À propos de la soustraction d’une chose appartenant à autrui… ou plutôt de la soustraction d’une chose n’appartenant à personne…

DOI : 10.35562/bacage.417

Décision de justice

CA Grenoble, 6e ch. des appels correctionnels – N° RG 22/00506 – 06 octobre 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 22/00506

Date de la décision : 06 octobre 2022

Résumé

Doit être déclaré coupable de vol l’individu qui se saisit d’un bien dégradé qu’il déclare trouvé dans la rue, nonobstant l’impossibilité matérielle d’établir à qui ce dernier appartient, la circonstance que ce bien n’appartient pas au prévenu étant seule suffisante pour caractériser l’infraction.

Défini à l’article 311-1 du Code pénal, le vol correspond légalement à la soustraction de la chose d’autrui. Si une lecture littérale, au sens des méthodes d’interprétation de la loi pénale, supposerait fondamentalement que l’on ne retienne le vol qu’autant qu’autrui puisse être précisément identifié, pour supposer effectivement qu’une chose appropriée a été soustraite, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet de longue date qu’une telle identification n’est pas rendue nécessaire, seul important que la chose dérobée soit appropriée au moment où elle l’est par le prévenu1. Aussi, toute décision de condamnation qui constate la soustraction de la chose d’autrui « sans désigner le propriétaire » justifie suffisamment de retenir le vol pour les juges du Quai de l’Horloge2. A priori limpide, cette lecture de la chambre criminelle n’a rien d’évident et pose concrètement des difficultés devant les juridictions pénales, le point de tension se resserrant autour de la question d’appropriation de la chose ravie. En effet, de cette question de l’appropriation dépend toute la responsabilité pour vol puisque la chambre criminelle admet dans un même temps qu’est insuffisamment motivée la décision qui « ne spécifie pas que l’objet avait encore un propriétaire au moment où il a été dérobé »3. Si l’on ajoute à cela le fait que la Cour de cassation exige encore la démonstration que le prévenu avait conscience qu’il dérobait une chose appartenant à autrui4, on ne peut que remarquer une formidable complexité à établir la responsabilité pénale d’un individu qui se serait saisi d’une chose, trouvée par hasard dans la rue. Vous l’aurez compris, le débat se noue autour la démonstration de l’appropriation de la chose et pose la difficulté concrète du vol de choses qui apparaissent être abandonnées. La question porte sur le fait de savoir si l’on peut retenir coupable de vol un individu qui s’empare d’une chose qu’il croit – et dont tout laisserait à penser – qu’elle n’est plus la propriété de quiconque. C’est tout particulièrement dans cette perspective qu’il nous faut étudier une décision du 6 octobre 2022 rendue par la 6e chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Grenoble, laquelle semble proposer de retenir coupable de vol tout individu qui se saisit d’une chose dont il sait ne pas être le propriétaire, peu importe que des éléments objectifs corroborassent la thèse de l’abandon.

En l’espèce, deux individus sont interpellés dans la rue par les forces de l’ordre en possession d’une mini moto, a priori cassée, puisqu’ils la font avancer seulement sur la roue avant, alors qu’ils étaient appelés à constater une entrée par effraction dans un immeuble à proximité. Placés en garde à vue, les intéressés soutiennent qu’ils n’ont aucun rapport avec cette intrusion non-autorisée et qu’ils tiennent la mini moto pour l’avoir trouvée dans une autre cour d’immeuble, les clés dessus, non cadenassée et non attachée. Aussi, ils reconnaissent volontiers s’en être emparés dans l’optique de la réparer, croyant que cette dernière avait été abandonnée par son propriétaire. Convoqués devant le tribunal correctionnel de Grenoble le 2 avril 2021, ils sont reconnus coupables de vol, nonobstant le fait que le propriétaire de la mini moto n’avait pu être identifié5, ni ne s’était présenté au poste de police pour déclarer le vol et demander restitution de son bien, la mini moto ayant été détruite sur instruction du parquet un an après l’interpellation des deux prévenus.

