Le juge de l’application des peines peut intervenir dans le cadre de la mise à exécution d’une peine puisqu’il est en charge de leurs modalités d’exécution. Ainsi, il peut décider d’aménager la peine sous différentes formes prévues par les textes, telle que la détention à domicile sous surveillance électronique qui a été créée par la loi de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019.
Les aménagements de peine visent, avant tout, à adapter la peine prononcée à l’encontre d’une personne condamnée, dans le but de faciliter sa réinsertion et de réduire le risque de récidive, tout en prenant en compte les circonstances spécifiques de l’espèce et la situation du condamné.
Dans un arrêt rendu par la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Grenoble, en date du 19 janvier 2023, il est question d’infirmer un jugement rendu par le juge de l’application des peines dix mois auparavant. En l’espèce, une personne est condamnée à cinq mois d’emprisonnement ferme par ordonnance d’homologation du président du tribunal correctionnel. Il faut noter que l’ordonnance d’homologation vaut jugement. À la suite de cette décision, le juge de l’application des peines intervient pour décider des modalités d’exécution de cette peine. Il accorde une détention à domicile sous surveillance électronique et fixe sa mise en œuvre au 19 janvier 2022.
Cependant, et c’est là qu’une difficulté se manifeste, le condamné ne se présente pas aux formalités d’écrous la veille de la mise à exécution de la peine aménagée. La pose du bracelet électronique ne peut dès lors pas avoir lieu et la peine ne débute pas à la date fixée par le juge de l’application des peines. L’individu a contacté le service pénitentiaire d’insertion et de probation pour l’informer qu’il ne se présenterait pas à ces formalités, et justifie cela par des raisons professionnelles et un changement d’adresse postale.
En raison de cet obstacle, le juge de l’application des peines décide d’un retrait de l’aménagement de peine en détention à domicile sous surveillance électronique à la suite d’un débat contradictoire durant lequel l’intéressé était présent. Le juge motive sa décision en se fondant sur plusieurs éléments : d’abord, il fait état de la soustraction aux formalités d’écrou, il relève aussi l’absence de justificatifs de soins ou d’analyses toxicologiques fournis par l’individu, et enfin, il souligne la nouvelle condamnation pour des faits similaires intervenue dix jours auparavant.
Un appel est interjeté suite à cette décision. La chambre de l’application des peines, bien que relevant elle aussi certains manquements de la part de l’intéressé, infirme le jugement du juge de l’application des peines.
Partant, une décision de retrait de détention à domicile sous surveillance électronique exclusivement fondée sur les textes de loi, prise par le juge de l’application des peines, peut‑elle se voir infirmée par la chambre de l’application des peines au motif qu’elle est trop sévère ?
Plusieurs éléments sont discutables dans le cas de l’espèce, permettant ainsi de comprendre plus précisément les décisions rendues par les deux degrés de juridiction : le juge de l’application des peines et la cour d’appel en sa chambre de l’application des peines.
Tout d’abord, il semble intéressant de relever la chronologie de la situation de l’intéressé relative au lieu d’assignation à domicile. En effet, ce dernier est important puisqu’il conditionne l’octroi de la détention à domicile sous surveillance électronique comme aménagement de peine. Si aucun lieu n’est précisément fixé, la mesure n’est pas possible en ce qu’elle perd tout son sens, à savoir, celui d’être assigné à domicile durant un laps de temps déterminé. En l’espèce, la fixation du domicile de l’intéressé ne semble pas déterminée entre le domicile de sa compagne ou celui de sa mère.
De plus, au moment du retrait de la mesure, le condamné explique avoir voulu le fixer chez sa mère, avant de changer d’avis. Bien qu’un lieu avait été désigné par le juge de l’application des peines pour accorder la mesure, il est indéniable que ce lieu posait des difficultés pour l’intéressé. Ainsi, le lieu d’assignation envisageable n’est pas vraiment arrêté au moment où le juge de l’application des peines rend sa décision de retrait, alors qu’il l’est au moment où la chambre de l’application des peines rend la sienne puisqu’un justificatif de domicile est fourni avec l’accord du maître des lieux.
