Dans la présente affaire, une personne placée sous mesure de curatelle renforcée a fait l’objet d’un placement en garde à vue. Elle a, par la suite, été reconnue coupable des faits et condamnée à six mois d’emprisonnement par le tribunal correctionnel. Or, aucune information n’a été faite au curateur durant la mesure de garde à vue conformément à l’article 706‑112‑1 du Code de procédure pénale et aucune expertise n’a été diligentée aux fins d’évaluations du discernement en application de l’article 706‑115 du Code. Face à ces manquements procéduraux, la cour d’appel de Grenoble prononce la nullité de l’intégralité de la procédure de garde à vue et des actes subséquents, ainsi que la nullité du jugement. Cet arrêt permet de revenir sur ces deux exigences procédurales que sont l’information du tuteur et du curateur et la réalisation d’une expertise médicale aux fins d’évaluation de la responsabilité pénale.
Initialement, les dispositions du Code de procédure pénale imposaient uniquement l’information du tuteur ou du curateur en cas de poursuites ou d’alternative aux poursuites exercée à l’encontre du majeur protégé (article 706‑113 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi no 2007‑308 du 5 mars 2007). Progressivement, et coup par coup, les droits des majeurs protégés ont été accrus au fil des questions prioritaires de constitutionnalité et des réformes législatives. Dans une première décision du 14 septembre 2018 (QPC 14 septembre 2018 no 2018‑730), l’article 706‑113 du Code de procédure pénale est déclaré contraire à la constitution en ce qu’il ne prévoit pas d’information au tuteur ou au curateur dès le placement en garde à vue de la personne protégée. Suite à cette censure, la loi no 2019‑222 du 23 mars 2019 a introduit l’article 706‑112‑1 au sein du Code de procédure pénale. Le texte prévoit que, lorsqu’au cours d’une mesure de garde à vue, il apparaît que l’intéressé est placé sous une mesure de protection, l’officier ou l’agent de police judiciaire doit en aviser le curateur ou le tuteur. Or, dans l’affaire commentée, après avoir eu connaissance du régime de curatelle renforcée dont le gardé à vue faisait l’objet, l’officier de police judiciaire n’en avait avisé ni le curateur, ni le procureur de la République. Sauf en cas de circonstances insurmontables, cette diligence doit être entreprise dans un délai de six heures à compter de la connaissance de l’existence de la mesure de protection1. Comme le fait justement remarquer la cour d’appel de Grenoble, le fait que la mesure de garde à vue prenne fin avant le délai de six heures « ne saurait justifier la violation des dispositions légales en vigueur pour les personnes protégées ».
Manifestement, l’obligation d’information doit être respectée, quand bien même la durée de la garde à vue serait inférieure à la durée supérieure au maximum légal. En effet, l’avis au tuteur ou au curateur se révèle être un élément indispensable à l’exercice des droits de la défense de la personne protégée, celle‑ci pouvant être dans l’incapacité de les exercer elle‑même « faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles2 ». Le curateur agit en lieu et place du majeur incapable.
À cet égard, l’article 706‑112-1 alinéa 2 du Code de procédure pénale précise que lorsque le majeur protégé n’est pas assisté d’un avocat ou n’a pas fait l’objet d’un examen médical, le tuteur, le curateur ou le mandataire spécial peuvent désigner un avocat, demander qu’un avocat soit désigné par le bâtonnier et demander que l’intéressé soit examiné par un médecin. En conséquence, comme le rappelle le présent arrêt, la méconnaissance de l’obligation d’informer le tuteur ou le curateur cause nécessairement un grief justifiant la nullité de la mesure de garde à vue, ainsi que de l’ensemble des actes subséquents.
Au‑delà des manquements durant l’enquête justifiant la nullité de la garde à vue, la cour d’appel s’attache également à souligner d’autres erreurs commises par la juridiction du fond. Sans prononcer la nullité sur ce point, elle fait remarquer l’information tardive du curateur de la date de l’audience et l’absence de mention de la mesure de protection et de l’identité du curateur dans le jugement. La cour d’appel rappelle ainsi trois principes relatifs aux droits des majeurs protégés : le tuteur ou le curateur doit être informé de la mesure de garde à vue dont l’intéressé fait l’objet dès la révélation de la mesure de protection ; il doit être avisé dans un délai raisonnable de toute audience concernant l’intéressé ; et la mesure de protection ainsi que l’identité du curateur doivent être indiquées dans la décision. Par la suite, d’autres décisions du Conseil constitutionnel sont intervenues venant parachever la protection des droits des personnes placées sous tutelle ou curatelle. Dans une décision du 15 janvier 20213, les sages sont venus imposer l’avis du tuteur ou du curateur préalablement à toute perquisition. Cette exigence se trouve, désormais, contenue au sein de l’article 706‑112-3 du Code de procédure pénale. Cette même exigence d’information se retrouve lorsque l’intéressé doit comparaître devant le juge d’application des peines4. La série continue avec la dernière décision en date rendue le 18 janvier 20245. Les dispositions de l’article 706‑113 du Code de procédure pénale ont, une nouvelle fois, été déclarées inconstitutionnelles pour prévoir l’information du tuteur ou du curateur uniquement en cas de poursuites ou d’alternatives aux poursuites, et non en cas de défèrement devant un magistrat à l’issue de la garde à vue. Il faut, alors, s’attendre à de nouvelles modifications législatives, tout en regrettant que la protection des majeurs n’ait pas fait l’objet d’une réforme d’ensemble.
En outre, la procédure suivie à l’encontre d’un majeur protégé nécessite de s’assurer que celui‑ci dispose du discernement suffisant afin d’être considéré comme pénalement responsable. L’article 706‑115 du Code de procédure pénale, issu de la loi no 2007‑308 du 7 mars 2007, dispose que « la personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ». L’expertise est ordonnée par le procureur de la République ou par le juge d’instruction. Néanmoins, elle est facultative en cas de procédure alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, en cas de composition pénale ou lorsque l’intéressé est entendu comme témoin assisté6. Le juge d’instruction ou le président du tribunal correctionnel peut également décider de ne pas procéder à une expertise, lorsqu’il apparaît des éléments issus de la procédure civile ayant conduit à la mise en œuvre de la mesure de protection, des indications suffisantes pour apprécier le discernement de l’intéressé au moment des faits7.
A priori, les faits de l’espèce ne correspondaient à aucune de ces situations dérogatoires et le jugement de première instance avait été rendu sans qu’aucune expertise ne soit diligentée. En conséquence, sans plus de détails, la cour d’appel prononce la nullité du jugement pour méconnaissance des dispositions de l’article 706‑115 du Code de procédure pénale. Cette solution s’inscrit directement dans l’esprit du texte voulant qu’en l’absence de toute expertise les droits de la défense sont nécessairement méconnus. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que ce manquement porte une atteinte substantielle aux droits de la personne, en ce qu’il ne lui permet pas d’être jugée conformément à son degré de responsabilité pénale8. Cette solution porte alors atteinte à l’un des principes fondamentaux de la responsabilité pénale : l’exigence de discernement suffisant de la personne poursuivie.
Ainsi, dans cette affaire, la procédure tout entière s’écroule. D’une part, la procédure de garde à vue est déclarée nulle en l’absence d’information du curateur. D’autre part, le jugement est déclaré nul en l’absence de réalisation d’une expertise aux fins d’évaluation de la responsabilité pénale.