La fongibilité des aménagements de peine au service du droit des victimes à la tranquillité et à la sûreté

DOI : 10.35562/bacage.440

Décision de justice

CA Grenoble, Chambre de l’application des peines – N° RG 22/00308 – 19 mai 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 22/00308

Date de la décision : 19 mai 2022

Résumé

Le juge de l’application des peines peut, pour apprécier l’opportunité de substituer un aménagement de peine à un autre, prendre en considération les intérêts de la victime, conformément à la mission qui lui incombe en vertu de l’article 707 du Code de procédure pénale.

Le principe de fongibilité des aménagements de peine a été énoncé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité afin de garantir l’exécution des peines. En application de ce principe, l’article 723-7-1 du Code de procédure pénale permet au juge de l’application des peines (JAP), si la personnalité du condamné ou les moyens disponibles le justifient, de substituer à la mesure de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) initialement décidée par la juridiction de jugement dans le cadre d’un aménagement ab initio d’une courte peine d’emprisonnement, une mesure de semi-liberté ou de placement à l’extérieur. Comme le rappelle à juste titre la chambre de l’application des peines (CHAP) de Grenoble dans un arrêt rendu le 19 mai 2022, la réforme opérée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019, bien que faisant du juge correctionnel le premier acteur de l’aménagement des courtes peines d’emprisonnement, ne remet pas en cause ce principe de fongibilité. Le JAP conserve entier son pouvoir de substituer un aménagement de peine à un autre et peut donc, à cette occasion, légitimement revenir sur ce qui a été décidé par la juridiction de jugement dès lors que, suivant les critères énoncés par l’article 723-7-1 du Code de procédure pénale, « la personnalité et les moyens disponibles le justifient ». Le présent arrêt offre un éclairage intéressant sur cette répartition des compétences entre juge correctionnel et JAP et sur les motifs permettant à ce dernier d’opérer une telle substitution.

En l’espèce, le tribunal correctionnel de Vienne avait prononcé à l’encontre d’un individu reconnu coupable de menace de mort, exhibition sexuelle et dégradation d’un bien appartenant à autrui, une peine de douze mois d’emprisonnement dont six mois assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant deux ans et avait décidé d’aménager ab initio la partie ferme de la peine sous le régime d’une DDSE. Dans ce cadre, le condamné était tenu à l’obligation de suivre des soins, de réparer les dommages causés par l’infraction et de s’abstenir d’entrer en relation avec les victimes. Or, dès son retour à son domicile après l’audience de jugement, l’intéressé aurait eu des attitudes « pouvant être perçues comme agressives ou provocatrices » à l’encontre de ses voisins victimes des faits pour lesquels il avait été condamné. L’un d’entre eux ayant alerté le JAP en charge de préciser les modalités d’exécution de la DDSE, ce dernier avait envisagé une modification de la mesure d’aménagement. Dans un premier temps, il avait laissé au condamné un délai pour trouver un autre hébergement, non situé en face du domicile des victimes, et permettant une exécution effective de la mesure. Mais aucun autre hébergement n’ayant été trouvé dans le délai imparti, le juge avait alors décidé de substituer à la DDSE une mesure de semi-liberté. C’est cette décision que l’intéressé conteste devant la CHAP, celle-ci n’étant selon lui pas justifiée par l’un des motifs prévus à l’article 723-7-1 du Code de procédure pénale.

Il est vrai qu’une lecture rapide de la décision peut laisser penser que la substitution se fonde principalement sur les intérêts des victimes et non, comme exigé par l’article précité, sur la personnalité et les moyens disponibles de l’aménagement de peine. Toutefois, comme le rappelle à juste titre la CHAP, « l’intervention du juge de l’application des peines se situe dans le cadre de la mission qui lui incombe, en application de l’article 707 du Code de procédure pénale, de garantir le droit à la tranquillité et la sûreté des victimes pendant l’exécution de la peine infligée à l’auteur des faits qu’elles ont subis ». Il en résulte que si les intérêts de la victime ne sauraient à eux seuls justifier une substitution d’aménagement que le condamné jugerait moins favorable, en revanche dès lors que la personnalité du condamné laisse légitimement craindre un risque d’atteinte aux intérêts de la victime, le juge peut parfaitement fonder sa décision sur cette considération. La mesure de substitution est alors bien fondée sur l’un des critères énoncés à l’article 723-7-1 – la personnalité du condamné – apprécié à l’aune des principes de l’exécution des peines énoncés par l’article 707 du Code de procédure pénale. Or, tel était le cas en l’espèce. Le JAP avait en effet pris soin de relever des éléments de personnalité du condamné (attitude menaçante, agressive…) rendant « sa présence inquiétante pour les victimes qui habitent en face de chez lui », de même qu’il avait recherché si les moyens disponibles, et en l’occurrence un hébergement éloigné du lieu de vie des victimes, pouvaient permettre une exécution de la DDSE respectueuse des intérêts des victimes. Ce n’est que parce que la DDSE ne pouvait s’exécuter de manière effective « compte tenu des conditions géographiques et des alertes des victimes » qu’il a décidé d’y substituer une semi-liberté.

Certes, la semi-liberté est une mesure plus contraignante pour le condamné, mais elle est en l’espèce un moindre mal. En effet l’intéressé ayant violé son interdiction d’entrer en contact avec les victimes, le JAP aurait pu décider du retrait de l’aménagement de peine ce qui aurait à terme conduit à une incarcération effective. La fongibilité des aménagements de peines offre dès lors une voie intermédiaire permettant de conserver une peine aménagée, jugée plus utile à la réinsertion du condamné qu’un enfermement, tout en respectant les intérêts des victimes.

Reste que cette substitution d’une mesure de semi-liberté à la mesure de DDSE initialement prononcée par la juridiction de jugement met à mal l’objectif de la réforme opérée par la loi du 23 mars 2019 et visant à garantir l’effectivité de la peine, telle que prononcée par le juge de condamnation. L’un des enjeux de la réforme était en effet que la peine prononcée par le juge correctionnel soit mise à exécution en l’état sans qu’un autre juge, en l’occurrence le JAP, ne puisse défaire ce qui a été fait. Mais, comme le montre la présente espèce, ce souhait du législateur se heurte à une difficulté pratique : celle résultant de la faiblesse des informations dont dispose, au jour de l’audience, la juridiction de jugement pour se prononcer sur un aménagement de peine. La CHAP l’énonce clairement en expliquant qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause le principe de l’aménagement décidé par le tribunal correctionnel, mais de permettre une exécution utile de la peine aménagée au regard des moyens disponibles et de la personnalité du condamné, laquelle n’a pas « nécessairement pu être appréhendée de manière exhaustive durant l’audience de la juridiction de jugement » ou peut présenter « sans que cela ne soit immédiatement perceptible, des aspects incompatibles avec la mesure d’aménagement de peine décidée ». Alors que la réforme avait pour ambition de favoriser une peine individualisée dès son prononcé, le présent arrêt témoigne donc de la complexité de son application pratique, la juridiction de jugement était le plus souvent amenée à prononcer ab initio l’aménagement légalement préconisé sans être en mesure d’en apprécier réellement l’opportunité.

Citer cet article

Référence électronique

Juliette Maton, « La fongibilité des aménagements de peine au service du droit des victimes à la tranquillité et à la sûreté », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 06 novembre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=440

Auteur

Juliette Maton

Etudiante en Master II Droit pénal et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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Stéphanie Fournier

Codirectrice du Master II Droit pénal et sciences criminelles, Université Grenoble-Alpes

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Codirectrice du Master II Droit pénal et sciences criminelles, Université Grenoble-Alpes

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