Il est constant que face à un voleur ayant conservé le produit de son méfait, la qualification de vol1 doit être préférée à la qualification de recel2. Toutefois, lorsque la preuve de la matérialité du vol est difficile à rapporter, la qualification de recel pourra être envisagée. Une telle qualification nécessite d’établir l’intention de l’agent, spécifiquement sa connaissance de l’origine délictueuse de la chose recelée. Or, l’élément moral étant intrinsèquement lié à la psychologie de l’agent, la preuve de l’intention peut également s’avérer délicate, faisant que les juges ont recours à des présomptions de fait. L’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble en date du 10 novembre 2022 permet de revenir sur les mécanismes probatoires à l’œuvre en matière de qualification de l’infraction et de caractérisation de l’intention coupable.
Les faits de l’espèce étaient les suivants : au sein de la Chambre de commerce et de l’industrie de Vienne, une employée, alertée par l’une de ses collègues, a constaté que des objets avaient été volés dans son sac à main. Les deux femmes avaient repéré un individu suspect quittant le bâtiment et avaient alerté les autorités. Le prévenu a été interpellé non loin du lieu des faits avec en sa possession les objets volés, à savoir un carnet de tickets restaurant au nom de la victime et un billet de dix euros. Le prévenu, poursuivi pour recel de biens provenant d’un vol en état de récidive, a été relaxé en première instance. Le jugement est infirmé par la cour d’appel qui retient le prévenu dans les liens de la prévention.
Le dossier contenait plusieurs éléments de preuve contradictoires3, entre lesquels la cour d’appel a tranché sans difficulté. Une première contradiction était présente au sein même des déclarations du prévenu. Au soutien de sa défense, il alléguait avoir trouvé le carnet de tickets restaurant sur le sol de l’établissement. Dans un premier temps, il avait prétexté s’être rendu dans la pièce où le vol avait eu lieu à la recherche des toilettes, pour ensuite affirmer n’être jamais entré dans cette pièce. Cette « variation » dans les déclarations du prévenu, relevée par les juges du fond, conduit nécessairement à affaiblir la crédibilité et la force probante de son récit. Ces déclarations se trouvaient également en contradiction avec d’autres éléments de preuve présentés par l’accusation, notamment avec le témoignage d’une employée de l’établissement. Cette dernière attestait avoir surpris le prévenu sortir du local dans lequel le vol avait été commis et que ce dernier lui avait indiqué être à la recherche des toilettes. Elle avait ensuite pénétré dans le local et constaté que le sac à main de la victime était ouvert. Au regard de ces éléments de preuve contradictoires, la cour d’appel a établi que les biens n’avaient pas été égarés, mais qu’ils avaient été volés dans le sac à main de la victime. Ainsi, elle considère que sont mensongères les déclarations du prévenu selon lesquelles les objets avaient été trouvés par terre. Le prévenu alléguait encore, qu’au moment de son interpellation, il était en chemin pour restituer le carnet de tickets restaurant au guichet d’une banque, alors, qu’à ce moment, il se trouvait dans un salon de coiffure. De cet élément de fait, la cour d’appel a induit la mauvaise foi du prévenu et a retenu qu’il avait « nécessairement » connaissance du caractère frauduleux des objets volés retrouvés en sa possession.
De manière assez évidente, le receleur apparaît également être le voleur dans cette affaire. Par principe, le vol et le recel sont considérés comme des qualifications incompatibles4. La qualification de vol doit être préférée, en ce que le recel n’est que la conséquence naturelle du vol. Traditionnellement, la jurisprudence refusait un tel cumul de qualifications en considérant qu’il existait une unité d’intention entre les faits de vol et les faits de recel qui étaient indissociables. Malgré l’abandon du critère d’intentionnalité par un récent revirement jurisprudentiel5, la Cour de cassation maintient le principe d’interdiction de cumul en cas de qualifications incompatibles spécifiquement en matière de vol et de recel6. Cependant, lorsque la preuve de la matérialité du vol est compromise, la culpabilité peut être recherchée pour l’infraction de conséquence7. En l’espèce, l’individu a été retrouvé en possession des objets volés, dans un temps proche du vol et dans un lieu proche de l’établissement dans lequel le vol a été commis. Il ne fait guère de doute qu’il était lui-même auteur du vol. Cependant, aucun élément du dossier n’a suffi à établir la preuve de l’acte de soustraction de la part du prévenu. Le témoignage présent n’attestait pas avoir vu l’agent soustraire les biens, mais il indiquait seulement avoir vu le prévenu sortir de la pièce où le vol avait eu lieu. Dès lors, de l’événement rapporté selon lequel une personne vient de quitter l’endroit où un vol a été commis, sachant que cet individu a été retrouvé en possession des objets volés, les juges du fond n’ont pas considéré qu’il était possible d’établir que le prévenu avait matériellement soustrait les biens. Autrement dit, aucune présomption de fait n’est retenue, faisant que la qualification de recel est envisagée.
Dans cette affaire l’établissement de la matérialité de l’acte de recel ne posait pas de difficulté. Pour rappel, le texte d’incrimination appréhende largement l’acte de recel, qui tient au fait de dissimuler, de détenir, de transmettre, de faire office d’intermédiaire pour transmettre ou de bénéficier du produit d’un crime ou d’un délit8. En revanche, l’appréciation de l’intention de l’agent par les juges du fond soulève plusieurs remarques du point du vue du mécanisme probatoire utilisé.
L’élément moral du recel tient à la connaissance de la part de l’agent du fait que la chose recelée provient d’un crime ou d’un délit, indifféremment de la connaissance précise des circonstances de l’infraction9 ou de l’identité de l’auteur. L’agent doit agir « en sachant que »10 ou « en connaissance de cause »11. L’établissement de l’intentionnalité nécessite de caractériser la mauvaise foi de l’agent12. Or, la preuve de l’intention étant souvent difficile à rapporter de manière directe, les juges du fond ont habituellement recours aux présomptions de fait. L’intention de l’agent s’infère des circonstances de fait, telles que l’achat de la chose à bas prix, les conditions douteuses de la transaction ou la qualité de professionnel du receleur13. Ce mécanisme probatoire, bien connu des magistrats14, a pour effet de faciliter la preuve de l’intention. En l’espèce, le fait que le prévenu soit a priori l’auteur du vol de la chose recelée conduit la cour d’appel à admettre qu’il avait « nécessairement » connaissance de l’origine frauduleuse des biens. En effet, si l’agent est lui-même auteur de l’infraction primaire dans laquelle le recel trouve sa source, il ne peut que connaître la provenance illicite de la chose. Dès lors, l’établissement de l’intention se révèle grandement facilitée dans cette situation. Au regard de la qualité de voleur, les juges du fond établissent une présomption de mauvaise foi, selon laquelle l’agent ne pouvait pas de ne pas avoir connaissance de l’origine des biens. Les juges adoptent ainsi un raisonnement probatoire par la négative assez fréquent en la matière. Pourtant, le respect de la présomption d’innocence implique que la preuve de la mauvaise foi soit rapportée par le ministère public. Or, en se contentant d’établir que l’auteur avait « nécessairement connaissance » ou qu’il « ne pouvait pas ne pas savoir », la jurisprudence impose à la personne poursuivie de rapporter la preuve de sa bonne foi. Ce mécanisme probatoire a pu être perçu comme un renversement de la charge de la preuve au détriment de la personne poursuivie. Néanmoins, comme le fait remarquer le professeur Maistre du Chambon, il s’agit en réalité une simple application du principe de l’intime conviction et de l’appréciation souveraine des juges du fond pour apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve15.