Cet obstacle est, d’ailleurs, une des raisons qui explique qu’il ne s’est pas présenté aux formalités d’écrou. Cet acte constitue une inobservation aux interdictions et obligations prévues à l’article 123‑26 du Code pénal sur laquelle le juge de l’application des peines peut se fonder pour retirer la décision de détention à domicile sous surveillance électronique1. En effet, la mesure d’aménagement de peine prévoit que le condamné doit répondre aux convocations du service pénitentiaire d’insertion et de probation, comme c’était le cas le 19 janvier 2022 pour la pose du dispositif afin de mettre à exécution de la mesure. Ainsi, le juge de l’application des peines s’est une nouvelle fois fondé sur les textes à sa disposition pour décider du retrait de la mesure. Pour autant, et bien que l’avertissement soit tardif puisqu’il n’est intervenu que la veille de la convocation, le condamné a averti le service en question et s’en est justifié par deux motifs. Les textes prévoient, également, que le condamné puisse ne pas se présenter pour des motifs légitimes2. Ne pouvons‑nous pas considérer qu’un changement d’adresse postale et des raisons professionnelles puissent être des motifs légitimes permettant de justifier ce manquement et, ainsi, permettre au juge de l’application des peines de parvenir à une sanction moins sévère que le retrait total de la mesure ?
C’est ce que semble faire la chambre de l’application des peines pour rendre sa décision. Elle prend largement en considération l’insertion professionnelle du requérant, laquelle représente un atout majeur pour la réinsertion dans la société et la prévention du risque de récidive.
Enfin, le troisième point sur lequel s’appuie le juge de l’application des peines pour justifier sa décision est la nouvelle condamnation prononcée à l’encontre de l’intéressé pour des faits nouveaux mais similaires, intervenue entre le moment où la mesure d’aménagement de peine aurait dû être mise à exécution et le moment où elle a été retirée par le juge de l’application des peines. Une nouvelle fois, le juge de l’application des peines use d’un motif légitime puisque prévu par la loi, pour retirer la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique3. Pour autant, cette nouvelle condamnation a également fait l’objet d’un aménagement de peine sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique et elle a été pleinement exécutée, sans aucun retrait, au jour où le juge de l’application des peines retire la mesure pour les faits de l’espèce. En effet, la fin de la peine attachée à la nouvelle condamnation a eu lieu le 11 mars 2022 alors que la décision du juge est rendue dix jours plus tard.
Là encore, la chambre de l’application des peines a considéré que la décision de retirer la mesure était sévère au regard de cet élément.
En conséquence, il faut relever que le juge de l’application des peines n’a pas fait une mauvaise interprétation des textes, au contraire, il s’est livré à une interprétation stricte de la loi pénale4 et ainsi, sa décision est justifiée puisqu’elle s’appuie sur la lettre de la loi. Pour autant, la chambre de l’application des peines laisse sous‑entendre dans son raisonnement que, le fait de retirer une mesure d’aménagement de peine n’est qu’une possibilité pour le juge de l’application des peines, et non une obligation. C’est là que ce dernier doit mettre en œuvre son pouvoir d’appréciation, afin d’évaluer si la mesure mérite d’être retirée ou non au regard des manquements relevés.
Pour la chambre de l’application des peines, c’est sur ce point que le juge de l’application des peines a failli, et c’est pourquoi elle infirme son jugement. Selon elle, la décision du juge de l’application des peines est trop sévère ou, du moins, elle n’est pas proportionnelle aux manquements du condamné.
Elle rend ainsi une décision plus favorable au condamné et plus cohérente au regard des objectifs des mesures d’aménagements de peine, d’une part, et de la peine, d’autre part. En effet, bien que le Code pénal prévoie de sanctionner l’auteur de l’infraction, il est également essentiel que « la peine ait pour fonction de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion5 ». Le fait de retirer la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique alors que le probationnaire est inséré professionnellement et dispose au jour de la décision, d’un lieu d’assignation, paraît aller à l’encontre du but recherché dans la mise en place d’un aménagement de peine.
En usant de son pouvoir d’appréciation et en mettant en balance divers éléments, la chambre de l’application des peines procède concrètement à un contrôle de proportionnalité entre les faits et la sanction, attachés à l’exécution de la condamnation. Ainsi, bien que le condamné ait dû faire face à une précarité au regard de sa situation familiale, celle‑ci est désormais stabilisée et il serait disproportionné de procéder à un retrait de la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique.