La question relative à la possibilité pour les services enquêteurs d’ouvrir une enquête sur la seule base d’une dénonciation anonyme revient régulièrement dans les prétoires. La récurrence de l’interrogation tient probablement au fait que la dénonciation anonyme ne permet d’ouvrir qu’un seul type d’enquête : l’enquête préliminaire, dont le régime a été quelque peu modifié par la récente loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire1. Il est en effet de jurisprudence constante que l’ouverture d’une enquête de flagrance sur la seule base d’une dénonciation anonyme est nulle2‚ sauf à ce que des vérifications apportant des indices précis et concordants permettant d’établir l’état de flagrance soient diligentées3, de sorte que, « si les policiers sont renseignés anonymement, ils doivent ouvrir une enquête préliminaire »4. De ce point de vue, l’on peine donc à suivre le raisonnement proposé par la 6e chambre des appels correctionnels qui, pour justifier du rejet d’exceptions de nullité tirées de ce que les services enquêteurs ont ouvert une enquête préliminaire sur la seule base d’une dénonciation anonyme, affirme que l’ouverture de ladite enquête est régulière et conforme à l’article 75 du Code de procédure pénale dès lors qu’elle ne s’est pas faite uniquement sur la base de l’information anonyme.
En l’espèce, les policiers sont destinataires‚ le 9 octobre 2018‚ d’une information selon laquelle un homme détiendrait à son domicile des armes accompagnées de leurs munitions. La personne informatrice, digne de confiance selon les policiers, désire conserver l’anonymat. Les enquêteurs ouvrent donc sur cette base une enquête préliminaire des chefs de détention d’armes et de munition de catégorie A et B. Après consultation du fichier de traitements des antécédents judiciaires (TAJ), ils constatent que la personne dénoncée est très défavorablement connue de leurs services pour avoir été condamnée à de nombreuses reprises, notamment pour des faits de vol à main armée et port ou détention d’arme prohibée. Après avoir vérifié l’adresse de la personne dénoncée, les services enquêteurs sollicitent l’autorisation de procéder à la perquisition de son domicile sans son assentiment et aux saisies. Le juge des libertés et de la détention (JLD) fait droit à cette demande‚ et le procureur de la république autorise donc les enquêteurs à faire comparaître la personne dénoncée avec usage de la force publique. Interpellé et placé en garde à vue‚ l’homme indique bien posséder des armes‚ ce que les résultats de la perquisition menée à son domicile confirment. Devant le tribunal correctionnel, le prévenu soulève la nullité de l’enquête préliminaire, ainsi que la nullité de l’ensemble des actes subséquents, au motif que les policiers ont ouvert cette enquête sur la seule base d’une dénonciation anonyme. Le tribunal correctionnel rejette les exceptions de nullité, déclare le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés, et le condamne en conséquence à une peine de sept mois d’emprisonnement sans sursis, à l’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation pour une durée de cinq ans, et ordonne que cette sanction soit inscrite au fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA). Ce jugement, frappé d’appel par le prévenu, est toutefois partiellement confirmé en appel, par arrêt contradictoire en date du 5 janvier 2022, rendu par la 6e chambre des appels correctionnels qui, à son tour, rejette les exceptions de nullité présentées par le prévenu, confirme sa culpabilité, mais infirme la peine d’emprisonnement prononcée en première instance dont le quantum est ramené à six mois‚ permettant ainsi son aménagement ab initio sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique.
