Du retrait de mesures d'aménagement de peine résultant d'une interprétation extensive des textes

DOI : 10.35562/bacage.807

Décisions de justice

CA Grenoble, ch. de l'application des peines – N° 22/01498 – 02 février 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/01498

Date de la décision : 02 février 2023

CA Grenoble, ch. de l'application des peines – N° 22/01591 – 02 février 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/01591

Date de la décision : 02 février 2023

Résumé

Depuis la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019, l’accent est mis sur le renforcement des aménagements de peine ab initio pour les courtes peines d’emprisonnement. Parmi eux, est prévue la détention à domicile sous surveillance électronique. Les dispositions légales prévoyant la mise en place de cette mesure envisagent également son retrait dans certains cas spécifiques. Cependant, les juridictions de l’application des peines semblent interpréter ces dispositions de manière bien plus large que la loi ne le permet.

La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, dite LPJ, avait notamment pour objectif de renforcer la mise en place des aménagements de peine ab initio pour les courtes peines d’emprisonnement, par le juge correctionnel. Désormais, le juge de l’application des peines ne peut intervenir qu’à titre subsidiaire, et si la juridiction de jugement n’a pas empêché toute possibilité d’aménagement de peine ab initio lors du prononcé de sa décision.

Cet aménagement de peine ab initio peut prendre la forme d’une semi‑liberté, d’un placement à l’extérieur ou d’une détention à domicile sous surveillance électronique1, c’est de cette dernière dont il est question dans les deux cas d’espèce à étudier.

S’il est prévu la mise en place d’une telle mesure par le Code pénal, le législateur n’a pas omis d’envisager les cas dans lesquels celle‑ci pouvait être retirée. En effet, des dispositions légales prévoient les motifs spécifiques de retrait du dispositif de détention à domicile sous surveillance électronique. Si tel est le cas, le condamné subira alors « tout ou partie de la durée de la peine qui lui restait à accomplir au jour de sa détention à domicile sous surveillance électronique. Le temps pendant lequel il a été placé sous surveillance électronique compte toutefois pour l'exécution de sa peine2 ». Partant, le juge de l’application des peines, en charge des modalités d’exécution de la peine peut‑il se livrer à une interprétation extensive de ces dispositions pour justifier le retrait dudit dispositif ?

La chambre de l’application des peines de Grenoble a rendu deux arrêts en date du 2 février 2023, dans lesquels elle adopte un raisonnement assez similaire quant à la possibilité pour le juge de l’application des peines de retirer un aménagement de peine qui avait été accordé ab initio.

En effet, les deux espèces portent sur le retrait d’une détention à domicile sous surveillance électronique décidée par le juge de l’application des peines, laquelle avait été mise en place ab initio. Dans les deux cas, le juge de l’application des peines justifie sa décision en se fondant sur une autre infraction commise par le condamné.

Dans le premier arrêt, une personne condamnée à dix mois d’emprisonnement voit sa peine aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique par le juge correctionnel. Cette personne disposait de plusieurs condamnations à son casier judiciaire pour lesquelles des sursis probatoires avaient été mis en place. Quelques mois plus tard, le juge de l’application des peines rend un jugement dans lequel il ordonne le retrait de cette mesure, avant même sa mise en œuvre, car le probationnaire est incarcéré suite à la révocation partielle de son sursis probatoire relatif à une précédente condamnation.

Dans le second, le juge de l’application des peines décidera d’un aménagement de la peine de deux ans d’emprisonnement3 en détention à domicile sous surveillance électronique. C’est lui‑même qui décidera de son retrait au moins un an plus tard, pour inconduite notoire, justifiée selon lui, par le fait que le prévenu soit placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention dans le cadre d’une autre procédure pour laquelle il est mis en examen.

L’inconduite notoire et la survenance d’une nouvelle condamnation sont des motifs de retrait du dispositif de la détention à domicile sous surveillance électronique prévus par le Code de procédure pénale en son article 723‑13, mais encore faut‑il que soient effectivement caractérisés ces motifs. Si pour le juge de l’application des peines, ces derniers ne font nul doute, pour la chambre de l’application des peines, au contraire, ils ne sont pas démontrés et cela a pour conséquence l’infirmation du jugement.

Effectivement, dans la première espèce, le juge de l’application des peines relève l’incarcération du requérant à la suite de la révocation partielle de son sursis probatoire pour ordonner le retrait de la mesure d’aménagement de la peine. Cela pose deux difficultés que la chambre de l’application des peines va relever. D’une part, la révocation partielle du sursis probatoire n’est pas une nouvelle condamnation, cela ne peut donc pas justifier le retrait de la mesure d’aménagement de peine. En effet, la révocation se traduit par la mise à exécution de la partie de la peine qui était couverte par le sursis, autrement dit, il ne s’agit pas d’une nouvelle condamnation puisqu’elle se rattache déjà à une condamnation, et qu’il s’agit simplement de sa mise à exécution. Elle peut être perçue comme une sanction, mais surtout pas comme une condamnation. D’autre part, le juge de l’application des peines n’a pas relevé le non‑respect des obligations qui avaient été fixées dans la décision du tribunal correctionnel, ni que les conditions de la mesure n’étaient plus remplies.

