Aux termes de l’article 121‑5 du Code pénal, la tentative punissable requiert un commencement d’exécution ainsi qu’une absence de désistement volontaire. Il en résulte que toute interruption volontaire de l’entreprise criminelle exclut de facto la répression. Cette solution permet d’encourager la volonté des auteurs de se détourner du chemin de l’infraction, en reconnaissant leur initiative de renoncer à leur comportement infractionnel. Afin de bénéficier de l’impunité, la tentative doit être interrompue de façon volontaire et spontanée, sans que l’auteur ne soit influencé par une tierce personne. Il ne doit être commandé que par sa seule volonté intrinsèque.
Cela admis, il est opportun de constater que cette notion de désistement volontaire a fait couler beaucoup d’encre malgré son apparence simple. Tout d’abord, il existe des hypothèses qui, en raison de leur limpidité, ne posent aucune difficulté.
Lorsque le désistement est véritablement volontaire et spontané, il n’existe aucune difficulté d’interprétation : la tentative n’est pas punissable. À l’inverse, lorsque le désistement émane d’un évènement extérieur à l’agent, la tentative est constituée puisque l’interruption est involontaire. La difficulté réside dans l’interruption délibérée de l’auteur effectuée sous l’influence d’un évènement extérieur exempt de toute contrainte. Cette hypothèse oblige à tenir compte des circonstances spécifiques de chaque espèce et des motivations réelles de chaque auteur. Dans ce cas, la doctrine suggère d’identifier le facteur interne et le facteur externe du désistement, puis de déterminer lequel a revêtu une certaine prépondérance, en l’espèce1.
C’est sur ce point particulier que se sont opposés les juges de première instance grenoblois et la cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 9 février 2023.
Dans cette affaire, un individu est poursuivi pour avoir tenté de commettre une agression sexuelle par surprise sur son collègue de travail. Concrètement, il lui est reproché d’avoir tenté d’effectuer un geste de nature sexuelle en direction du sexe de sa victime, n’ayant manqué son effet que par l’évitement réalisé par la victime. En amont de ce geste, l’auteur avoue avoir envisagé une relation amoureuse avec cette personne et admet avoir eu un geste qui tendait à lui « toucher la braguette », mais qu’il avait renoncé face au refus formalisé par la victime. Effectivement, c’est au cours d’une accolade que l’auteur a approché sa main vers le sexe de son collègue qui a réagi par un mouvement de recul avec sa hanche, afin d’éviter que le geste n’atteigne ses parties intimes.
En première instance, les juges ont estimé que cet évitement constituait un évènement extérieur qui ne permettait pas de caractériser un désistement volontaire de la part de son auteur. La tentative est ainsi constituée par le commencement d’exécution, à savoir le geste univoque de l’auteur visant à toucher les parties intimes de sa victime, ainsi que par l’absence de désistement volontaire, puisque l’interruption n’a eu lieu qu’en raison de l’évitement de la victime. En somme, l’individu a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés.
Cette affaire invite à s’interroger sur la notion essentielle de la tentative, et plus spécifiquement sur les conditions tenant à l’interruption exonératoire de celle‑ci. Le désistement de l’auteur suite à un évitement de sa victime demeure‑t‑il libre et spontané ?
La cour d’appel de Grenoble répond favorablement à cette interrogation et infirme le jugement des juges du fond. Elle estime, au contraire, que l’auteur a su s’arrêter face au refus formé par son collègue de travail, et qu’en ce sens, son geste ne revêt aucun caractère délictueux. La cour de céans précise que le geste incriminé n’a pas atteint sa victime et que l’auteur l’a volontairement interrompu face au mouvement de recul de la personne. Elle conclut que le désistement volontaire est parfaitement constitué et prononce la relaxe de l’agent.
Cette solution inattendue et singulière attise la curiosité juridique puisqu’elle renverse la tendance constante de la jurisprudence. En effet, il est habituellement admis que le désistement n’est volontaire que lorsqu’il n’est pas motivé par des éléments extérieurs à l’individu2. En revanche, il peut arriver que l’intervention d’un tiers n’exclue pas le caractère volontaire de l’interruption, mais encore faut-il que l’auteur ait décidé spontanément, de façon libre et sans influence, de mettre un terme à son entreprise criminelle3.
Cette affaire n’entre dans aucune des deux hypothèses, puisqu’en l’espèce, l’auteur s’est désisté en raison du comportement de la victime. La difficulté réside dans le fait que l’agent ait renoncé certes, volontairement, mais pas de manière spontanée. Ce caractère spontané de l’interruption est‑il impératif ? Manifestement, la Cour de cassation répond par l’affirmative, puisqu’elle soutient, notamment, que la résistance d’une victime ne permet pas de caractériser une interruption volontaire4. Ce comportement de résistance qu’arbore la victime n’a pas permis à l’auteur d’aller au bout de son entreprise criminelle, ainsi, la tentative n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de sa volonté5. Nonobstant cette tendance, la cour d’appel a estimé que l’élément extérieur à l’individu pouvait être pris en considération et n’excluait pas le caractère volontaire de l’interruption. Elle fait une application ad litteram de l’article 121‑5 du Code pénal, puisqu’elle n’érige pas la spontanéité comme condition sine qua non du désistement de l’auteur. La seule volonté de l’auteur à renoncer à l’infraction suffit pour l’exonérer de sa responsabilité.
Sur cette question, la difficulté est patente quand il s’agit de déterminer dans quel cas le désistement peut être considéré comme volontaire et entraîner l’impunité de son auteur. Cette question ne peut pas être véritablement tranchée et aucune règle claire ne peut être dégagée puisque ces hypothèses imposent une analyse casuistique. Cette affaire en est l’illustration parfaite !
En définitive, il est opportun de souligner que cette tentative, manifestée par un commencement d’exécution, n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur et notamment l’évitement effectué par la victime. Cette solution de la cour d’appel de Grenoble prête ainsi à discussion puisqu’elle se positionne à contre‑courant de la tendance jurisprudentielle des juridictions françaises. Par cet arrêt, la cour d’appel de Grenoble a peut‑être souhaité ouvrir la voie vers un assouplissement des conditions du désistement volontaire. Cette solution, si elle ne reste pas isolée, inviterait à laisser penser que le désistement volontaire ne doit pas nécessairement et uniquement être commandé par une volonté intrinsèque de son auteur. Cette distinction affirmée entre la volonté et la spontanéité offre une perspective plus nuancée, éliminant toute confusion entre ces deux termes. Cette position est parfaitement conforme avec la lettre du droit qui n’évoque que le désistement volontaire.