Panorama introductif de jurisprudence sélectionnée issue de la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble (sections A et B)

1er semestre 2022

DOI : 10.35562/bacage.468

Résumé

Les décisions sélectionnées, rendues par la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble, donnent l’occasion de revenir, dans un premier temps, sur certaines notions fondamentales du droit du travail en offrant des illustrations concrètes des contentieux quotidiens. Dans un second temps, elles permettent un rappel utile de certaines erreurs de procédure aisément évitables.

Plan

L’actualité de la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble au premier semestre 2022 se démarque par la diversité des affaires dont elle a été saisie. Les contentieux recensés en droit du travail restent quantitativement plus importants qu’en matière de protection sociale et recouvrent, en tout cas en matière de conflit individuel, la diversité des problématiques propres au monde du travail. Avant de laisser la place aux analyses et commentaires d’arrêts sélectionnés en raison de leur qualité, de leur originalité ou de leur caractère actuel, un petit aperçu (nécessairement non exhaustif) de la jurisprudence rendue, en guise de propos liminaires, s’avère souhaitable. Qu’il s’agisse de la rupture du contrat de travail ou de son exécution, certaines décisions de la Cour de Grenoble sont en effet l’occasion de procéder à des rappels utiles de ce qu’il est attendu des différents acteurs du monde entrepreneurial quand il ne s’agit pas d’apporter des précisions attendues sur certaines notions.

Licenciement

Ces premières décisions offrent de nouvelles illustrations des exigences imposées en matière de licenciement, et plus particulièrement pour faute grave. En dépit de son absence de définition dans les textes, la jurisprudence la définit traditionnellement comme « résultant d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis1 ». L’appréciation de la gravité de la faute est circonstancielle et doit tenir compte d’un ensemble d’éléments que sont l’ancienneté du salarié, les conséquences de ses agissements et son passif disciplinaire. Surtout, il appartient à l’employeur qui invoque la faute grave d’en rapporter la preuve : à ce titre, l’inertie de l’employeur qui n’adopte aucune mesure de conservation des images de vidéosurveillance sollicitées par le salarié lors de son entretien préalable « met en exergue l’insuffisance probatoire de celui-ci quant à la faute reprochée à son salarié et soulève un doute sur la matérialité des faits reprochés2 ». De la même manière, l’employeur qui ne verse aux débats que des attestations, au demeurant non circonstanciées, rédigées par des individus ayant un lien de subordination avec l’entreprise (directeur des RH) ou un lien familial (parent du PDG) échoue à rapporter la preuve de la matérialité des faits qu’il reproche au salarié licencié3. Les attestations versées par des salariés de la société défenderesse doivent généralement être corroborées par des éléments objectifs pour établir la gravité de la faute imputée au salarié4.

Harcèlement moral

Plus délicate est la question de l’employeur qui, alerté par ses salariés du comportement inadapté d’un autre salarié (méthodes de management susceptibles, par leur répétition et leur nature, de constituer un harcèlement moral) licencie ce dernier pour faute grave. Dans ce cas précis, si la gravité de la faute est rapportée, en revanche, la Cour d’appel de Grenoble considère que « ne correspond pas à la notion de délai restreint la procédure disciplinaire enclenchée deux mois après la première alerte faite à l’employeur alors que ce dernier avait pu se convaincre de la réalité de la faute du salarié deux semaines après les premiers reproches faits sur le comportement du salarié5 ». De surcroît, les accusations de harcèlement moral portées à l’égard du salarié licencié sont d’autant plus difficiles à fonder la rupture du contrat que l’employeur ne justifie pas avoir lui-même mis en place l’ensemble des mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels – telle qu’une formation en matière de management. Dit autrement, il est bien plus compliqué, pour l’employeur, de rompre le contrat d’un salarié invoquant le comportement toxique de ce dernier à l’égard de ses collègues et la nécessité de les protéger s’il ne justifie pas lui-même avoir adopté des mesures préventives d’un tel comportement.

