Dans la présente affaire, une plainte a été déposée contre un agent de police judiciaire. Le plaignant dénonçait des violences subies lors d’une fouille corporelle réalisée à l’occasion d’une mesure de garde à vue par le gardien de la paix. La procédure a été classée sans suite au motif que les faits n’ont pu être clairement établis, puis le plaignant a fait citer l’intéressé devant le tribunal correctionnel. Suite à plusieurs renvois, en raison de difficultés pour les parties d’obtenir certaines pièces du dossier, un jugement a été rendu le 10 décembre 2021. Le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours avec la circonstance que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique et l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis assorti d’une peine d’amende. Malgré les dénégations du prévenu, la culpabilité résultait de plusieurs éléments de preuve concordants : les auditions du gardé à vue et d’un co‑gardé à vue rapportant les faits de violences, des certificats médicaux constatant des lésions au niveau du visage et le procès‑verbal rédigé par le capitaine de police chargé de l’enquête décrivant le visionnage de l’enregistrement vidéo de la salle de fouille au moment des faits. Dans ce procès‑verbal, l’officier de police judiciaire constatait que l’enregistrement vidéo accréditait les déclarations du gardé à vue, celui‑ci étant aperçu en position accroupie se protégeant le visage d’une main.
Devant la cour d’appel, la problématique tenait au fait que l’enregistrement vidéo, placé sous scellé, et la décision de classement sans suite n’apparaissaient pas au dossier. En dépit des multiples sollicitations de la défense, ces pièces n’avaient pu être produites, car visiblement égarées. En conséquence, en l’absence de communication de l’entièreté du dossier, le prévenu sollicitait la nullité du jugement déféré pour méconnaissance des droits de la défense. Sur le fondement de l’article 6 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et de l’article 388‑4 du Code de procédure pénale, il soutenait que son droit à bénéficier de l’intégralité de la procédure avait été bafoué, l’absence de communication des pièces ne lui ayant pas permis de préparer utilement sa défense. La cour d’appel de Grenoble balaie ces arguments et confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Elle retient que les droits de la défense n’ont pas été méconnus, dans la mesure où l’existence et le contenu des pièces égarées étaient connus des parties.
Tout d’abord, l’absence de communication de la décision de classement sans suite ne saurait entraîner une méconnaissance des droits de la défense, en ce que la pièce et son contenu étaient connus des parties, et au demeurant favorables au prévenu. En l’espèce, il est constant et non contesté que la procédure a été classée sans suite au motif que les faits n’ont pu être clairement établis. Il faut reconnaître que la production matérielle de cette pièce n’apporterait rien de supplémentaire. Ce qui importe est davantage le contenu que le contenant. Cela signifie‑t‑il que la solution devrait être différente lorsque les motifs de la décision de classement sans suite sont inconnus ? La réponse paraît négative. La simple connaissance de l’existence d’une décision de classement sans suite devrait suffire à sauvegarder la procédure, dès lors que la pièce s’avère favorable au prévenu et dépourvue de pertinence pour la solution du litige. D’une part, la seule connaissance d’une décision de classement sans suite n’est pas un obstacle pour préparer utilement sa défense. Même lorsque les motifs demeurent inconnus, la décision se présente toujours comme une pièce favorable au prévenu, lequel peut s’en prévaloir comme élément de défense. D’autre part, la décision de classement sans suite n’a pas réellement d’effet sur la solution rendue. Le fait de savoir que le prévenu a bénéficié d’un classement sans suite ou non ne renseigne pas sur la réalité du fait à prouver, à savoir sa culpabilité ou son innocence. En cela, la pièce n’est pas un élément pertinent susceptible d’influer sur l’issue du procès. Peu importe donc la production matérielle d’une pièce de procédure notoire et favorable au prévenu. La défense ne peut se prévaloir de l’article 6 paragraphe 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou de l’article 388‑4 du Code de procédure pénale.
Ensuite, le même raisonnement a été tenu concernant l’absence de production de l’enregistrement vidéo de la salle de fouille au moment des faits. En application de l’article 388‑4 du Code de procédure pénale, la cour d’appel reconnaît l’obligation de délivrer un dossier complet au prévenu, mais indique que la disparition des pièces de procédure est une cause de nullité seulement lorsqu’il est établi qu’elle a empêché le prévenu de préparer utilement sa défense. Or, cette atteinte n’est pas caractérisée dès lors que l’existence et le contenu de la pièce sont connus des parties. En l’espèce, l’enregistrement vidéo avait été visionné uniquement par le capitaine de police chargé de l’enquête, dont les constatations avaient été consignées dans un procès‑verbal. Ainsi, le contenu de l’enregistrement était connu, malgré son absence de production formelle. De plus, le scellé égaré n’avait pu être visionné ni par les parties, ni par les juges de première instance et d’appel. En conséquence, il n'en résulte aucune rupture d’égalité entre les parties. Dans la mesure où le contenu de l’enregistrement était explicité dans un procès‑verbal soumis à la libre discussion des parties, la défense ne peut se prévaloir d’une atteinte aux droits de la défense. Néanmoins, une critique peut être émise concernant la valeur des constatations écrites relatées dans un procès‑verbal face au poids des constatations visuelles résultant d’un visionnage de l’enregistrement par les magistrats. Ce n’est pas la même chose d’être témoin d’une scène en vidéo et de lire des événements retranscrits sur papier. Les magistrats pourraient être enclins à attribuer une plus grande force probante aux faits qu’ils ont personnellement et visuellement constatés qu’aux faits relatés par une source intermédiaire, alors qu’objectivement les événements rapportés sont identiques. Toutefois, en l’espèce, cette circonstance n'a pas empêché les juges d’entrer en voie de condamnation en retenant ce procès‑verbal comme un élément de conviction en faveur de la culpabilité du prévenu, et, partant, en lui attribuant une force probante importante. Ainsi, peu importe la production matérielle d’une pièce de procédure, la seule connaissance du contenu de cette pièce suffit à caractériser le respect des droits de la défense, que cette pièce soit favorable, ou non, à la personne poursuivie. En définitive, le caractère incomplet du dossier de procédure n’est pas nécessairement une cause de nullité, dès lors que la production matérielle de la pièce litigieuse ne s’avère pas utile à la défense.