Définie de manière générale à l’article 222‑22 alinéa 1er du Code pénal, l’agression sexuelle correspond légalement à « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur ».
Le Code pénal ne donne pas vraiment de définition des agressions sexuelles qui, en réalité, ne se comprennent que par opposition au viol. De fait, depuis la réforme instituée par la loi du 2 avril 2021, la qualification d’agression sexuelle ne concerne plus que les actes qui, tout en impliquant un acte physique entre l’auteur et la victime, ne se matérialise ni par une pénétration sexuelle ni par un acte bucco‑génital. La matérialité de l’agression sexuelle consiste alors en un contact physique entre l’agresseur et la victime1 réalisé sur des zones sexuelles ou sur des zones corporelles à caractère sexuel, mais réalisé dans un contexte sexuel2. Or, il arrive que ce ne soit pas la qualification juridique en elle‑même qui soulève une difficulté, mais plutôt l’invocation in limine litis d’une nullité pour absence de motivation du jugement. Avant de discuter de l’arrêt à commenter, il est essentiel de contextualiser la mise en place de cette nécessité de motiver tout jugement afin d’en comprendre les enjeux. Cette exigence de motivation a été insérée dans le Code pénal3 et dans le Code de procédure pénale4 grâce à la jurisprudence et notamment à trois arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er février 2017 ayant consacré, en matière correctionnelle, une obligation de motivation générale des peines principales et complémentaires. Avec l’entrée en vigueur de la loi no 2019‑222 du 23 mars 2019 instaurant un nouvel article dans le Code de procédure pénale5, cette obligation a été précisée puisque désormais, il est exigé qu'en matière correctionnelle, une peine soit motivée en tenant compte, conformément à l’article 132‑1 du Code pénal, « des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale6 ». La question porte par conséquent sur les incidences d’un manque de motivation sur la légitimité et l’équité du procès pénal. C’est en ce sens qu’il nous faut étudier une décision du 19 janvier 2023 rendue par la 6e chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Grenoble ayant annulé le jugement déféré pour défaut de motivation.
En l’espèce, une esthéticienne dans un institut de beauté à Montélimar expliquait qu’un homme s’y était présenté pour un modelage d’une heure. Cela comprenait un massage de détente et relaxation sur tout le corps à l’exception des fesses et des parties sexuelles. Elle a décrit comment l'homme avait tenté à plusieurs reprises des gestes déplacés pendant le massage, ce qui l'avait profondément perturbée, la conduisant à interrompre la séance et à informer sa responsable. Elle a rapporté qu'elle était bouleversée et qu'elle avait pleuré après l'incident. Elle expliquait que lorsqu’elle lui a demandé d’enlever ses vêtements, tout en gardant ses sous‑vêtements, il avait répondu « ah bon » avec un sourire et un regard pervers. Ce dernier lui a demandé de lui masser les fesses, ce qu'elle a refusé, suscitant sa déception. Pendant le massage des cuisses, il tentait régulièrement et délibérément de la toucher, essayant même de lui caresser les mains. Face à son érection, elle a hâtivement terminé le massage pour le couvrir et a poursuivi sur les bras. Lorsqu'il a tenté de toucher son pubis à plusieurs reprises, elle a réagi fermement en lui attrapant le poignet afin de lui faire comprendre qu’il devait arrêter. Par la suite, il lui avait caressé le pubis avec le dos de sa main, les doigts bien tendus pour appuyer son geste, et avait tenté de le faire à plusieurs reprises. Elle avait tiré son bras, l’avait repoussé fortement et était sortie précipitamment pour en informer sa responsable.
Elle relatait qu'elle était tremblante et en pleurs. Le lendemain, il était revenu à l'institut pour réclamer sa montre, or, aucune montre n'avait été retrouvée après son départ. Cette situation inédite même avec une clientèle masculine régulière, a profondément affecté l'esthéticienne qui, désormais, refuse de pratiquer des massages sur des hommes.
Lors de son interrogatoire, l'individu a contesté les accusations portées à son encontre, affirmant que l'esthéticienne avait interrompu le massage car elle ne se sentait pas bien. Il affirmait être simplement passé devant l'institut par hasard après sa séance de sport. Il a demandé une confrontation pour clarifier la situation avec la masseuse qui a refusé.