Lorsque c’est le salarié qui invoque être victime du harcèlement moral, ce comportement peut être constitué, entre autres, par la demande faite par l’employeur de restitution des outils de travail (véhicule, téléphone et ordinateur) en l’absence d’élément objectif étranger à tout harcèlement6. Bien souvent, il ressort des décisions commentées qu’une surcharge de travail subie par le salarié - l’amenant par exemple à devoir travailler pendant ses jours de repos - ainsi que des pressions quotidiennes exercées sur ce dernier en vue de communiquer ses résultats commerciaux plusieurs fois par jour7 sont autant d’éléments pouvant laisser présumer une situation de harcèlement moral… laquelle, en revanche, ne saurait être en soi, « ni la pression, ou le surmenage, ni le conflit personnel ou non entre salariés, ni les contraintes ou le recadrage par un supérieur hiérarchique d’un salarié défaillant dans la mise en œuvre de ses fonctions8 ».

Harcèlement sexuel

Lorsque le comportement fautif résulte du harcèlement sexuel du salarié à l’égard de ses collègues féminines, la cour rappelle que l’employeur a l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour éviter et/ou faire cesser un tel comportement ce qui implique la rupture immédiate du contrat de travail du salarié à l’origine d’une telle situation. Elle précise utilement que dans cette situation, il n’y a pas lieu à prendre en compte l’absence d’antécédents, ni même l’intention du salarié licencié pour apprécier la gravité des faits reprochés. En l’occurrence, il n’est pas besoin de démontrer l’existence de propositions sexuelles pour caractériser le harcèlement sexuel. Il convient donc de le dire et de le répéter : des propos adressés à des femmes, objectivement à connotation sexuelle, mêmes réalisés sur le ton de l’humour, suffisent à caractériser le harcèlement sexuel en ce qu’ils sont dégradants et ce, « peu importe que son auteur ait mésestimé la portée de ses agissements9 ».

Obligation de sécurité

Un manquement de l’employeur fréquemment constaté consiste en l’absence de mise en place d’un document unique d’évaluation des risques professionnels. Ce dernier peut toutefois invoquer, pour s’en dédouaner, la mise en place de diverses mesures participant directement ou non à la prévention des risques professionnels (outil en ligne d’amélioration de la qualité de vie au travail) ou l’organisation d’évènement festifs dans l’entreprise10.

Licenciement d’un salarié absent

Dans deux arrêts successifs rendus le même jour11, la Cour d’appel grenobloise énonce qu’il appartient au salarié, licencié pour faute grave, de rapporter la preuve d’avoir porté à la connaissance de son employeur les motifs de son absence (respectivement arrêt maladie et état de grossesse) laquelle peut s’analyser, à défaut, en abandon de poste. En outre, l’interdiction de licencier un salarié en raison de son état de santé ne signifie pas qu’il est interdit de procéder à son licenciement dès lors que celui-ci est motivé par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l’absence prolongée et/ou répétée du salarié. L’appréciation de ces perturbations est réalisée in concreto ; elles doivent « entraîner la nécessité pour l’employeur de procéder au remplacement définitif [du salarié absent] par l’engagement d’un autre salarié12 ».

Licenciement vexatoire

Lorsqu’il s’agit d’apprécier les circonstances du licenciement, il semble opportun de rappeler aux entreprises que caractérise un licenciement vexatoire le fait pour l’employeur de vider le bureau de son salarié en l’absence de celui-ci et de jeter ses affaires à la benne à déchet le matin de son entretien préalable de licenciement13.

Qualification d’une sanction administrative en une sanction disciplinaire (SNCF)

Dans un arrêt remarqué pour sa motivation14 les juges grenoblois ont requalifié une sanction administrative notifiée à un agent SNCF, laquelle consistait en une suppression temporaire de son bénéfice de circulation, en une sanction pécuniaire – dès lors prohibée par l’article L. 1331-2 du Code du travail – et disciplinaire. Toutefois, en dépit de l’annulation de cette sanction, le salarié ne peut se faire rembourser les frais de transport concomitant à cette sanction que s’il démontre, effectivement, que ces dépenses résultent « du retrait de ses facilités de transport par train ».

