Effectivité du droit à un interprète et recevabilité des exceptions de nullité présentées pour la première fois en cause d’appel : quelques rappels utiles

DOI : 10.35562/bacage.1229

Décision de justice

CA Grenoble, ch. des appels correctionnels – N° 23/00692 – 04 novembre 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23/00692

Date de la décision : 04 novembre 2024

Résumé

Dans un arrêt rendu le 4 novembre 2024, la chambre des appels correctionnels rappelle, d’une part, que la nullité d’une garde à vue pour violation de l’article 63‑1 du Code de procédure pénale qui impose que la notification des droits d’une personne qui ne comprend pas le français soit faite par un interprète, ne peut être que rejetée en présence d’éléments au dossier mettant en évidence la parfaite maîtrise de la langue française par le prévenu ; d’autre part, qu’à compter de l’instant où le prévenu n’était ni présent, ni représenté en première instance, il dispose de la faculté de soulever pour la première fois en cause d’appel des exceptions de nullité avant toute défense au fond.

Plan

Si le respect des droits de la défense constitue un principe essentiel de la procédure pénale affirmé par l’article préliminaire du Code de procédure pénale et par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, cette notion regroupe en réalité plusieurs droits : le droit d’être informé des charges pesant sur soi, le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense, le droit de se défendre soi‑même ou de choisir son avocat, le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins, ou encore le droit à un interprète qui est le dernier des droits visés par l’article 6 § 3. Il appartient au juge d’assurer l’effectivité des droits de la défense tout au long de la procédure pénale1, que ce soit en annulant tout acte de procédure qui aurait été établi en violation de ces droits notamment, à supposer bien évidemment que la violation alléguée soit constatée par le juge, mais également en aménageant les règles de procédure qui, en raison des forclusions qu’elles imposent, risquent, dans certains cas de figure, de faire obstacle aux droits de la défense en interdisant à la personne poursuivie de soulever la nullité des actes de procédures accomplis en violation de ses droits. Deux cas de figure dont la chambre des appels correctionnels a eu à connaître dans un arrêt rendu le 4 novembre 2024.

En l’espèce‚ à l’occasion d’un contrôle routier réalisé suite à la commission par le conducteur d’un véhicule de plusieurs contraventions au Code de la route, les fonctionnaires de police constatent que le véhicule a été cédé et qu’il est déjà immatriculé sans certificat d’immatriculation établi au nom du nouveau propriétaire, M. Z. qui devait faire l’objet quelques semaines plus tard d’une audition libre au cours de laquelle il reconnaissait les faits, précisait que le véhicule appartenait à son oncle, et qu’il n’était pas informé que celui‑ci n’était pas assuré. Il déclarait qu’il pensait avoir le droit de conduire en France avec son permis roumain, qu’il disait cependant avoir perdu. Les policiers contactaient l’ambassade de Roumanie qui leur révélait que M. Z. n’était pas titulaire du permis de conduire. Convoqué à nouveau, M. Z. ne répondait plus aux sollicitations des enquêteurs. Il était inscrit au Fichier des Personnes Recherchées. Plusieurs mois plus tard, M. Z. fut interpelé par une patrouille qui constatait la commission de plusieurs délits routiers et relevaient lors du contrôle une forte odeur de cannabis émanant de l’habitacle du véhicule contrôlée. M. Z. reconnaissait que la cigarette qu’il était en train de fumer contenait du cannabis et leur remettait un sachet plastique contenant une boulette de résine de cannabis et une tête d’herbe de cannabis. Un test salivaire affichant un résultat positif au THC et les résultats d’analyses toxicologiques devaient confirmer l’usage de cannabinoïdes. M. Z. leur présentait un passeport roumain et déclarait que le véhicule appartenait à une amie et qu’il n’en avait donc pas les papiers. Il ajoutait être titulaire d’un permis de conduire roumain qu’il avait cependant oublié dans le squat dans lequel il vivait avec cette amie. Il admettait être en France depuis plusieurs années sans titre de séjour. Après avoir consulté différents fichiers leur ayant permis de constater qu’aucun permis valide au nom de M. Z. n’apparaissait et qu’il était par ailleurs détenteur d’une fiche active au fichier des personnes recherchées pour défaut de permis de conduire et défaut d’assurance, les policiers décidaient de placer M. Z. en garde à vue. Entendu, M. Z. déclarait avoir pris la voiture pour aller chercher à manger pour son animal de compagnie. Il reconnaissait conduire sans ceinture de sécurité et réaffirmait ne pas savoir qu’il n’avait pas le droit de conduire en France avec un permis roumain, bien que l’ambassade de Roumanie ait déjà précisé qu’il n’en était pas titulaire. Il admettait être le propriétaire du cannabis trouvé en sa possession et en avoir fumé dans la matinée. Il déclarait consommer du cannabis tous les deux ou trois jours. Les policiers lui remettaient une convocation en vue d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, doublée d’une convocation devant le tribunal correctionnel. L’examen de l’affaire était finalement renvoyé à une audience à laquelle M. Z. ne comparaissait pas. Par jugement contradictoire à signifier, le tribunal correctionnel a déclaré M. Z. coupables des faits reprochés et entrait logiquement en voie de condamnation.