À cela s’ajoute le fait que celle‑ci n’avait même pas encore été mise à exécution à cause de l’incarcération du condamné suite à cette révocation et l’intéressé démontrait toujours la faisabilité de la mesure d’aménagement.

Par conséquent, rien ne justifiait que soit retirée la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique, en l’absence de motif prévu par le texte.

Pareillement, dans la seconde espèce, la justification retenue par le juge de l’application des peines pour le retrait de la détention à domicile sous surveillance électronique n’a pas convaincu la chambre de l’application des peines. Le retrait a été motivé par la notion d’inconduite notoire rattachée aux faits pour lesquels le prévenu a été mis en examen dans le cadre d’une autre affaire. Or, ce raisonnement semble contraire au respect du principe de la présomption d’innocence. En effet, si le juge de l’application des peines relève qu’il existe à l’encontre du détenu des indices graves et concordants démontrant sa culpabilité pour l’infraction reprochée, il n’en est pas moins vrai que la mise en examen n’intervient que lorsqu’il existe des soupçons de commission d’infraction pénale à l’encontre d’une personne. Cela intervient avant une éventuelle décision de culpabilité et jusqu’alors, la personne bénéficie de la présomption d’innocence.

Ainsi, une mise en examen n’est en rien une nouvelle condamnation. Cependant, sans la retirer, le juge de l’application des peines avait la possibilité de suspendre cette détention à domicile sous surveillance électronique, l’article D49‑86 du Code de procédure pénale prévoyant qu’une « peine de détention à domicile sous surveillance électronique est suspendue par toute détention provisoire […] intervenue au cours de son exécution ».

Par ailleurs, assimiler cette mise en examen à la notion d’inconduite notoire, notion prévue comme justifiant le retrait d’aménagement de peine, n’est pas suffisant selon la chambre de l’application des peines. En réalité, ni cette dernière ni le juge de l’application des peines « n’ont connaissance de la réalité que recouvrent les faits pour lesquels une mise en examen a été prononcée4 ». De ce fait, cela ne peut pas suffire à caractériser la notion d’inconduite notoire et donc de retirer la mesure.

D’ailleurs, la Cour de cassation semblait déjà adopter un raisonnement similaire dans une décision de 20215. Dans cette affaire, l’intimé avait relevé appel suite à la révocation totale d’une mesure de libération conditionnelle justifiée par une inconduite notoire consécutive à sa mise en examen dans une autre affaire, et son conseil faisait prévaloir la présomption d’innocence rattachée à cette mise en examen. La Cour de cassation rejette le pourvoi parce qu’elle relève qu’il y a eu d’autres éléments permettant de justifier l’inconduite notoire du requérant. A contrario, cela semble signifier que si ces éléments, autres que les seuls faits ayant conduit à la mise en examen, n’avaient pas été relevés, la notion d’inconduite notoire n’aurait probablement pas été retenue, et la libération conditionnelle non retirée.

Comme dans la première décision, sans relever de violation des obligations imposées dans le cadre de la mesure, rien ne justifiait que soit retirée la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique, dans le second cas d’espèce.

Par conséquent, dans ces deux cas, le juge de l’application des peines a opéré une interprétation trop large des textes, et notamment de l’article 723‑13 du Code de procédure pénale, et ainsi n’en a pas fait une exacte application, ceci étant contraire au principe de l’interprétation stricte de la loi pénale, expressément énoncé par l’article 111‑4 du Code pénal.

La chambre de l’application des peines quant à elle, a effectué une stricte interprétation des textes, qui plus est, est favorable aux condamnés.

Notes

1 Art. 132‑25 C.P. Retour au texte

2 Art. 723‑13 C.P.P. Retour au texte

3 La loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 entrée en vigueur le 24 mars 2020 a abaissé le seuil de la peine aménageable ab initio à un an. Cependant, en l’espèce, les faits ayant été commis avant l’entrée en vigueur de la loi, c’est l’ancien seuil de deux ans qui a été pris en compte pour l’aménagement de peine en détention à domicile sous surveillance électronique. Retour au texte

4 Grenoble, chambre de l’application des peines, 2 février 2023, RG no 22/01591. Retour au texte

5 Cass. crim., 9 novembre 2021, no 21‑80.587 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Léa Déplante, « Du retrait de mesures d'aménagement de peine résultant d'une interprétation extensive des textes », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 27 mai 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=807

Auteur

Léa Déplante

Étudiante en Master II Droit pénal et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France. Sous la dir. de Martine Exposito, maître de conférences HDR.

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