Exécution déloyale – travail dissimulé

Les condamnations pour travail dissimulé sont assez rares en raison des difficultés à rapporter la preuve de l’intention de l’employeur et leur occurrence mérite dès lors d’être relevée. Ainsi, l’employeur qui s’abstient de déclarer les avantages en nature perçus par son salarié employé en qualité de gardien (attribution obligatoire d’un logement) et qui ne déclare qu’une partie de sa rémunération, de surcroît, au nom de son père, ne saurait arguer de l’ignorance de l’amplitude de travail du salarié. En outre, les juges considèrent que l’employeur « qui abuse de sa position afin de se soustraite au droit du travail et [qui] a maintenu [sa salariée] dans une relation de travail avec une rémunération minimale ne lui permettant pas de vivre dans des conditions décentes » commet une faute caractérisant l’exécution déloyale du contrat de travail15. A l’inverse, n’est pas constitutif d’une exécution déloyale du contrat de travail le fait par l’employeur d’appeler cinq fois par jour son salarié, ce dernier « étant à la disposition de son employeur durant ses horaires de travail, il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir recours à un moyen de communication pour le contacter, afin, entre autres, de lui transmettre des directives, sauf au salarié à démontrer l’existence d’un abus de l’employeur dans l’exercice de ce droit16 ».

Horaires de travail – charge de la preuve

Motivant sa décision au visa du droit de l'Union européenne, la Cour d’appel de Grenoble a jugé que l’employeur n’est pas fondé à contester les calculs du salarié rapportant ses horaires de travail « en ce qu’ils déduisent de manière systématique une heure de pause par jour alors qu’il lui appartient de justifier que les durées maximales de travail, quotidienne ou hebdomadaire, les temps de repos ou les temps de pause ont été bien respectés ou appliqués. L’employeur sur qui pèse une obligation de sécurité, ne peut donc pas reprocher au salarié d’évaluer forfaitairement les prises de pauses sans précision, dès lors que c’est sur lui que pèse la charge de la preuve de la prise effective de ces pauses. En l’occurrence, la société X ne produit aucun élément attestation de la prise effective de ces pauses17 ».

Clauses insérées dans le contrat de travail (qualification)

Une indemnité de licenciement prévue au contrat de travail revêt la nature d’une clause pénale au sens de l’article 1231-5 du Code civil18 dont le caractère manifestement excessif (en l’espèce, 18 mois de salaire) s’apprécie au regard du préjudice subi par le créancier au titre de la rupture du contrat de travail. Les difficultés économiques de la société sont impropres, en elles-mêmes, à justifier du caractère manifestement excessif du montant de la clause19. Une clause de résidence imposant la domiciliation du salarié dans un périmètre de 30 kilomètres autour de son lieu de travail, étant précisé que le salarié habitait déjà dans la région au moment de la signature du contrat, n’est pas abusive. En revanche, une clause de mobilité imposant au salarié un détachement temporaire dans « tout autre société appartenant au même groupe » est nulle en ce qu’elle engage le salarié à accepter par anticipation un changement d’employeur20.

Rupture conventionnelle

La convention emportant rupture de la relation salariale sans toutefois en régler les conséquences pécuniaires ne peut s’analyser comme une transaction. Dès lors, cette rupture d’un commun accord n’ayant pas été soumise aux impératifs légaux n’est pas une rupture conventionnelle et produit donc les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse21.

Reconnaissance d’une relation salariale (lien de subordination)