Quant à sa supérieure hiérarchique, elle a rapporté que l'homme avait déclaré être satisfait du massage de sa collègue et a corroboré son témoignage, indiquant que celle‑ci était bouleversée et avait du mal à s'exprimer après le massage litigieux. Avant de partir, il avait mentionné qu'il était peut‑être un peu trop tactile et avait évoqué son mal‑être du fait de son divorce. Après cet incident, l'esthéticienne avait reçu plusieurs appels d'hommes demandant des massages intégraux, une situation qui ne s'était jamais produite auparavant. Depuis lors, elle n'acceptait plus de nouveaux clients masculins.
Le 10 février 2022, le tribunal correctionnel de Valence a déclaré le prévenu coupable d’avoir commis ou tenté de commettre, une atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise en procédant sur la victime à des attouchements de nature sexuelle7. La peine prononcée est de quatre mois d’emprisonnement délictuel avec sursis. Nonobstant, suite à l’appel interjeté par le ministère public et le prévenu, ce dernier demande in limine litis à la cour d’annuler le jugement pour défaut de motivation. En appel, la cour a annulé le jugement déféré en raison de son manque de motivation sur le fondement de l’article 485 du Code de procédure pénale. C’est la raison pour laquelle la cour va évoquer et statuer sur le fond en application de l’article 520 du Code de procédure pénale permettant aux juges du second degré de remplir directement, dans la limite de leur saisine par les actes d’appel, la mission des juges de première instance8. Malgré l’existence de ladite nullité, la peine prononcée par la 6e chambre des appels correctionnels a prononcé le même quantum de peine à l’encontre du prévenu. C’est alors grâce à l’utilisation de la méthode du faisceau d’indices que celle‑ci érige la culpabilité du prévenu. En effet, la cour d’appel expose une série d’éléments convergents et notamment, les témoignages concordants de l'esthéticienne et de sa supérieure hiérarchique, la description détaillée des gestes à caractère sexuel fournie par la plaignante, et les propos de l'homme évoquant sa séparation et son comportement tactile.
La cour a, de surcroît, souligné que les gestes du prévenu constituaient une agression sexuelle faite avec une parfaite conscience compte tenu des limites clairement établies par l'esthéticienne et de son opposition manifestée. Ainsi, le prévenu ne pouvait pas invoquer le caractère involontaire de ses gestes du fait de sa position allongée démontrant qu’il a sciemment profité du massage et de la proximité physique que cela supposait pour lui imposer, par surprise, des attouchements de nature sexuelle.
Malgré le respect par la 6e chambre des appels correctionnels du principe de légalité des délits et des peines, souligné par l’annulation dudit jugement pour manquement à cette exigence de motivation, l’arrêt rendu suscite diverses interrogations. En effet, la motivation d’un jugement est primordiale pour que les parties comprennent les raisons justifiant la décision de condamnation. Le défaut de motivation peut donc potentiellement priver le prévenu de son droit à une défense efficace et de son droit à un procès équitable9, remettant alors en cause les fondements essentiels de la bonne administration de la justice. Bien qu’après l'appel interjeté dans notre cas d’espèce la peine prononcée reste la même, cela ne traduit pas nécessairement que l’arrêt rendu par les juges du second degré est identique puisqu’en annulant le jugement initial du tribunal correctionnel de Valence, la cour d'appel de Grenoble vient réaffirmer la culpabilité du prévenu et la légitimité de la peine. Effectivement, elle présente de manière intelligible les nombreuses raisons motivant cette peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis. De fait, cet exposé des motifs peut contribuer à maintenir la confiance des citoyens dans le système judiciaire en exposant que les erreurs sont reconnues et corrigées de manière juste. En somme, bien que le fait d’annuler le jugement de première instance pour finalement prononcer la même peine puisse sembler paradoxal, cette annulation peut servir à garantir la légitimité, la transparence et l'équité de la procédure puisque sans cela, il devient difficile pour les citoyens de croire que la justice est rendue de manière impartiale et équitable.