La pluralité d’auteurs en droit pénal est une question qui séduit la doctrine depuis de nombreuses années tant les qualifications qui sont à même d’être retenues à l’encontre des protagonistes ayant agi de concert dans la commission d’une même infraction ne sont pas toujours bien discernables dans leurs contours1. Leur proximité matérielle donne parfois le sentiment que le choix de l’une plutôt que de l’autre relève de la pure opportunité, ce qui n’est pourtant pas sans incidence sur la répression2. Comment préférer, en effet, la circonstance de réunion à l’association de malfaiteurs quand l’infraction a été commise par, au moins, deux protagonistes, seul critère qui paraît déterminant pour retenir l’une et l’autre des qualifications3 ? La bande organisée se démarquerait‑elle alors par la présence d’au moins trois protagonistes ? Qualifications pénales dont on devrait supposer, au regard du principe de légalité criminelle, une existence propre et une exclusivité de nature à neutraliser les autres lorsqu’elles sont retenues dans une espèce, le problème devient draconien lorsque les juridictions sont en mesure de les retenir en cumul, caractérisant par exemple une association de malfaiteurs dans le cadre d’un trafic de stupéfiants en même temps qu’une qualification pénale propre à ce trafic, commise alors en bande organisée. La possibilité d’un tel cumul laisse effectivement perplexe quant à la singularité de chacune des qualifications, de même qu’elle interroge grandement la nécessité de la répression au titre du bien connu non bis in idem dont on s’étonne qu’il ne trouve application, ici, pour son identité manifeste avec la question du concours idéal. Serait‑ce dire que la pluralité d’auteurs justifie que l’on puisse être « pendu deux fois » pour un même fait infractionnel ?
S’il ne fait aucun doute que les circonstances aggravantes de bande organisée et de réunion sont incompatibles4, le fait que l’association de malfaiteurs soit une incrimination autonome demeure le véritable problème puisque son cumul avec l’une des deux circonstances semble apparaître d’autant plus acceptable qu’elle ne tient pas la même nature dans l’ordonnancement pénal. Or, si l’on ne suppose pas la logique du concours idéal pour anéantir alternativement les qualifications, on est alors tenté de dire que ce qui a pu relever du plus, pouvait aussi nécessairement relever du moins, de sorte qu’à chaque fois que la bande organisée est à même d’être retenue, se joint aussitôt à elle l’association de malfaiteurs au niveau répressif. Les efforts de distinction opérés par le Conseil constitutionnel pour justifier la distinction en 20045, ainsi que les ajustements effectués par la chambre criminelle dans l’application de ces deux qualifications réprimant la pluralité d’auteurs6, s’en trouveraient alors sensiblement moins pertinents, voire quelque peu hypocrites.
C’est, finalement, peut‑être bien l’opportunité qui semble guider le juge pénal dans le choix d’une qualification de nature à sanctionner la pluralité, et paradoxalement, non moins que pour le bien de la répression, à travers une forme particulière d’appréciation de la nécessité, voire de la proportionnalité de la qualification finalement retenue par rapport aux faits. Il s’agirait finalement de faire coïncider sanction et aptitude réelle à l’infraction des prévenus dont le seul tort aurait finalement été de se constituer à plusieurs pour passer à l’acte, forme d’individualisation salvatrice pour les « incompétents du crime ». Aussi, la qualification de bande organisée serait‑elle en passe de « se mériter », ce que l’on pouvait déduire de l’exigence de structure organisée rappelée dans la décision du Conseil constitutionnel et sévèrement appréciée par les juridictions dans la distinction entre la circonstance aggravante et l’association de malfaiteurs. Sur ce point, la décision rendue par la 6e chambre des appels correctionnels de Grenoble le 27 avril 2023 donne sensiblement du crédit à cette hypothèse.
En l’espèce, sur une période de près de six mois, de multiples vols, tentatives de vol, recels de bien et destructions dangereuses pour les personnes des biens volés (une trentaine de faits au total) sont commis dans un même ressort géographique. Les investigations menées permettent rapidement d’identifier plusieurs protagonistes agissant toujours selon un même mode opératoire. Interpellés, les quatre protagonistes nient tous avoir une quelconque implication dans les faits. Les perquisitions opérées permettent de retrouver des vêtements similaires à ceux portés par les braqueurs pour deux d’entre eux. Tous relaxés devant le tribunal correctionnel, les deux individus chez qui ont été retrouvés les vêtements litigieux sont, finalement, condamnés à quatre ans d’emprisonnement pour la grande majorité des faits, les tentatives de vols, vols et recels étant retenus aggravés par la circonstance de réunion7.
