Autrefois mode de complicité, le recel est aujourd’hui une infraction autonome prévue à l’article 321-1 du Code pénal. Paradigme d’une certaine sévérité à l’égard de ceux qui profitent de la commission d’un crime ou délit puni par la loi, la doctrine s’attache fréquemment à rappeler les motivations criminologiques d’une telle incrimination, à savoir que le plus souvent « le receleur ferait le voleur »1. A l’aube de l’autonomisation de l’infraction dans l’ancien Code pénal, se rendait coupable de recel tout individu qui dissimulait une chose obtenue par la commission d’un crime ou d’un délit puni par la loi2. Or, cette définition initiale, relativement restrictive, a été interprétée très largement par la chambre criminelle de la Cour de cassation, conduisant à étendre le champ d’application de l’incrimination de manière assez spectaculaire. Ainsi, la chambre criminelle a admis très rapidement l’idée d’un recel sans dissimulation mais par simple détention3, laquelle au départ devait avoir duré pour ne devenir finalement que très brève4. De même, alors que ne pouvait traditionnellement être receleur que celui qui avait eu la chose entre les mains, la chambre criminelle a consacré une nouvelle forme de recel admettant le simple profit retiré de l’agent, inspirant le législateur de 19945. Aujourd’hui, le recel est même admis lorsque l’agent n’a été qu’un simple intermédiaire dans la transmission de la chose6, preuve que l’infraction jouit à notre époque d’une étendue répressive considérable. Il ressort de tous ces développements que le recel a connu un essor répressif considérable dans les hypothèses couvertes par lui, chaque intervention de la Cour de cassation comme du législateur ayant contribué à rendre l’infraction encore plus simple à établir. C’est tout particulièrement dans cette perspective d’élargissement du champ répressif du recel que deux décisions rendues par la 6e chambre des appels correctionnels doivent être analysées, ces dernières tendant toutes deux, dans les solutions retenues, à faciliter plus encore la preuve de l’élément moral par le truchement d’un jeu de présomptions. La position de la chambre criminelle de la Cour de cassation est claire quant à l’établissement de l’élément moral du recel : le prévenu doit avoir eu conscience de l’origine frauduleuse du bien sans pour autant avoir à démontrer qu’il avait une connaissance précise de l’infraction d’origine, de son auteur ou encore même des circonstances dans lesquelles elle a été commise7. Si, par ces faibles exigences, la Cour de cassation affiche déjà une tempérance certaine dans l’établissement de l’élément moral du recel, c’est peu dire d’une jurisprudence parallèle consacrée par elle qui offre aux juges du fond la capacité de déduire souverainement des éléments de fait la preuve de la mauvaise foi du prévenu8. Ce faisant, la chambre criminelle encourage effectivement les juridictions du fond à raisonner à travers un système de présomptions, lequel se veut pour le moins très favorable à reconnaitre en toutes circonstances l’infraction de recel.
Dans la première décision commentée, la 6e chambre des appels correctionnels suit une ligne jurisprudentielle a priori claire en condamnant pour recel un individu qui avait fait l’acquisition, de manière discrète sur le parking d’un supermarché, d’une douzaine de bouteilles d’alcool volées, elle contribue en vérité à déformer la preuve de l’élément moral du recel en relevant que ces circonstances ne pouvaient laisser penser au prévenu qu’elles avaient une origine licite. En effet, dans la présente décision, outre les aveux du prévenu9, l’élément déterminant qui a permis d’établir sa mauvaise foi résulte dans le fait que les bouteilles avaient un prix de vente « très inférieur à celui du marché »10. Aussi, il convient de s’interroger sur le poids d’un tel élément de fait à l’avenir. La 6e chambre des appels correctionnels entendrait-elle que le vil prix constitue à lui-seul un élément de fait suffisant pour conclure à la mauvaise foi du prévenu ? Une telle solution parait relativement dangereuse car bien trop extensive si l’on pense au marché de l’occasion où les produits peuvent être acquis à un prix nettement inférieur à celui de la consommation classique, sans pour autant laisser présumer d’une origine nécessairement illicite…
La seconde décision commentée concernait un individu interpellé par les gendarmes au volant d’un véhicule volé, véhicule qui lui avait été remis en location pour une semaine par une personne que le prévenu ne pouvait ni nommer ni identifier. Poursuivi pour recel, le prévenu invoque qu’il ignorait que le véhicule avait fait l’objet d’un vol mais est finalement condamné pour recel au motif qu’au regard des circonstances dans lesquelles il a acquis le véhicule, il ne pouvait ignorer que celui-ci avait une origine frauduleuse, la circonstance qu’il n’ait effectué aucune vérification d’usage qui lui aurait permis de constater que le véhicule n’était pas assuré et que la carte grise ne correspondait pas au numéro d’identification caractérisant en tout point sa mauvaise foi.
Dans les deux décisions, le recours à un même système de présomptions peut être observé dans le fait que la mauvaise foi du prévenu – malgré sa participation à l’enquête – est établie à raison d’un défaut de vérification du véhicule de sa part au moment de la remise, ce qui laisserait ici entendre une véritable sanction de sa négligence, ce à quoi n’a pas vocation le recel. En effet, si le défaut de telles vérifications peut être interprété comme une démonstration de la mauvaise foi du prévenu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, cette jurisprudence ne vaut traditionnellement qu’autant que l’intéressé soit un professionnel du domaine qui a trait au bien en cause11. Or, ici, il n’est pas vrai que le prévenu était un professionnel du milieu automobile et pourtant c’est bien le défaut de vérification de la carte grise, des plaques d’immatriculation et de l’assurance du véhicule qui conduit la 6e chambre des appels correctionnels à retenir sa mauvaise foi, les circonstances dans lesquelles il avait obtenu le bien étant certes suspectes mais pas nécessairement de nature à laisser présumer qu’il avait connaissance de l’origine illicite du véhicule12. À l’égard du milieu automobile, plusieurs décisions ont sanctionné le défaut de telles vérifications par le prévenu mais à chaque fois, ce dernier était garagiste et la présomption jouait ainsi autant qu’il était professionnel en charge des biens litigieux13. Faut-il alors ici comprendre que la juridiction grenobloise chercherait à étendre cette présomption aux non-professionnels ? Si l’on en croit une troisième décision qui retient coupable de recel un individu au seul motif que ce dernier était en possession d’une carte grise d’un bien volé14, on ne peut que conclure au fait que le juge grenoblois cherche bien à atténuer encore davantage la démonstration traditionnellement exigée des éléments constitutifs propres au recel.