Apologie du terrorisme pour republication d’une tribune sans critique ni nuance

DOI : 10.35562/bacage.1176

Décision de justice

CA Grenoble, 2e ch. des appels correctionnels – N° 23298000079 – 26 septembre 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23298000079

Date de la décision : 26 septembre 2024

Résumé

Constitue le délit d’apologie du terrorisme la republication, sans critique ni nuance, d’une tribune qualifiant d’acte de résistance des actes de terrorisme dès lors que, manifestant une approbation aux propos tenus, elle incite à porter sur ces actes un jugement favorable.

Au‑delà de l’actualité renouvelée en matière d’apologie du terrorisme, notamment de la question de la place que l’infraction doit occuper dans l’œuvre législative1, le présent arrêt, rendu par la 2chambre des appels correctionnels de Grenoble le 26 septembre 2024, illustre la particularité d’une incrimination qui sanctionne davantage la banalisation du terrorisme qu’une opinion.

Peu de temps après l’attaque du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023, était republiée, sur le réseau social Facebook, une tribune d’un ancien ministre des affaires étrangères de la Tunisie intitulée « les lâches ». Dans cette dernière, celui‑ci qualifiait cet évènement d’acte de « résistance évident » à l’occupation du territoire palestinien, et dénonçait la qualification de terrorisme qui tenait à s’imposer dans le débat public. L’auteur de la republication, adjoint au maire d’une commune, commentait, en parallèle, des messages de soutien au peuple israélien, rappelant, en réponse, les exactions de son gouvernement, qualifié de « fasciste ».

Entendu librement le 16 octobre, il reconnaissait avoir réagi à chaud, et soutenait qu’il ignorait à l’époque qu’il s’agissait d’actes commis par le Hamas, pouvant être qualifiés d’actes de terrorisme. À la suite de l’échec d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, faute de reconnaissance de l’infraction par l’intéressé, ce dernier était poursuivi, devant le tribunal correctionnel de Grenoble, pour apologie publique d’un acte de terrorisme. Condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis par un jugement en date du 26 mars 2024, il interjetait appel de cette décision. Par un arrêt du 26 septembre 2024, la cour d’appel de Grenoble confirmait le jugement prononcé.

Dans sa décision, la cour d’appel écarte, préalablement et logiquement, le grief tenant à la contrariété des dispositions de l’article 421‑2‑5 du Code pénal au principe de légalité des délits et des peines invoqué par la défense. En effet, le Conseil constitutionnel, considérant que les dispositions de l’article 421‑2‑5 du Code pénal « ne revêtent pas un caractère équivoque et sont suffisamment précises pour garantir contre le risque d’arbitraire2 », avait d’ores et déjà écarté un tel grief dans sa décision QPC du 18 mai 2018.

Partant, la cour d’appel s’attache à établir les éléments constitutifs du délit. Aux termes de l’article 421‑2‑5 du Code pénal, est incriminé le fait de « faire publiquement l’apologie » des actes de terrorisme. Ainsi, l’infraction suppose que les propos, images ou actes, apologétiques, présentent un caractère public. Sur ce point, tel est manifestement le cas, dès lors qu’il s’agit, en l’espèce, de la republication d’une tribune sur une page Facebook ouverte au public3.

La caractérisation de la nature apologétique du comportement suppose, quant à elle, des développements plus fournis. L’article 421‑2‑5 ne définissant pas l’apologie, c’est à la jurisprudence qu’échut cette tâche. Au sens large, la notion d’apologie renvoie à l’éloge — au sens de la glorification — ou la justification, et vise à susciter une approbation morale. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que le délit consiste dans le fait « d’inciter autrui à porter un jugement favorable sur une infraction qualifiée de terroriste ou sur son auteur4 ».

Reprise par le Conseil constitutionnel, la formulation impose d’identifier, en premier lieu, une infraction expressément qualifiée par la loi d’acte de terrorisme. En pratique, ce n’est pas tant l’acte de terrorisme qui fait défaut. En effet, et contrairement à la provocation au terrorisme tournée vers un acte futur, il s’agit ici de réprimer celui qui, par ses propos, tente de conforter autrui durablement dans l’idée que l’acte de terrorisme — qui vient généralement de se commettre — « ne saurait souffrir d’une quelconque réprobation morale5 ». En l’espèce, il est possible de qualifier l’attaque du Hamas d’acte de terrorisme dès lors que, au‑delà de la nature des actes commis, tout comme le Hezbollah, le Hamas est qualifié d’organisation terroriste par les États‑Unis et l’Union européenne6. Une difficulté peut, cependant, apparaître lorsque l’auteur, réagissant à chaud et ignorant la nature réelle des actes, discute leur qualification. Tel était le cas dans notre affaire puisque le prévenu soutenait ignorer — au jour de la republication — qu’il s’agissait d’actes commis par la Hamas. Sur ce point, la cour d’appel rejette sans équivoque la méconnaissance invoquée en s’appuyant sur la date de la republication intervenue quatre jours après l’attaque. Ainsi et selon son raisonnement, le prévenu ne peut « se retrancher derrière sa simple émotion ni sa méconnaissance de ce qui s’était réellement passé au moment de ses publications » dès lors qu’à « cette date il n’y avait aucun doute possible sur le caractère terroriste des actes commis ».