La question de l’existence ou de l’inexistence d’une relation de travail est souvent abordée dans les contentieux impliquant l’intervention du Régime des Garanties des Salaires (AGS) lequel, pour rappel, garantit le paiement des créances salariales en cas d’insuffisance du passif de la société liquidée. La Cour d’appel de Grenoble a, plusieurs fois, refusé de reconnaitre le lien de subordination entre le salarié revendiqué et l’entreprise en difficulté. Dans une première décision, l’employé qui, après avoir démissionné de ses mandats sociaux, continue d’assurer une présidence de fait (déduite notamment de la totale autonomie dont il dispose dans la gestion de son travail), ne peut revendiquer la qualité de salarié22. Dans le second cas se posait la question de savoir si le lien de parenté entre l’employeur et le salarié s’opposait à la reconnaissance d’un lien de subordination de nature salariale entre eux. Pas nécessairement. Dans une première affaire impliquant une mère employée par son fils, la Cour d’appel constate l’insuffisance de l’existence d’un contrat de travail écrit au regard des conditions de fait dans lesquelles s’exerce l’activité professionnelle et conclut à l’absence de relation salariale23. Le lien de parenté est ainsi un élément parmi d’autres qui permet d’établir l’existence ou l’inexistence d’un lien de subordination. Dans une seconde affaire, la juridiction grenobloise rappelle qu’en présence d’un contrat apparent, corroboré par une activité commerciale exercée effectivement par le directeur commercial pour le compte et la subordination du président de cette société qui est également son frère, il appartient à l’AGS de rapporter la preuve du caractère fictif dudit contrat24.

AGS – créance salariale

La contestation du caractère salarial de la créance soulevée par les AGS peut se fonder sur l’absence de réclamation du salaire non versé par le salarié à condition que soit démontrée une renonciation non équivoque de sa part – i.e. un acte positif. Ainsi, l’absence de réaction du salarié à la lettre du liquidateur pendant une durée de 10 mois ne peut être assimilée à un renoncement au paiement de ses créances salariales : « la volonté de nover [la créance salariale en créance civile] ne peut être déduite de la seule absence de réclamation du paiement des salaires, même motivée par le souci évident de permettre à l’entreprise de surmonter ses difficultés en trésorerie25 ».

Action en nullité d’une convention de forfait - prescription

L’action en nullité d’une convention de forfait jour s’analyse en une action en restitution de gains et de salaire qui est soumise au délai de prescription triennale applicable aux actions de paiement des salaires en application de l’article L. 3245-1 du Code du travail. « La circonstance que, pour fonder sa demande de rappel de salaires, le salarié se prévale d’un vice affectant la convention de forfait, même ancien, n’a pas d’incidence sur le point de départ du délai de prescription de l’action » ; dans cette affaire26, les juges font partir le point de départ du délai pour agir à compter de la date de rupture du contrat de travail du salarié.

Intérim

L’entreprise intérimaire doit s’assurer que le poste occupé par le salarié est conforme aux exigences de la convention collective applicable ; elle ne peut s’exonérer de sa responsabilité au motif pris de son seul respect du contrat de mise à disposition conclu avec l’entreprise utilisatrice. Par ailleurs, et à toutes fins utiles, les juges rappellent que le recrutement par intérim n’impacte pas le travail fourni pour l’employeur en contrepartie de la rémunération versée ; autrement dit, l’entreprise intérimaire doit s’assurer que l’employé mis à disposition de l’entreprise utilisatrice perçoit une rémunération équivalente aux salariés de droit commun de l’entreprise, au risque d’être condamnée pour rupture d’égalité27.

Procédure

En termes de temporalité judiciaire, la plupart des arrêts rendus en cette première moitié de l’année 2022 intervient dans un délai moyen de 2 ans et demi à compter de la déclaration d’appel. Si les questions de procédure sont quantitativement peu nombreuses, elles concernent très souvent le régime de l’appel. Dans une moindre mesure, elles résultent d’erreurs, maladresses ou oublis commis par les parties et qui auraient dû être évités.

Partage de compétence (rappel)

Sur les difficultés, récurrentes, de partage des compétences entre les juridictions prud’homales et les juridictions des affaires sociales il convient de rappeler, une fois de plus, que la juridiction prud’homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre de la perte de l’emploi. De la même manière, une demande de dommages et intérêts fondée sur les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité relève de la compétence exclusive de la juridiction prud’homale en ce qu’elle a trait aux conditions d’exécution du contrat de travail28. Par ailleurs, lorsqu’elle apprécie, souverainement, le lien entre l’inaptitude professionnelle constatée et l’accident ou la maladie professionnelle invoquée par le salarié, la juridiction prud’homale n’est pas liée par la décision d’un organisme de sécurité sociale de prise en charge d’un arrêt de travail au titre d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle29. Enfin, utile précision concernant les régimes de prescription des actions exercées devant l’ancien tribunal des affaires sociales et le conseil des Prud’hommes puisque la juridiction grenobloise admet que l’action en reconnaissance des manquements de l’employeur à ses obligations légales de sécurité peut être interrompue par une action en reconnaissance de la faute inexcusable de ce dernier adressée devant une autre juridiction, étant donné que ces deux actions se fondent sur le même contrat de travail30.