En appel, ce jugement est confirmé par la 6e chambre des appels correctionnels par une motivation assez succincte, au motif que le vol est caractérisé, d’une part, en raison du fait que le prévenu n’était pas le propriétaire du véhicule au moment où il s’est emparé du véhicule, d’autre part, que l’indétermination du véritable propriétaire de la mini moto est sans incidence sur la responsabilité du prévenu qui a quand même soustrait frauduleusement un bien qu’il savait ne pas être le sien. S’inscrivant parfaitement dans la ligne jurisprudentielle de la Chambre criminelle pour laquelle l’absence d’identification du propriétaire de la chose n’est pas de nature à neutraliser toute responsabilité pénale pour vol, l’arrêt commenté invite donc à une réflexion tenant à l’exigence d’un « autrui ». En effet, si une telle identification n’est pas rendue nécessaire, encore faut-il peut-être interroger la question de l’actualité du droit de propriété sur la chose « volée » en fonction de l’action du véritable propriétaire à revendiquer cette dernière, et en déduire sensiblement qu’en l’absence de réaction de sa part, cette chose est abandonnée… Il serait alors bien curieux, voire contradictoire, de retenir un vol – infraction censée protéger la propriété privée – si personne ne revendique la qualité de propriétaire de la chose soustraite… C’est sur ce point que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation paraît quelque peu paradoxale en ce qu’elle ne semble pas faire le lien entre l’absence d’identification « d’autrui » à qui la chose est soustraite, et le caractère abandonné de cette dernière. Pourtant, c’est bien de la résolution de la question de la nature de l’appropriation – frauduleuse ou non – que dépend la culpabilité du prévenu. En analysant la jurisprudence de la chambre criminelle, l’on peut observer que les juges du Quai de l’Horloge refusent effectivement de retenir coupable de vol celui qui ravit une chose abandonnée6, tout en retenant concomitamment l’infraction lorsque la chose n’est qu’apparemment abandonnée7 ou seulement perdue8. Or, comment distinguer une chose abandonnée d’une chose perdue ? Comment distinguer une chose abandonnée d’une chose apparemment abandonnée ? Des interrogations auxquelles ni la motivation des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, ni celle de l’arrêt commenté rendu par la Cour d’appel de Grenoble, ne permettent de répondre.

Notes

1 Cass. crim., 11 mars 1942, Bull. Crim. n° 23. Retour au texte

2 Cass. crim., 26 juill. 1928, Bull. crim. n° 226. Retour au texte

3 Cass. crim., 16 mars 1923, DP 1924, 1, 136. Retour au texte

4 Cass. crim., 25 oct. 2000, n° 00-82.152, Bull. crim. n° 318; JCP G 2001, II, 10566, note P. Mistretta; D. 2001, 1052, note T. Garé; Dr. pén. 2001, comm. 18, obs. M. Véron. Retour au texte

5 On peut ainsi lire dans l’arrêt rapporté que « Le tribunal, par jugement contradictoire […], a déclaré X coupable d’avoir le 2 février 2021 à Grenoble (Isère) […] frauduleusement soustrait une mini moto au préjudice de ignoré, avec cette circonstance que les faits ont été commis en réunion. » Retour au texte

6 Cass. crim., 25 oct. 2000 préc. ; Cass. crim., 12 mai 2015, n° 14-83.310 ; Cass. crim., 15 déc. 2015, n° 14-84.906. Retour au texte

7 Cass. crim., 9 août 1833, Bull. crim. n° 305 ; Cass. crim., 22 mai 1846, DP 1846, 1, 243 ; Cass. crim., 21 fév. 1968, Gaz. Pal. 1968, 1, 331. Retour au texte

8 Cass. crim., 22 mai 1846, DP 1846, 1, 243 ; Cass. crim., 17 janv. 1946, Bull. crim. n° 22, S. 1947, 1, 15 ; Cass. crim., 19 déc. 1990, n° 89-8.831, Gaz. Pal. 1991, 2 som., 360, note J.-P. Doucet. Retour au texte

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Référence électronique

Marius Chabin, « À propos de la soustraction d’une chose appartenant à autrui… ou plutôt de la soustraction d’une chose n’appartenant à personne… », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 23 octobre 2023, consulté le 24 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=417

Auteur

Marius Chabin

Étudiant en Master Droit pénal et sciences criminelles, Université Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France.

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