En l’espèce, en juillet 2012, Monsieur X a été condamné par la Cour d’assises du Gard à quinze ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire, infraction permettant, au terme de l’exécution de sa peine, la mise en place d’une surveillance judiciaire des personnes dangereuses (C. proc. pén. art. 723-29 et D. 147-31). Détenu depuis le 22 janvier 2009, il est, en raison des réductions de peines obtenues - lesquelles équivalent, en l’occurrence, toutes peines confondues, à trente mois et dix jours - libérable le 10 novembre 2022. Le 7 juillet 2022, le tribunal d’application des peines (TAP) de Grenoble décide de le placer, à compter de sa libération, sous le régime de la surveillance judiciaire assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile et d’une injonction de soins. L’intéressé interjette appel de cette décision en faisant valoir que le risque avéré de récidive exigé par l’article 723-29 du Code de procédure pénale n’était nullement caractérisé par des éléments susceptibles d’être débattus contradictoirement.
L’argument n’était pas dépourvu de fondement. En effet, suivant l’article 723-31 du Code de procédure pénale, le risque avéré de récidive justifiant la mesure de sûreté doit être constaté par une expertise médicale ordonnée par le juge de l’application des peines (JAP) ou le procureur de la République, laquelle expertise doit, dans ses conclusions, faire apparaître la dangerosité du condamné et déterminer s’il est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Or, en l’occurrence, ces expertises faisaient défaut. De fait, aucune des expertises ordonnées par le JAP, les 8 décembre 2021 et 31 mars 2022, n’avait pu être réalisée, le condamné ayant à chaque fois, refusé les entretiens, obligeant ainsi les experts à rendre des rapports de carence. Quant aux expertises médicales qui avaient été antérieurement réalisées au cours de sa détention, l’une en 2014, l’autre en 2020, aucune n’avait conclu à l’existence d’un risque avéré de récidive. La première concluait à l’absence « d’état de dangerosité caractérisé sur le plan psychiatrique » ainsi qu’à l’absence « d’élément psychopathologique particulier en faveur d’un risque de récidive ». La seconde indiquait ne pas avoir « fait de constatations d’ordre psychologique ou psychopathologique qui soit de nature à contre-indiquer une permission de sortir ou un aménagement de peine ».
Pour autant, dans son arrêt du 5 janvier 2023 la chambre de l’application des peines (CHAP) confirme le placement sous surveillance judiciaire de l’intéressé. La juridiction d’appel considère que dès lors que celui-ci « est à l’origine de l’absence d’expertise médicale récente puisqu’il a refusé de rencontrer les experts désignés par le JAP, il convient de passer outre cette absence et d’évaluer le risque de récidive en fonction des éléments de personnalité figurant au dossier ». C’est donc à juste titre que le TAP avait pu se fonder sur d’autres éléments, notamment sur deux rapports réalisés par le Centre national d’évaluation (CNE) en 2018 et en 2020 mettant en avant la radicalisation de l’intéressé et sa défiance vis-à-vis des institutions, ainsi que son comportement en détention, Monsieur X ayant fait l’objet de nombreux rapports d’incidents conduisant à des transferts répétés dans différents établissements pénitentiaires. En revanche, les juges du second degré considèrent, à l’inverse des premiers juges, qu’un placement sous surveillance électronique mobile n’est pas utile à ce stade, de simples interdictions de paraître pouvant dans un premier temps suffire à éviter le risque de récidive. Surtout, la chambre infirme le prononcé d’une injonction de soins au motif qu’à défaut d’expertise médicale concluant à la possibilité d’un tel traitement, il est impossible de soumettre l’intéressé à cette mesure.
On pourrait a priori être surpris que la CHAP s’exonère ainsi de l’exigence textuelle d’une expertise médicale concluant à la dangerosité du condamné pour prononcer une surveillance judiciaire des personnes dangereuses. Toutefois, le non-respect des exigences légales est clairement circonscrit par l’arrêt commenté au cas où, par son refus, le condamné rend impossible toute expertise médicale. La solution se veut dès lors pragmatique puisqu’il s’agit in fine d’empêcher que des condamnés puissent, par leur refus de se soumettre à évaluation, faire obstacle à la mise en place d’un suivi post-carcéral. Si leur refus est, aux termes de l’article 16 du Code civil, un droit, et que l’on ne peut les contraindre à répondre aux experts, les juges peuvent toutefois tenir compte de ce refus et en tirer les éventuelles conclusions négatives pour l’intéressé.
Au-delà, l’arrêt invite à s’interroger sur la notion de dangerosité justifiant le prononcé d’une mesure de sûreté post-carcérale. De quelle dangerosité s’agit-il : d’une dangerosité psychiatrique ou d’une dangerosité criminologique ? La lettre des textes est sur ce point peu éclairante. En effet, en imposant que le risque de récidive soit constaté par une expertise médicale dont la conclusion fait apparaître la dangerosité du condamné et détermine si le condamné est susceptible de faire l’objet d’un traitement, l’article 723-31 du Code de procédure pénale semble confondre les deux formes de dangerosité. La solution adoptée par la CHAP invite à l’inverse à distinguer les deux notions. En effet, si la chambre admet que le juge puisse, en certaines circonstances, apprécier le risque de récidive grâce à des éléments autres que l’expertise médicale, c’est parce que le risque de récidive relève de la dangerosité criminologique, lequel peut, comme en l’espèce, être apprécié au regard des éléments de personnalité figurant au dossier et des évaluations faites par le CNE, organe pluridisciplinaire ayant précisément pour rôle d’évaluer cette dangerosité criminologique. L’existence ou les conclusions d’une expertise médicale ne sont dès lors qu’un élément d’appréciation parmi d’autres. En revanche, lorsqu’il s’agit de prononcer une injonction de soins visant à prévenir le risque de récidive, c’est la dangerosité psychiatrique de l’intéressé qui justifie l’obligation imposée au condamné. L’expertise médicale redevient alors indispensable.