Appel – déclaration

Les juges grenoblois ont été amenés, à plusieurs reprises, à se prononcer sur la question de la caducité de l’appel. Ainsi, l’absence de mention, dans la déclaration d’appel, des prétentions soutenues par l’appelant est régularisée par la formulation de ses prétentions dans ses dernières écritures31. En revanche, l’appelant qui ne respecte pas les obligations de l’articles 902, al. 2 et 3 du CPC [relatives à l’envoi de la déclaration d’appel dans le délai d’un mois à compter de l’avis du greffe à l’intimé dans le cas où celui-ci n’a pas constitué avocat] ne peut soutenir que la constitution d’avocat de la partie intimée (suivie du dépôt des conclusions devant le CME) intervenue avant la décision de caducité déférée mais après la signification de la seconde déclaration d’appel un mois et quinze jours après l’avis du greffe couvre la caducité encourue. Autrement dit, la cour rappelle que l’article 902 du CPC ne dispense l’appelant de son obligation de signification de la déclaration d’appel que si l’intimé a constitué avocat avant celle-ci32.

Relativement à l’irrecevabilité des nouvelles demandes formées pour la première fois en appel, les juges ont rappelé que la demande formée au titre de l’indemnité spéciale de licenciement n’est ni l’accessoire, ni la conséquence, ni le complément nécessaire des prétentions originaires lesquelles portaient sur le paiement d’une indemnité compensatrice de préavis des suites de la nullité de licenciement33. En ce sens, tombe sous le joug de la prohibition de l’article 564 du CPC34 la demande de contestation du licenciement formée en appel alors que le salarié avait saisi la juridiction prud’homale des demandes de paiement de créances et salariales et d’indemnisation en raison du non-respect, par l’employeur, de ses obligations de reclassement et de sécurité35.

Demande additionnelle : appréciation de l’objet du litige

En revanche, dans le cadre de l’appréciation des conditions de recevabilité d’une demande additionnelle (CPC, art. 65) telle qu’invoquée par la société défenderesse, les juges ont estimé qu’une demande formée à titre principal puis à titre subsidiaire en cours d’instance et portant sur le rappel d’indemnités journalières de la sécurité sociale (IJSS) tendait aux mêmes fins (obtenir le paiement des sommes dues au titre de son arrêt de travail) que la demande de rappel de salaire formée à titre principal dans les dernières écritures et portant sur la même période d’arrêt de travail ; dès lors, la demande principale formée en cours d’instance ne constitue pas une demande additionnelle36

Demande nouvelle en appel

La demande initiale rédigée en ces termes « autre demande : mise en danger d’autrui : 30 000 € » peut être requalifiée en appel comme une demande formée au titre du harcèlement moral sans nécessairement constituer une demande nouvelle au sens de l’article 564 du CPC37.

Relevé d’office

A toutes fins utiles, il semble nécessaire de rappeler que le salarié qui sollicite, ensemble à titre principal, la nullité de son contrat de travail et une indemnité compensatrice de préavis (et diverses créances salariales) se verra opposer une fin de non-recevoir en raison de la contradiction des moyens et prétentions. Cette fin de non-recevoir peut non seulement être relevée d’office par le juge mais aussi justifier le rabat de l’ordonnance de clôture au motif que « nul n’est censé se contredire au détriment d’autrui38 ».

