La loi no 98‑468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a introduit le suivi socio‑judiciaire comme peine complémentaire. Dans les cas prévus par la loi, la juridiction de jugement a la possibilité de prononcer cette mesure afin de soumettre le condamné à des mesures de surveillance et d’assistance destinées à prévenir la récidive, sous le contrôle du juge de l’application des peines selon l’article 131‑6‑1 du Code pénal. Initialement instauré pour assurer le suivi post‑carcéral des auteurs d’infractions sexuelles, son champ d’application s’est peu à peu étendu à d’autres types d’infractions comme les violences intra‑familiales et les actes de terrorisme.
À l’occasion du prononcé d’un suivi socio‑judiciaire, la juridiction peut, également, soumettre la personne à une injonction de soins à condition qu’il soit établi par une expertise médicale qu’elle est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Le consentement de la personne soumise à cette obligation est requis pour entreprendre un quelconque traitement, or, il est en réalité fortement incité puisqu’en cas de refus, l’emprisonnement prévu pour inobservation des obligations et interdictions qui lui sont imposées, pourra être mise à exécution en tout ou partie par le juge de l’application des peines. La loi est sans ambiguïté, l’article 763‑5 du Code de procédure pénale énonce que constitue une violation de l’injonction de soins, « le fait de refuser de commencer ou de poursuivre le traitement prescrit par le médecin traitant ». Pourtant, la chambre de l’application des peines de Grenoble dans son arrêt du 30 mars 2023, se livre à une appréciation concrète de la situation de l’intéressé qui lui permet d’écarter la peine d’emprisonnement à l’égard d’un condamné ayant commis plusieurs manquements à cette obligation.
En l’espèce, un individu a été condamné le 27 juin 2014 pour des faits multiples de viols à la peine de huit ans d’emprisonnement assortie d’une peine de cinq ans de suivi socio‑judiciaire. L’individu a été incarcéré jusqu’au 24 mars 2017, date à laquelle il a été placé sous surveillance électronique mobile. À la fin du placement sous surveillance électronique mobile, le 15 novembre 2017, le suivi socio‑judiciaire a débuté et les obligations et interdictions imposées par la juridiction de jugement sont devenues opposables au condamné pour une durée de cinq ans, à savoir jusqu’au 15 novembre 2022. Aux termes d’un rapport et d’une note du service pénitentiaire d’insertion et de probation en date du 8 décembre 2021 et du 28 février 2022, faisant état du respect des obligations et interdictions par le condamné, il était indiqué au juge de l’application des peines que le condamné justifiait d’une activité professionnelle et de versements mensuels au profit du Fonds de garantie des victimes, mais pas de la poursuite des soins qui lui étaient prescrits. En conséquence, par jugement du 12 mai 2022, le juge de l’application des peines a ordonné la mise à exécution de la peine d’un an d’emprisonnement résultant du non‑respect des obligations du suivi socio‑judiciaire par le condamné, en l’occurrence l’obligation de soins, et ce, « malgré plusieurs avertissements judiciaires ».
Suite à l’appel formé par l’intéressé, la chambre de l’application des peines de Grenoble dans un arrêt du 30 mars 2023 infirme la précédente décision et annule la mise à exécution de l’emprisonnement. Dans cette décision, la chambre de l’application des peines analyse le respect de chacune des obligations imposées au condamné. Comme en première instance, elle considère que les obligations de poursuite d’activité professionnelle et d’indemnisation des victimes sont respectées, précisant que le versement d’une somme de 50 €, bien que relativement faible à l’égard du niveau de revenus du condamné, n’a jamais été jugé insuffisant par le juge de l’application des peines et qu’il ne peut donc pas lui être reproché d’avoir fourni des efforts insuffisants sur ce plan. En revanche, en ce qui concerne l’injonction de soins, la chambre de l’application des peines adopte un tout autre raisonnement.
Malgré l’arrêt de son suivi psychiatrique par l’intéressé à partir de juin 2019, le rappel des obligations effectué par le juge de l’application des peines en 2021 et le rapport d’un médecin psychiatre concluant à un risque de récidive en 2022, elle considère qu’il n’y a pas lieu de mettre à exécution l’emprisonnement à l’encontre de l’individu. En effet, la chambre de l’application des peines retient au profit de l’individu que le suivi psychiatrique qu’il avait entamé au sein d’un centre médico‑psychologique dès 2017, avait pris fin en 2019 pour des raisons indépendantes de sa volonté. Dès lors, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir cherché à mettre en place un autre suivi, la juridiction estimant qu’il existe des difficultés notoires pour obtenir un suivi psychiatrique dans la région grenobloise. Plus encore, la chambre de l’application des peines relève qu’une partie de la période pendant laquelle le condamné n’a pas bénéficié de suivi médical coïncide avec la pandémie de Covid‑19. Il n’est pas sans rappeler que la crise sanitaire a complexifié la prise en charge médicale, mais aussi grandement porté atteinte à la qualité du suivi par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, interlocuteur privilégié des personnes soumises à un suivi post‑carcéral pour justement les assister dans ce type de démarches. Toutefois, l’élément qui retient sans doute davantage l’attention de la chambre de l’application des peines, consiste dans le fait qu’après l’audience devant les juges du fond, le condamné a entrepris, dès le mois d’avril 2022, un suivi auprès d’un psychiatre qu’il a ensuite rencontré périodiquement avec un dernier rendez‑vous en date du 16 mars 2023, alors que la peine de suivi socio‑judiciaire est, désormais, exécutée et que le médecin estime qu’il est « assidu et volontaire dans sa démarche de soins et ne présente pas de pathologie psychiatrique ».
À première vue, la décision de la chambre de l’application des peines peut sembler quelque peu surprenante puisqu’elle relève plusieurs manquements de la part du condamné aux obligations du suivi socio‑judiciaire, mais ne les sanctionne pas. Si une injonction de soins avait été prononcée par la juridiction de jugement, c’est qu’il existait des raisons valables de penser que le condamné présentait une particulière dangerosité et donc un éventuel risque de récidive à sa sortie de détention, d’autant plus que ce dernier a en principe fait l’objet d’une expertise médiale avant sa libération permettant d’évaluer son état médical et psychologique, en vertu de l’article 763‑4 du Code de procédure pénale.
Cependant, pour justifier sa décision de ne pas mettre à exécution l’emprisonnement encouru, la chambre de l’application des peines se fonde sur les autres efforts fournis par le condamné qui lui permettent de considérer que celui‑ci a « globalement respecté » les obligations du suivi socio‑judiciaire. Plus particulièrement, elle déduit de ces efforts de réinsertion que la mise à exécution d’un an d’emprisonnement sur les trois ans encourus s’avérerait disproportionnée au regard des objectifs de réinsertion et de prévention de la récidive inhérents à la peine consacrés par l’article 707 du Code de procédure pénale.