Devant la chambre des appels correctionnels où il a comparu assisté d’un interprète et de son conseil, le prévenu, par l’intermédiaire de son avocat, a soulevé des exceptions de nullité avant toute défense au fond pour la première fois en cause d’appel arguant que celles‑ci sont recevables bien qu’elles n’aient pas été soulevées en première instance, dès lors que le prévenu n’était pas présent et non représenté à l’audience devant le tribunal correctionnel. Il soutenait que la garde à vue et les actes subséquents devait être frappés de nullité dans la mesure où le prévenu se serait vu notifier ses droits en l’absence d’interprète et d’avocat, dans une langue qu’il ne comprenait pas. Le prévenu déclarait avoir ainsi renoncé à une contre‑expertise après que le test salivaire a été positif au cannabis sans comprendre la portée des questions qui lui étaient ainsi soumises. Il affirmait en outre que l’acte de saisine du tribunal n’était pas valable dès lors qu’il avait été rédigé en français, donc dans une langue incompréhensible pour lui.

Dans son arrêt en date du 4 novembre 2024, la chambre des appels correctionnels rejette les exceptions de nullité aux motifs que, si l’article 63‑1 du Code de procédure pénale relatif à la garde à vue impose que la notification des droits d’une personne qui ne comprend pas le-français, soit faite par un interprète, le cas échéant après qu’un formulaire lui a été remis pour son information immédiate, en l’espèce, plusieurs éléments présents au dossier mettaient en évidence que le prévenu maîtrisait la langue française. Ainsi, lors du premier contrôle routier, les gendarmes avaient échangé avec le prévenu sans la présence d’un interprète, celui‑ci étant en mesure de fournir des explications quant au véhicule, à son permis de conduire, à son titre de séjour mais également de détailler sa situation personnelle. De fait le prévenu a témoigné à cette occasion de sa connaissance de la langue française, et que c’est donc à juste titre que ses droits de gardé à vue lui ont effectivement été notifiés en langue française, précision étant d’ailleurs faite par les gendarmes qu’il comprenait le français. En outre, la chambre des appels correctionnels relève que le prévenu n’a d’ailleurs pas demandé à être assisté d’un interprète mais a sollicité que sa concubine soit prévenue, que l’audition du prévenu s’est, de fait, également déroulée sans interprète, et qu’il a encore, à cette occasion, confirmé sa parfaite maîtrise de la langue française, au vu des explications une nouvelle fois produites. La chambre des appels correctionnels relève que le prévenu a refusé une contre‑expertise en toute connaissance de cause, en remplissant le formulaire d’information suite à la notification des résultats d’analyse du prélèvement salivaire, et que, compte‑tenu de ces éléments, l’ensemble des exceptions de nullités soulevées ne pouvait qu’être rejetées, la convocation par OPJ qui a été remise au prévenu en vue de l’audience CRPC, lui ayant, pour les mêmes motifs, été adressée à juste titre en français.