Pour rejeter les exceptions de nullité soulevées par le prévenu, la 6e chambre des appels correctionnels indique dans son arrêt que l’enquête préliminaire est régulière et conforme aux dispositions de l’article 75 du Code de procédure pénale dès lors qu’elle ne s’est pas faite uniquement sur la base de l’information anonyme. Il est pourtant de jurisprudence constante5 que l’ouverture d’une enquête préliminaire fondée sur l’existence d’une information anonyme n’est soumise au respect d’aucune autre condition que celle, précisément, de l’existence d’une information anonyme. De ce point de vue, les magistrats de la 6e chambre des appels correctionnels ajoutent donc une condition à la régularité de l’ouverture d’une enquête préliminaire fondée sur une dénonciation anonyme qui n’est prévue ni par le Code de procédure pénale, ni par la Cour de cassation : celle de l’existence d’indices permettant de soupçonner la commission d’une infraction. Le raisonnement nous semble contestable en ce qu’il s’appuie sur une confusion entre les conditions d’ouverture d’une enquête préliminaire fondée sur une dénonciation anonyme, et celles qui régissent la réalisation d’actes coercitifs au sein d’une telle enquête. Si l’ouverture n’est conditionnée que par la seule existence d’une information anonyme, l’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation montre toutefois qu’elle considère avec constance que la dénonciation anonyme ne constituant pas une raison plausible de soupçonner la commission d’une infraction6, elle ne peut justifier le recours à des mesures coercitives prévues par le Code de procédure pénale qui exigent un tel indice objectif. En ce sens par exemple, elle n’autorise pas un contrôle d’identité fondé sur l’article 78-2, alinéa 1er, du Code de procédure pénale7 ou l’ouverture d’une enquête de flagrance dans le cadre de laquelle les services enquêteurs disposent précisément de pouvoirs coercitifs étendus8. En l’espèce, la perquisition du domicile du suspect a été réalisée par les services enquêteurs. La question de la régularité de cette perquisition pouvait donc se poser dans la mesure où‚ s’agissant d’un acte coercitif, elle ne pouvait être fondée sur le seul renseignement anonyme dont disposaient les services enquêteurs. Et tel n’était pas le cas puisque, avant de solliciter du JLD l’autorisation de perquisitionner le domicile du suspect sans son assentiment, les services enquêteurs avaient pris soin de procéder à des vérifications permettant d’étayer le soupçon d’infraction qu’avait fait naître la dénonciation anonyme. Tel était le cas de la consultation du TAJ qui a permis d’établir que le suspect faisait l’objet de très nombreux antécédents, notamment pour des faits d’atteinte aux personnes‚ et en particulier pour des faits de vol à main armée ainsi que pour des faits de port ou détention d’arme prohibée, ou encore l’examen de son casier judiciaire qui a permis d’établir un nombre important de condamnations‚ dont plusieurs pour des faits commis avec la circonstance aggravante de l’usage d’une arme. Ces éléments constituaient des raisons plausibles de soupçonner que le prévenu avait commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni de cinq ans d’emprisonnement, rendant ainsi la mesure de garde-à-vue prise à son encontre tout à fait légale‚ de même que l’ordonnance du JLD ayant autorisé la perquisition de son domicile sans son assentiment, lequel a notamment motivé sa décision en évoquant le casier judiciaire de l’intéressé. La dénonciation anonyme n’ayant servi qu’à orienter les enquêteurs qui n’ont poussé leurs investigations qu’une fois que la dénonciation a été corroborée par d’autres éléments‚ la procédure n’était donc pas susceptible d’être annulée de ce chef. Reste que la formule retenue dans les motifs de l’arrêt, selon laquelle « l’ouverture d’une enquête préliminaire, qui ne s’est pas faite uniquement sur la base de l’information anonyme, était régulière et conforme à l’article 75 du code de procédure pénale », introduit une confusion regrettable entre les conditions qui doivent être réunies pour qu’une enquête préliminaire puisse être ouverte sur la base d’une simple dénonciation anonyme, d’une part, et les conditions qui doivent être réunies pour que les services enquêteurs puissent accomplir ou réaliser certains actes coercitifs dans ce type d’enquête, d’autre part.
En conclusion, il faut espérer que la 6e chambre des appels correctionnels aura l’occasion de clarifier sa position en rappelant‚ conformément à l’article 75 du Code de procédure pénale et à l’interprétation qu’en fait la chambre criminelle de la Cour de cassation que‚ si une dénonciation anonyme ne peut constituer une raison plausible de soupçonner la commission d’une infraction justifiant le recours à des mesures coercitives prévues par le Code de procédure pénale qui exigent un tel indice objectif dans le cadre de l’enquête préliminaire‚ elle permet en revanche aux services enquêteurs d’ouvrir une telle enquête‚ sans qu’il soit besoin de justifier de l’existence d’autres éléments venant corroborer l’information anonyme.