L’affaire concernait des faits de violences volontaires avec incapacité de travail inférieure à huit jours commis par un concubin, et deux thèses s’opposaient. D’un côté, la concubine décrivait le caractère violent de son compagnon qui, un soir après une dispute, l’aurait brutalement saisie par le bras. Elle rapportait, également, d’autres événements de violences physiques ou psychologiques, et produisait un certificat médical attestant d’hématomes et d’un stress post‑traumatique lié au harcèlement subi de la part de son concubin. D’un autre côté, le concubin décrivait la scène d’une tout autre manière. Il indiquait s’être disputé avec sa compagne le soir des faits, que celle‑ci s’était emportée avant de finalement retourner se coucher, mais que, plus tard dans la nuit, elle avait exprimé son intention de le quitter, et s’était postée au bord de la fenêtre « prête à sauter dans le vide ». C’est alors qu’il l’avait saisie fermement par le bras, ce qui pouvait expliquer les hématomes. Aussi, lui‑même présentait des traces de griffures et plusieurs contusions constatées par un certificat médical ; néanmoins ces faits n’ont pas donné lieu à poursuites. Ainsi, lui attestait des tendances suicidaires de sa concubine en niant tout fait de violences, ce qu’elle contestait.
Face à des récits divergents, les juges du tribunal correctionnel sont entrés en voie de condamnation, outre les versions différentes des faits, au motif que les violences étaient bien caractérisées. A priori, les éléments constitutifs de l’infraction étaient réunis, dès lors qu’il est constant que le prévenu a volontairement saisi la victime par le bras, lui causant une blessure. Toutefois, la décision fut infirmée en appel, en raison de la persistance d’un doute. Pour la cour d’appel, bien que chacun présente des blessures résultant de leurs réactions réciproques, il n’est pas possible de déterminer laquelle de ces versions « totalement différentes » correspond à la réalité. Elle exprime, ainsi, son scepticisme et prononce la relaxe au bénéfice du doute. N’ayant pas acquis une conviction pleine et entière de la réalité des faits, la cour refuse de se déclarer convaincue de la culpabilité.
Il est vrai qu’un doute persistait sur l’origine du comportement : lui a‑t‑il saisi le bras pour l’empêcher de se suicider ou pour l’empêcher de le quitter ? La question est légitime, mais ce doute empêche‑t‑il véritablement d’acquérir une conviction quant à la culpabilité du prévenu ? La réponse semble négative, dès lors que s’interroger sur l’origine du comportement revient à s’interroger sur les mobiles de l’infraction qui, par nature, sont indifférents3. Les raisons qui ont été psychologiquement déterminantes dans le passage à l’acte, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, ne sauraient influer sur la détermination de l’intention. Cependant, la question dans cette affaire ne portait‑elle pas davantage sur l’intention de l’auteur ?
En matière de violences volontaires, la caractérisation de l’intention suppose d’établir la volonté de l’acte, ainsi que la volonté du résultat dommageable4. La volonté de l’acte se manifeste par une brutalité consciente, laquelle révèle de la perception par l’auteur de la portée et des conséquences potentielles de son comportement5. Ainsi, les plaisanteries dangereuses sont qualifiées de violences volontaires6, car indifféremment du mobile qui les a inspirées, l’auteur a accompli un acte volontaire en conscience des retombées potentiellement négatives. Inversement, tel n’est pas le cas des jeux d’enfants, dès lors que ces derniers n’avaient pas « conscience de la dangerosité potentielle », « ni de la brutalité » du jeu7. L’absence de perception du danger de l’acte exclut donc la culpabilité intentionnelle8.
Outre la volonté de l’acte, l’auteur doit également avoir la volonté du résultat ; quand bien même le résultat atteint dépasse le résultat escompté, comme l’illustre la qualification de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner9. Indifféremment du résultat effectif ou de la détermination de la victime, les violences volontaires supposent alors la recherche d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui10. À défaut, lorsque la volonté n’est pas tendue vers un résultat, l’infraction ne sera pas intentionnelle. Par exemple, l’intervention brutale d’un individu pour contraindre un enfant à lâcher la pierre dont il menaçait un camarade, lui causant une fracture du bras, ne reçoit pas la qualification de violences volontaires, mais de violences involontaires, en l’absence d’« intention coupable ni recherche du résultat dommageable effectivement produit11 ». Lorsque l’atteinte à l’intégrité n’est pas recherchée, l’intention fait donc défaut. Néanmoins, la recherche d’une atteinte à l’intégrité physique se distingue de l’intention de nuire, laquelle n’est pas un élément constitutif de l’infraction12. La frontière peut alors être ténue entre, d’une part, la volonté de porter atteinte à la valeur sociale protégée — en l’occurrence l’intégrité physique ou psychique d’autrui — et, d’autre part, l’intention malveillante de l’auteur, si bien que l’on en vient à confondre les mobiles et l’intention comme en témoigne l’arrêt analysé.