Si l’affirmation peut sembler sévère, il est opportun de rappeler le sens de la répression dicté par le législateur en la matière : il ne s’agit pas de « réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes7 ». Dit autrement, le propos litigieux est assimilé « directement à des voies de fait ou à un acte matériel8 ». C’est notamment en ce sens que la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que le délit d’apologie est caractérisé, alors même que les propos litigieux « sont prononcés dans le cadre d’un débat d’intérêt général et se revendiquent comme participant d’un discours de nature politique9 ».

Une telle acception de l’apologie n’est pas sans conséquence sur la caractérisation, en second lieu, de l’incitation à porter sur ces actes un jugement favorable. C’est précisément « cet élément de justification du crime qui doit distinguer l’expression d’une opinion personnelle10 » de l’apologie. À cet égard, la particularité de l’espèce tient au fait qu’établir la matérialité du délit ne consiste pas à constater la nature apologétique de la tribune, mais à caractériser la nature incitative de sa republication : le fait litigieux est la republication. Selon la cour d’appel, et comme l’a considéré le tribunal correctionnel, « en n’apportant aucune critique ni nuance à cette tribune » lors de sa republication, le prévenu « a manifesté son approbation aux propos tenus. Cette approbation manifeste incite à porter un jugement favorable aux exactions commises ». En d’autres termes, la republication telle quelle d’une tribune apologétique équivaut à sa publication, ce qui doit être approuvé, dès lors que le délit d’apologie se propose de réprimer la diffusion des idées terroristes qui « pourrait faire de nouvelles émules11 ».

Une distinction pourrait, néanmoins, s’opérer lors de l’examen de l’élément intentionnel de l’incitation. Cela étant, la chose n’est pas si évidente. Il semble que « ne soit requise que la seule conscience de l’acte accompli (dol général), sans la recherche d’un but particulier12 ». Ce faisant, il suffit que l’auteur de la republication manifeste une appréciation favorable pour que sa volonté d’inciter autrui à la partager soit caractérisée. C’est ainsi que les juges d’appel tirent de l’approbation manifeste à la tribune, elle‑même déduite de sa republication sans critique ni nuance, la volonté du prévenu d’inciter autrui à porter un jugement favorable. Le raisonnement opéré par les juges est conforme à la place qu’occupe l’intention coupable dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation en la matière. En effet, cette dernière considère que l’intention coupable se déduit du seul « caractère volontaire des agissements13 ».

Ainsi, partager un jugement favorable sur des actes qualifiés de terrorisme, c’est inciter autrui à faire de même. Si la décision doit être approuvée de lege lata, qu’en serait‑il d’une republication accompagnée d’une critique ou nuancée ? Devra‑t‑on considérer qu’une telle démarche, de par le doute qu’elle est susceptible de faire naître dans l’esprit du public, est apologétique, dès lors que questionner la nature des actes, c’est, d’ores et déjà, porter sur un eux un jugement plus favorable que celui imposé par la morale ou le législateur ?

Notes

1 Voir la proposition de loi visant à abroger le délit d’apologie du terrorisme du Code pénal déposée le 19 novembre 2024 ; voir les observations du Comité des droits de l’homme des Nations unies du 6 décembre 2024 concernant le sixième rapport périodique de la France, notamment l’appel à « réexaminer l’article 421‑2‑5 du Code pénal qui réprime l’apologie des actes de terrorisme afin de s’assurer qu’il ne peut pas être invoqué de façon abusive pour restreindre indûment la liberté d’expression d’autrui ». Retour au texte

2 Cons. const. 18 mai 2018, no 2018‑706 QPC. Retour au texte

3 Sur ce point, il est à noter que l’alinéa 2 de l’article‑421‑2‑5 porte les peines à sept ans d'emprisonnement et 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. Retour au texte

4 Voir Cass. crim. 25 avril 2017, no 16‑83.331 ; Cass. crim. 27 nov. 2018, no 17‑83.602 ; Cass. crim. 11 déc. 2018, no 18‑82.712 ; Cass. crim. 4 juin 2019, no 18‑85.042. Retour au texte

5 T. Besse, La pénalisation de l’expression publique, Thèse, Limoges, 2018, p. 83. Retour au texte

6 Cette qualification est toutefois sujette à débat car la caractérisation de ces mouvements comme terroristes n’est pas universelle. À titre d’exemple, le Hamas n’est pas qualifié d’organisation terroriste par les Nations unies. Retour au texte

7 T. Besse, La pénalisation de l’expression publique, op. cit., p. 92 ; citant le projet de loi no 2110 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, étude d’impact. Retour au texte

8 Ibid. Retour au texte

9 Cass. crim., 27 nov. 2018, no 17‑83.602. Retour au texte

10 T. Besse, La pénalisation de l’expression publique, op. cit., p. 84. Retour au texte

11 E. Dreyer, Droit pénal spécial, 2e éd., Manuel, Paris, LGDJ, 2023, p. 131. Retour au texte

12 M.‑L. Rassat, Droit pénal spécial : infractions du Code pénal, 9e éd., Précis, Paris, Dalloz, 2024, p. 1034. Retour au texte

13 Cass. crim. 27 nov. 2018, no 17‑83.602. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Nicolas Pinède, « Apologie du terrorisme pour republication d’une tribune sans critique ni nuance », BACAGe [En ligne], 04 | 2025, mis en ligne le 16 juin 2025, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1176

Auteur

Nicolas Pinède

Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, Grenoble, 38000, France
nicolas.pinede[at]univ-grenoble-alpes.fr

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