Difficile, de prime abord, de ne pas tomber dans la critique classique du laxisme de la justice pénale quant au choix de la circonstance de réunion, quand la pluralité de faits répétés dans le temps et l’existence d’un modus operandi plaidaient nettement en faveur d’une qualification plus élevée dans l’échelle de la répression quant au degré d’organisation des prévenus. Il est vrai qu’on peut même être tenté de relever une contradiction entre la motivation de la peine des deux protagonistes finalement condamnés et la circonstance de réunion retenue, spécialement quand la 6e chambre des appels correctionnels relève que « les faits reprochés […] s’inscrivent dans une délinquance organisée ». Quand la jurisprudence hiérarchise effectivement les trois qualifications selon le degré d’organisation des auteurs, l’expression apparaît quelque peu maladroite. Rapportée pourtant au fait que les deux prévenus sont bien connus des services de police, à tel point qu’ils ont appris à éviter toute possibilité d’identification par les enquêteurs, il n’est plus possible de douter que la bande organisée — à tout le moins l’association de malfaiteurs — était ici bien la qualification que la juridiction grenobloise entendait décrire et a volontairement tue pour éviter une répression excessive, notamment parce qu’elle aurait supposé de faire dégénérer les chefs d’incrimination retenus en qualifications criminelles8. C’est en cela qu’il faut poser la question au sens de la présente note : ces protagonistes pouvaient‑ils tomber sous une qualification réprimant plus sévèrement la pluralité d’auteurs mais surtout méritaient‑ils qu’on leur fasse un tel honneur ?
Du point de vue de l’association de malfaiteurs, les exigences au niveau jurisprudentiel tendent à être limitées pour la caractériser dès lors que par un raisonnement a contrario des éléments caractérisant la bande organisée, elle ne supposerait ni la préméditation des infractions, ni l’organisation structurée entre les délinquants9. Pourvu alors que l’infraction préparée soit un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour qu’elle soit retenue, « le délit d’association de malfaiteurs [étant] commis en tout lieu où se trouvent rassemblés, avec résolution d’agir, les individus entre lesquels l’association a été formée ou l’entente établie10 ». Au regard de ces contraintes minimales, les qualifications de vols aggravés, de recels aggravés et de destructions dangereuses pour les personnes permettaient sans difficulté de retenir en l’espèce le délit. Aussi, la multiplicité de faits et l’identification d’un mode opératoire s’inscrivent bien au‑delà ce que la jurisprudence de la chambre criminelle exige traditionnellement. Enfin côté cumul avec les infractions pour lesquels les prévenus sont finalement condamnés, la jurisprudence constante en la matière ne laisse pas non plus émerger une contradiction dès lors que « l’association de malfaiteurs constitue une infraction autonome distincte des délits préparés11 ». Il semble donc bien que l’infraction était constituée dans tous ses éléments et que la 6e chambre des appels correctionnels n’ait pas souhaité la retenir.
S’agissant de la bande organisée, le raisonnement était plus subtil puisque c’est la question du nombre de protagonistes qui aurait été à même de justifier qu’elle ne soit pas caractérisée. En effet, le doute profitable a permis de ne retenir la culpabilité que de deux des membres de l’équipe de délinquants poursuivis. Or, les instruments internationaux12 et la circulaire du septembre 2004 insistent sur la participation d’au moins trois protagonistes à l’entreprise pour pouvoir considérer l’existence d’une structure organisée et hiérarchisée entre les membres au sens de la bande organisée. On peut donc penser que malgré le caractère « organisé » de la délinquance, le rejet de la circonstance aggravante pour les deux prévenus condamnés était bien fondé. Néanmoins, les investigations avaient bien mis en lumière que c’était une équipe de quatre individus qui avaient commis la majorité des faits sur la période de la prévention et que, bien que non identifiés, deux autres protagonistes avaient participé aux faits infractionnels selon le mode opératoire décrit. Tout était question alors de savoir si la bande organisée pouvait être retenue en sachant qu’il y avait un nombre suffisant de protagonistes pour la caractériser sans pouvoir en identifier plus de deux. De ce point de vue, la chambre criminelle identifie davantage des participations de protagonistes que les protagonistes eux‑mêmes pour retenir la circonstance aggravante13. En outre, en matière de vol, les juges retiennent de manière constante qu’il n’est pas nécessaire que plusieurs personnes soient condamnées pour retenir la circonstance de réunion, pourvu qu’il ne soit pas contestable que le prévenu ait agi en équipe14, de sorte qu’on pouvait raisonnablement penser que la bande organisée était caractérisée.
Pourquoi donc n’avoir retenu, ici, qu’une circonstance de réunion alors que la 6e chambre des appels correctionnels aurait pu retenir jusqu’en cumul l’association de malfaiteurs et la circonstance de bande organisée15 en l’espèce ? La réponse semble trouver son fondement tant dans l’amateurisme des prévenus que dans les qualifications pénales, objet de la prévention. En effet, sur un certain nombre de faits de vols commis, la tentative a seule pu être caractérisée, faute de compétence des braqueurs, systématiquement interrompus par les forces de l’ordre. Surtout, les faits donnent sensiblement le sentiment que « le grand banditisme » n’était pas le mot d’ordre pour peu que les prévenus aient cambriolé essentiellement des tabacs, des enseignes de supermarché et des concessions automobiles. Ces éléments ont certainement conduit les magistrats grenoblois à considérer que la réunion était seule adaptée à la répression, l’association de malfaiteurs et la bande organisée apparaissant manifestement comme des qualifications trop élaborées pour une délinquance si aléatoire. Faudrait‑il comprendre alors que la répression de la pluralité d’auteurs soit déterminée par la seule compétence et l’aptitude au crime ?