1. Pas de droit à un interprète pour le gardé à vue qui maîtrise la langue française

Tel est le premier rappel auquel procède la chambre des appels correctionnels dans son arrêt du 4 novembre 2024. La solution doit en effet être pleinement approuvée dès lors que ce droit est garanti, par l’article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, à toute personne suspectée ou poursuivie qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue de l’État membre sur le territoire duquel elle fait l’objet d’une procédure pénale. En droit interne, depuis la loi no 2013‑711 transposant la Directive du 2010/64/UE du 20 octobre 2010, le droit à un interprète est consacré par l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui prévoit que « si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent Code ». De nombreuses dispositions éparses garantissaient déjà le droit à un interprète, sans attendre cette transposition, notamment lors de l’audition au cours d’une garde à vue2 ou lors de l’interrogatoire par le juge d’instruction3. Concernant la garde à vue justement, il sera rappelé que l’article 63‑1 du Code de procédure pénale prévoit d’ailleurs que la personne atteinte de surdité doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. La Cour de cassation avait elle aussi reconnu l’importance de ce droit au cours de l’instruction4. Le rôle de l’interprète ne se cantonne pas à la seule traduction des débats, il doit pouvoir être présent aux côtés de la personne pour lui traduire les droits dont elle bénéficie, afin qu’elle soit en mesure d’en apprécier l’opportunité5. Le droit à un interprète n’est bien évidemment reconnu qu’à celles et ceux qui en ont besoin, c’est‑à‑dire celles et ceux qui ne parlent pas ou ne comprennent pas le français. Comme l’affirme la Cour de cassation, dès lors que le gardé à vue a fait part de sa connaissance de la langue française et que les explications fournies par lui lors de ses auditions témoignent d’une maîtrise certaine de cette langue, le moyen pris de ce qu’il n’a pas été assisté par un interprète lors de la notification de ses droits ne saurait être admis6. En rejetant les exceptions de nullité aux motifs que plusieurs éléments du dossier permettaient de constater que le prévenu avait une maîtrise certaine de la langue française dans l’arrêt commenté, la chambre des appels correctionnels fait une application des dispositions du Code de procédure pénale qui est pleinement conforme, tant à l’interprétation qu’en fait la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’à l’interprétation que fait la Cour européenne des droits de l’homme de l’article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

2. Recevabilité des exceptions de nullité présentées pour la première fois en cause d’appel par un prévenu non comparant et non représenté en première instance

Tel est le deuxième rappel auquel procède la chambre des appels correctionnels dans l’arrêt rendu le 4 novembre 2024. Anticipant une éventuelle décision d’irrecevabilité, l’avocat du prévenu soutenait, à juste titre, que les exceptions de nullité étaient recevables bien qu’elles n’aient pas été soulevées en première instance, dès lors que le prévenu n’était pas comparant à l’audience devant le tribunal correctionnel, ni représenté. Si la chambre des appels correctionnels n’a pas explicitement répondu à cet argument en se livrant à un examen de recevabilité en bonne et due forme dans l’arrêt commenté — ce qui ne peut qu’être regretté — force est de constater qu’elle a, de fait, admis leur recevabilité, puisqu’elle a procédé à un examen au fond de ces dernières. Si la Cour de cassation affirme, en prenant appui sur l’article 385 du Code de procédure pénale, que, pour être recevables en cause d’appel, les exceptions de nullité doivent avoir été soulevées pour la première fois en première instance7, elle admet également de longue date que le prévenu, ni comparant ni excusé devant le tribunal correctionnel, qui a été jugé contradictoirement dans les conditions prévues par l’article 410 du Code de procédure pénale8, ne saurait être regardé comme s’étant défendu au fond, les exceptions de la nullité peuvent dès lors être présentées pour la première fois en cause d’appel9. L’exclusion de la forclusion ne joue toutefois qu’à la condition qu’aucune défense au fond n’ait encore été présentée, ni en première instance, ni devant les juges du second degré10. Tel est le cas par exemple lorsque le prévenu absent et non représenté devant le tribunal correctionnel soulève des exceptions de nullité pour la première fois en cause d’appel alors qu’il avait, dans sa lettre d’opposition à l’ordonnance pénale, présenté des moyens de défense au fond et demandé une application indulgente de la loi11. Dans l’espèce rapportée, nous regrettons que la chambre des appels correctionnels n’ait pas profité de l’occasion qui lui était donnée de rappeler les fondements prétoriens de la règle dérogatoire qu’elle applique afin d’assurer l’effectivité des droits de la défense, ce d’autant qu’en l’espèce, les conditions posées par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour admettre, pour la première fois en cause d’appel, des exceptions de nullité, étaient remplies.

