La loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice avait notamment pour objectif de faire du juge correctionnel le premier acteur de l’aménagement ab initio des courtes peines d’emprisonnement. Ainsi, pour les peines d’emprisonnement ferme d’une durée comprise entre un et six mois, le juge correctionnel a désormais l’obligation d’aménager la peine « sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné » (C. pén. art. 132-19). A défaut, il doit spécialement motiver son refus, la Cour de cassation ayant précisé dans plusieurs arrêts rendus le 11 mai 2021 que seuls ces motifs légalement énoncés sont à même d’exclure le prononcé d’un aménagement1. Partant, le juge correctionnel ne peut plus motiver son refus au regard du manque d’éléments permettant d’apprécier la mesure d’aménagement adaptée ou de l’absence d’un projet de réinsertion. Mais doit-il en aller de même pour le juge de l’application des peines (JAP) ? L’arrêt rendu le 24 mars 2022 par la chambre de l’application des peines (CHAP) de Grenoble permet d’en douter.
En l’espèce, un homme avait été condamné par la Cour d’appel de Montpellier en 2019 à six mois d’emprisonnement pour des faits de mise en danger d’autrui lors de la conduite d’un véhicule terrestre à moteur, ainsi qu’usage illicite de stupéfiants, faits commis en 2018. Cette peine, prononcée antérieurement à la réforme opérée par la loi du 23 mars 2019, n’ayant pas été aménagée ab initio par la juridiction de jugement, la situation du condamné avait été transmise pour examen au JAP en application de la procédure simplifiée de l’article 723-15 du Code de procédure pénale. Ce n’est que le 3 mai 2021, cette fois-ci après l’entrée en vigueur de la réforme, que le juge de l’exécution des peines s’est prononcé sur la situation de l’intéressé. Dans la « feuille de route »2 délivrée le 11 mai 2021, à propos de l’application dans le temps de la réforme, la Cour de cassation a précisé que, pour des faits commis avant le 24 mars 2020, seule la condition tenant au quantum de la peine aménageable continue d’être régie par la loi ancienne. A contrario, les conditions et modalités de l’aménagement de la peine sont soumises au régime de la loi nouvelle, d’application immédiate. Or, en l’occurrence, pour refuser au condamné le bénéfice d’un aménagement, le JAP semble continuer de prendre en considération l’absence de garanties de réinsertion. En effet, outre le fait que le condamné n’indique pas l’identité de son hébergeant, le juge prend soin de relever qu’il « ne justifiait pas de la réalité de son activité professionnelle » et que son comportement désinvolte démontrait son absence de remise en question quant aux faits. Dès lors une question se pose : n’est-il pas paradoxal que le JAP continue ainsi d’exiger des gages de réinsertion de la part du condamné quand aujourd’hui, le juge correctionnel qui serait saisi d’une situation identique ne devrait, quant à lui, pas en tenir compte ?
Comment dans ces conditions comprendre la position de la CHAP ? Si celle-ci fait explicitement référence aux arrêts rendus le 11 mai 2021, notamment lorsqu’elle apprécie la recevabilité de la requête, elle ne fait en revanche nullement mention des articles 132-19 du Code pénal et 464-2 du Code de procédure pénale pour se prononcer sur l’opportunité d’un tel aménagement. Elle se contente en effet de renvoyer aux articles 723-15 et 707 du Code de procédure pénale, lesquels évoquent principalement l’objectif de réinsertion assigné aux aménagements de peine.
En l’occurrence, pour infirmer la décision prise par le JAP et octroyer l’aménagement, la cour relève que, désormais, la situation du condamné a évolué. Mais elle fonde sa décision sur la justification d’une activité professionnelle paraissant « plus crédible » que celle présentée en première instance. Elle met d’ailleurs en exergue le fait que « la personnalité du condamné et sa situation professionnelle qui tend à se stabiliser permettent l’aménagement de sa peine ». Pour la juridiction de second degré, l’aménagement ne semble donc acceptable que si des garanties de réinsertion viennent appuyer la demande du condamné.
Plus encore, pour s’assurer de l’existence de telles garanties de réinsertion, les juges se servent de la période de latence qui existe nécessairement entre le jugement du tribunal correctionnel, la décision du JAP et l’examen devant la CHAP pour inciter le condamné à rechercher de telles garanties. Cette période de latence est ainsi en quelque sorte utilisée comme une période de probation qui ne dit pas son nom, encourageant le condamné à s’inscrire d’ores et déjà dans une démarche de réinsertion. En effet, la pratique dans de nombreuses juridictions consiste à demander au condamné de fournir une liste de justificatifs, tant sur son domicile que sur son activité professionnelle ou sa situation matérielle, familiale et sociale. Cette « probation », qui aide autant le juge que le condamné (ou son avocat) à prouver l’évolution de sa situation, s’inscrit au-delà des exigences légales, lesquelles ne prévoient pas, à ce stade, de mise à l’épreuve. Elle interroge également quant au respect du principe d’égalité devant la loi, l’intéressé étant in fine jugé selon des critères plus exigeants si sa peine n’est pas immédiatement aménagée par la juridiction de jugement mais vient à l’être, plus tard, par le JAP avant mise à exécution de sa peine.
La situation devrait toutefois, à l’avenir, être moins fréquente. En effet le principe, depuis la réforme de 2019, est que les peines doivent être aménagées ab initio par le juge correctionnel, le JAP n’intervenant que pour déterminer les modalités de l’aménagement. Toutefois, pour l’heure, la réforme peine à produire pleinement ses effets. En ce sens, il résulte d’un rapport de l’Inspection générale de la Justice qu’en 2020 seules 9,3 % des peines de moins de six mois étaient aménagées ab initio3. Bien que l’aménagement doive être prévu en amont, au moins dans son principe, la majorité des courtes peines continuent donc en réalité à être examinées par le JAP par le biais de l’article 723-15. Dès lors, il faut se demander s’il ne serait pas opportun de procéder à une uniformisation des conditions d’aménagement des courtes peines avant mise à exécution, que cet aménagement soit décidé directement ab initio par la juridiction de jugement ou plus tard par le JAP. La Cour de cassation, qui est déjà intervenue afin de servir de guide pour l’application de la réforme de 2019, ne devrait-elle pas à nouveau être saisie de cette question ?