Structuration et rédaction des écritures : des erreurs évitables

En dépit d’une jurisprudence récente (et inédite) de la Cour de cassation39, le recours aux expressions « dire et juger » et « constater » dans le dispositif des conclusions des parties ne caractérisent pas nécessairement des prétentions40 lorsque ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert41. De la même manière, les expressions du type « il semblerait que la demande de Monsieur ou Madame X soit prescrite », par ailleurs indiquée dans le seul corps des conclusions sans figurer dans le dispositif, ne saisissent pas la juridiction42. Enfin, petit rappel utile pour certains : une exception de procédure soulevée à titre subsidiaire après la défense au fond est irrecevable quand bien même les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public43.

Notes

1 Cass. Soc., 26 février 1991, n° 88-44.908 Retour au texte

2 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 27 janvier 2022, n° 19/3981 Retour au texte

3 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 18 janvier 2022, n° 19/04146 Retour au texte

4 CA Grenoble, Ch. Soc. B. 5 mai 2022, n° 20/01677 Retour au texte

5 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 10 mars 2022, n° 20/00561 Retour au texte

6 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 10 mars 2022, n° 19/05056 Retour au texte

7 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 21 janvier 2022, n° 19/3433 Retour au texte

8 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 25 janvier 2022, n° 19/02639 Retour au texte

9 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 8 mars 2022, n° 19/02705 Retour au texte

10 CA Grenoble, Ch. Soc., préc., n° 20/00561 Retour au texte

11 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 5 mai 2022, n° 20/01365 ; CA Grenoble, Ch. Soc. B, 5 mai 2022, n° 20/01322 Retour au texte

12 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 20/00061 Retour au texte

13 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 19/05041 Retour au texte

14 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 5 mai 2022, n° 20/01416 Retour au texte

15 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 21/03568 Retour au texte

16 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 20/03075 Retour au texte

17 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 14 avril 2022 n° 21/04323 Retour au texte

18 C. civ., art. 1231-5, al. 1 & 2 : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». Retour au texte

19 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 10 mars 2022, n° 20/00245 Retour au texte

20 CA Grenoble, Ch. Soc. préc. n° 19/3981 Retour au texte

21 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 10 mars 2022, n° 20/00317 Retour au texte

22 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 11 janvier 2022, n° 21/03298 Retour au texte

23 CA Grenoble, Ch. Soc. préc. n° 20/00245 Retour au texte

24 CA Grenoble, Ch. Soc., B. 10 mars 2022, n° 20/00245 Retour au texte

25 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 5 mai 2022, n° 20/01449 Retour au texte

26 CA Grenoble, Ch. Soc. A, préc., n° 19/05041 Retour au texte

27 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 20/03052 Retour au texte

28 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 18 janvier 2022, n° 19/02432 Retour au texte

29 CA Grenoble, Ch. Soc., préc. n° 19/05056 Retour au texte

30 CA Grenoble, Ch. Soc. 8 mars 2022, n° 20/00816 Retour au texte

31 CA Grenoble, Ch. Soc. B, préc, n° 20/00317 Retour au texte

32 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 6 janvier 2022, n° 21/02146 Retour au texte

33 CA Grenoble, Ch. Soc., préc. n° 19/05056 Retour au texte

34 CPC, art. 564 : « A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». Retour au texte

35 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 19/03873 Retour au texte

36 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 20/03045 Retour au texte

37 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 3 mai 2022, n° 19/04333 Retour au texte

38 CA Grenoble, Ch. Soc. B, 13 janvier 2022, n° 19/4685 Retour au texte

39 Cass. Civ. 2e, 13 avril 2023, n° 21-21.463 Retour au texte

40 Cass. Civ. 2e, 9 janvier 2020, n° 18-18.778 Retour au texte

41 CA Grenoble, Ch. Soc. 25 janvier 2022, A, n° 19/01809 Retour au texte

42 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 25 janvier 2022, n° 19/02122 Retour au texte

43 CA Grenoble, Ch. Soc. A, 25 janvier 2022, n° 19/02647 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Julie Courtois, « Panorama introductif de jurisprudence sélectionnée issue de la chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble (sections A et B) », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 08 décembre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=468

Auteur

Julie Courtois

Maitresse de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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