L’étude de cet arrêt témoigne une fois de plus de la difficulté pour les magistrats confrontés à des faits susceptibles d’être qualifiés d’abus de confiance, d’escroquerie et de vol de ne retenir qu’un seul chef d’accusation, alors même que les éléments constitutifs de ces infractions sont extrêmement proches au point de se confondre parfois en fonction des faits de l’espèce et des stratagèmes employés par les auteurs de ces atteintes aux biens.
En l’espèce, le prévenu s’était vu prêter par son ex-compagne un véhicule dans lequel se trouvait sa carte de crédit et l’avait alors utilisé à plusieurs reprises pour retirer du numéraire. Entendu par les gendarmes sur le fondement de poursuites pour escroquerie, il est finalement condamné en première instance pour vol de ladite carte. Cette solution mérite une attention particulière quant à la distinction des qualifications pénales. Objectivement, il s’agit de comprendre pourquoi, alors qu’il y avait remise de cette carte de crédit, le tribunal correctionnel de Valence n’a retenu ni l’abus de confiance ni l’escroquerie mais lui a préféré le vol, solution confirmée en appel par la 6e chambre des appels correctionnels. Comme la doctrine le rappelle fréquemment, la consécration par la chambre criminelle du concept de soustraction juridique au début du XXe siècle1 a considérablement rapproché les qualifications de vol et d’abus de confiance. Ce rapprochement s’est considérablement renforcé avec la réécriture de l’article 314-1 du Code pénal en 1994‚ lequel conditionne seulement la consommation de l’abus de confiance par le seul détournement d’une chose remise volontairement par autrui.
C’est à cet égard que les faits de la présente décision pouvaient laisser penser que l’abus de confiance s’imposait comme la qualification adéquate, en ce sens qu’il n’était plus nécessaire de passer par le concept de soustraction juridique pour pallier le champ d’application autrefois trop restreint de l’abus de confiance. En effet, la carte de crédit frauduleusement utilisée avait été remise à travers le prêt volontaire d’un véhicule, hypothèse de la remise dite limitée ou partielle, cas où un individu remet volontairement un objet principal à l’agent en ignorant qu’il lui remet en même temps un objet accessoire qui s’y trouve2. Or, le tribunal correctionnel de Valence, comme la 6e chambre des appels correctionnels, refusent toutes deux d’étendre l’abus de confiance à l’hypothèse de la remise partielle, ces faits demeurant donc constitutifs d’un vol par soustraction juridique, et ce, malgré l’élargissement du champ d’application de la qualification. Ce faisant, la 6e chambre des appels correctionnels applique une ancienne solution jurisprudentielle de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui retenait qu’un tel comportement ne pouvait s’analyser qu’en un vol, dès lors que le remettant ne pouvait avoir eu l’intention de transmettre que la seule détention matérielle de l’objet accessoire, et non sa possession, dès lors qu’il ignorait lui-même cette remise3. Or, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a considérablement évolué depuis‚ notamment sur la question des remises par erreur dans le cadre du vol. En effet, selon ce courant jurisprudentiel qui concerne notamment le cas des remises involontaires, « ne se rend pas coupable de vol celui à qui une chose est remise par erreur et qui la retient dans une pensée de fraude, quand bien même il aurait découvert l’erreur dès l’instant où elle a été commise »4. Il semble ainsi que le vol n’aurait pas dû pouvoir être retenu dans cette hypothèse et que ce faisant, le tribunal correctionnel de Valence, comme la 6e chambre des appels correctionnels, se sont placés en contradiction avec la jurisprudence la plus récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation. L’escroquerie aurait-elle pu lui être préférée ?
L’escroquerie était la qualification retenue pour justifier initialement l’audition du prévenu par les gendarmes, ce qui pouvait paraître surprenant. En effet, l’escroquerie suppose que la remise soit empreinte d’un dol, celle-ci ayant été déterminée par l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, de l’abus d’une qualité vraie ou de l’emploi de manœuvres frauduleuses par l’agent, dol sans lequel elle n’aurait jamais existé. Or, en l’espèce, le véhicule est remis volontairement au prévenu qui n’a usé d’aucun stratagème à cet effet, profitant seulement par hasard d’y retrouver une carte bancaire dont il se sert finalement frauduleusement, soit aucun élément de prime abord de nature à caractériser l’élément matériel de l’escroquerie. Or, cette affirmation est partiellement erronée en raison de la nature même de la carte de crédit qui constitue un bien nominatif. Aussi, l’usage frauduleux de la carte bancaire par le prévenu peut s’analyser matériellement comme une usurpation d’identité et donc l’usage d’un faux nom ou tout au moins l’emploi de manœuvres frauduleuses, en l’occurrence l’utilisation frauduleuse du nom du propriétaire de la carte de crédit ainsi utilisée. Cette lecture audacieuse de l’élément matériel de l’escroquerie concernant spécialement les cartes de crédit a été initiée par les juridictions du fond5 avant d’être précisée par la chambre criminelle elle-même. Cette dernière semble en effet plus réservée en admettant la qualification d’escroquerie uniquement si le prévenu a corroboré l’usage du faux nom indiqué sur la carte bancaire par la reproduction de ce même nom à travers une signature6.
Tel n’était pas le cas ici, ce qui laisse à penser que la qualification d’escroquerie aurait pu être rejetée si un pourvoi avait été formé devant la chambre criminelle. Il convient de conclure qu’une clarification de la qualification adéquate en matière d’utilisation frauduleuse d’une carte de crédit serait plus que bienvenue.