Dans cette affaire, la question devrait certainement être déplacée sur le terrain de l’intention. La relaxe serait justifiée en raison d’un doute sur l’élément intentionnel de l’infraction, et non raison d’un doute sur l’origine du comportement violent. En effet, puisqu’il existe un doute sur le déroulé des événements en raison des versions concurrentes des faits, il n’est pas possible d’établir l’intention réelle du prévenu. Si les blessures résultent d’une volonté de l’auteur d’intimider sa concubine pour la contraindre à ne pas le quitter (version de la victime), l’intention est caractérisée. L’auteur effectue un acte violent avec la volonté d’une atteinte immanquable à l’intégrité physique, quelle qu’en soit l’intensité. En revanche, si les blessures résultent d’une tentative de l’auteur d’éviter le suicide de sa concubine (version du prévenu), il n’existe aucune intention de porter atteinte à l’intégrité de la victime.
La décision mérite alors d’être approuvée si la relaxe repose sur l’existence doute quant au déroulement des faits ne permettant pas d’établir avec certitude l’intention de l’auteur. Cependant, la décision s’expose à la critique si les juges ont prononcé la relaxe au motif qu’il existait simplement un doute sur le déroulement des faits, dès lors que l’auteur a peut‑être agi sans intention de nuire en voulant éviter le suicide de sa compagne. Dans ce cas, la relaxe repose sur une prise en compte des mobiles qui ne sauraient, par nature, empêcher d’acquérir une conviction quant à la culpabilité du prévenu. C’est donc, à tort, que la chambre des appels correctionnels ne mentionne pas la question de l’intention de sa motivation, pouvant ainsi laisser croire à une confusion entre les mobiles et l’intention.
Finalement, la distinction entre l’intention requise au titre des violences volontaires et les mobiles paraît claire. L’intention se définit dans l’abstrait comme une brutalité consciente corrélée à une volonté d’atteinte à l’intégrité physique, tandis que les mobiles sont les manifestations concrètes de la psychologie individuelle de chaque auteur ayant déterminé le passage à l’acte. Toutefois, en pratique une difficulté demeure puisque pour établir l’absence de volonté de porter atteinte à l’intégrité physique dans l’abstrait, les magistrats sont conduits à appréhender les raisons concrètes qui ont suscité le passage à l’acte, donc les mobiles. Par exemple, pour prononcer la relaxe du chef de violences volontaires, un arrêt énonce que le prévenu a retenu la porte d’entrée afin d’empêcher la victime de sortir, et que s’il est exact que celle‑ci a eu le bras coincé dans la porte maintenue par le prévenu, « il ne saurait être déduit de ce geste une volonté de commettre à son encontre des violences », alors que, le prévenu tentait de mettre un terme à une altercation avec cette dernière13. Il est alors permis de se demander si la relaxe intervient au motif d’une absence de volonté d’atteinte à l’intégrité de la victime ou en raison du mobile révélant une potentielle volonté d’apaisement de la part du prévenu. La Cour de cassation a tranché en jugeant que les magistrats ont confondu le mobile et l’intention, alors qu’il se déduisait de leurs propres constatations que le prévenu avait commis volontairement des violences en maintenant le bras de la victime coincé dans la porte, « fût‑ce pour l’empêcher de sortir ». Elle donne ainsi raison au demandeur au pourvoi qui reprochait à la cour d’appel d’avoir confondu le caractère volontaire du geste et la volonté de nuire à son auteur. Le parallèle est manifeste avec l’arrêt commenté : fût‑ce pour l’empêcher de le quitter ou pour l’empêcher de se suicider, cette circonstance caractérise le mobile de l’infraction d’après la Cour de cassation. La manière dont les juges du fond motivent leurs décisions de relaxe sur ce point semble donc déterminante afin de se prémunir contre toute censure de la juridiction suprême.