Notes

1 C. proc. pén., art. prélim. Retour au texte

2 C. proc. pén., art. 63‑1. Retour au texte

3 C. proc. pén., art. 116. Retour au texte

4 Cass. crim., 6 décembre 1994, no 94‑84235. – Cass. crim., 8 décembre 2010, no 10‑87.818. Retour au texte

5 CEDH, 14 octobre 2014, Req. 45440/04, Baytar c/ Turquie. Retour au texte

6 Cass. crim., 9 février 2016, no 15‑84.277. Retour au texte

7 Cass. crim., 6 juillet 1993, no 93‑82.133, P. Cass. crim., 13 novembre 1996, no 95‑84.897, P. – Cass. crim., 7 juin 2000, no 99‑82.788, P. – Cass. crim., 11 décembre 2002, no 02‑83.648. – Cass. crim., 19 octobre 2004, no 04‑80.317, P. – Cass. crim., 23 janvier 2008, no 06‑87.781, P. – Cass. crim., 14 mars 2012, no 11‑85.827, P : D. 2012. Actu. 1063 ; RSC 2012. 631, obs. Danet ; Dr. pénal 2012. Chron. 7, obs. Lesclous. – Cass. crim., 13 février 2013 : AJ pénal 2013. 352, obs. Perrier. Retour au texte

8 En vertu de ce texte, le prévenu régulièrement cité à personne doit comparaître, à moins qu’il ne fournisse une excuse reconnue valable par la juridiction devant laquelle il est appelé. Le prévenu a la même obligation lorsqu’il est établi que, bien que n’ayant pas été cité à personne, il a eu connaissance de la citation régulière le concernant dans les cas prévus par les articles 557, 558 et 560. Si ces conditions sont remplies, le prévenu non comparant et non excusé est jugé par jugement contradictoire à signifier, sauf s’il est fait application des dispositions de l’article 411. Si un avocat se présente pour assurer la défense du prévenu, il doit être entendu s’il en fait la demande, même hors le cas prévu par l’article 411. Retour au texte

9 Cass. crim., 10 février 1986, no 85‑91.838 P. – Cass. crim., 29 janvier 1992, no 91‑83.712 P : D. 1992. Somm. 321, obs. Pradel. – Cass. crim., 6 juin 2007, no 06‑88.541 P : AJ pénal 2007. 388. Retour au texte

10 Cass. crim., 24 octobre 1991, no 90‑82.220 P. Retour au texte

11 Cass. crim., 15 octobre 2014, no 12‑83.594 P : Dalloz actu., 31 octobre 2014, obs. Priou‑Alibert. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Yannick Ratineau, « Effectivité du droit à un interprète et recevabilité des exceptions de nullité présentées pour la première fois en cause d’appel : quelques rappels utiles  », BACAGe [En ligne], 04 | 2025, mis en ligne le 16 juin 2025, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1229

Auteur

Yannick Ratineau

Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, codirecteur de l’Institut d’Études Judiciaire de Grenoble, codirecteur du BACAGe, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
yannick.ratineau[at]univ-grenoble-alpes.fr

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