte de gains professionnels actuels de la victime
La victime, chef d’entreprise, avait également été contrainte d’embaucher un salarié afin de la suppléer. La Cour de cassation indemnise l’indemnisation de ce remplaçant au titre des pertes de gains professionnels actuels (« PGPA »). En revanche, le total des sommes dépensées par la victime était de presque 159 000 € (salaires bruts), tandis que les sommes perçues par le salarié, déduction faite des charges sociales et fiscales, s’élevaient finalement à presque 59 000 € (salaires nets). Le calcul du préjudice subi pouvait donc varier dans des proportions considérables suivant la base de calcul retenue par les juges. La cour d’appel a fait le choix de limiter la réparation aux seuls salaires nets et exclue donc du montant finalement alloué à la victime les charges sociales et fiscales afférentes au coût de cette embauche. La Cour de cassation censure un tel raisonnement sur le fondement de l’application du principe de réparation intégrale. Elle précise, quant à elle, que les charges sociales et fiscales, assumées par la victime « pour pourvoir à son remplacement étaient en lien direct avec l’accident ». De fait, elles doivent donc être intégrées dans le calcul de l’indemnité qui lui est reversée au titre des pertes de gains professionnels actuels. En conséquence, la Haute juridiction prononce la cassation de l’arrêt au nom du respect du principe de réparation intégrale : le coût de l’embauche d’un remplaçant par la victime doit être indemnisé au titre de ses pertes de gains professionnels actuels (« PGPA »), en ce y compris les charges sociales et fiscales.