Régularisation d’un contrôle d’identité par substitution de motifs

DOI : 10.35562/bacage.836

Décision de justice

CA Grenoble, 6e ch. des appels correctionnels – N° 23/00482 – 09 novembre 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23/00482

Date de la décision : 09 novembre 2023

Résumé

Le fait, pour un individu, de s’enfuir à la vue de policiers patrouillant dans une zone connue pour être le lieu d’un trafic de produits stupéfiants constitue des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction au sens de l’article 78-2 alinéa 1er du Code de procédure pénale. Le contrôle d’identité est donc justifié, et ce, même s’il était en réalité motivé par des réquisitions prises sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 7 autorisant des contrôles d’identité, lesquelles étaient très probablement illégales.

Le 12 juin 2022, un équipage de police procédait à des contrôles d’identité et à une recherche de produits stupéfiants. Ils remarquaient la présence de quatre individus qui s’empressaient de quitter les lieux à leur vue. Un individu était interpellé alors qu’il tentait de s’enfuir. Il se trouvait être en possession de 680 euros en numéraire et d’une barrette qui, après test et pesée, s’avérait être 1,9 g de résine de cannabis. Le 15 juin 2022, le tribunal correctionnel ordonnait « un supplément d’information pour obtenir la communication des réquisitions du procureur aux fins de contrôle d’identité sur les communes de Grenoble et Echirolles, entre le 8 et le 15 juin 2022 ». À l’audience devant le tribunal correctionnel, la défense demandait la nullité du contrôle d’identité et de la procédure subséquente.

Le tribunal correctionnel rappelait la prohibition des réquisitions permettant des contrôles généralisés dans le temps ou l’espace. En l’occurrence, les réquisitions obtenues après le supplément d’information autorisaient les contrôles d’identité dans des secteurs déterminés de 10 h à 16 h, puis de 16 h 15 à 22 h 15 et finalement de 22 h 30 à 4 h 30 pour reprendre le lendemain à 10 h. Ces contrôles d’identité étaient autorisés pour une durée d’une semaine, du 8 au 15 juin, selon la même périodicité. Le tribunal considérait que les pauses de 15 minutes entre les contrôles avaient indéniablement un caractère factice et avaient pour « but de masquer l’existence d’une période unique de contrôle qui en réalité s’étend entre 10 h le matin et jusqu’à 4 h 30 ». Ces réquisitions permettant des contrôles d’identité généralisés dans le temps, elles étaient annulées de même que, par voie de conséquence, l’ensemble des actes de la procédure. Le prévenu était donc relaxé. Le procureur de la République relevait appel de la décision.

La chambre des appels correctionnels, pour infirmer la décision de première instance, relevait que « nonobstant les réquisitions écrites du procureur de la République autorisant les contrôles d’identité, [le prévenu] a été contrôlé alors qu’il tentait de prendre la fuite à la vue de policiers », et ce, dans un secteur connu pour être un lieu de vente de produits stupéfiants. Ce contrôle était justifié car il existait des « raisons plausibles de soupçonner » que le prévenu avait commis ou tenté de commettre une infraction. Le contrôle d’identité était donc régulier en vertu de l’article 78‑2 alinéas 1 et 2. En outre, la cour affirmait que l’état de flagrance était caractérisé puisque des d’indices apparents d’un comportement délictueux avaient été retrouvés. Ainsi, la 6e chambre des appels correctionnels rejetait l’exception de nullité et condamnait le prévenu.

Malgré le silence des juges sur la question, il convient de s’intéresser, dans un premier temps, à la question de la régularité des réquisitions du procureur de la République avant d’examiner, dans un second temps, la justification de l’opération sur le fondement des contrôles dit « d’initiative ».

Tout d’abord, l’article 78‑2 alinéa 7 permet au procureur de la République d’autoriser les contrôles d’identité dans un lieu et pour une durée qu’il précise afin de rechercher des infractions déterminées, étant précisé que le fait que ce contrôle fasse apparaître d’autres infractions que celles recherchées n’est pas une cause de nullité du contrôle1. Lors d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur cet acte, les sages ont considéré que ce contrôle était conforme à la Constitution tout en précisant que « les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés. Ces dispositions […] ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace2 ». La Cour de cassation est ensuite venue préciser cette prohibition. De cette manière, la Cour expliquait « la succession ininterrompue de réquisitions de contrôles d’identité dans les mêmes lieux sur une durée de trente-six heures conduit à un contrôle unique généralisé dans le temps et dans l’espace, lequel méconnaît, en conséquence, la liberté d’aller et de venir3 ». Toujours est‑il que, dans les arrêts précités, et contrairement à l’affaire dont la 6e chambre des affaires correctionnelles a été saisie, les réquisitions générales étaient dues à la succession de plusieurs réquisitions différentes.

Or, ce qui est vrai pour des réquisitions successives est, a fortiori, vrai pour une seule réquisition prévoyant plusieurs périodes successives de contrôle. C’est, en tout état de cause, ce qu’a décidé la Cour de cassation puisqu’elle a approuvé une cour d’appel qui déclarait que « sont irrégulières les réquisitions du procureur de la République permettant de multiplier des contrôles d’identité, identiques quant aux lieux et horaires, pour une durée globale supérieure à vingt‑quatre heures sans que cette période de temps ait été reconduite par décision expresse et motivée de ce magistrat4 ». Dans cet arrêt, il n’y avait pas eu plusieurs réquisitions successives mais une seule. Et pourtant, il s’agissait « bien d’une franche généralisation dans le temps […], dès lors que, loin de se limiter à une période unique de vingt‑quatre heures consécutives, celle‑ci permettait de procéder à des contrôles d’identité et visites de véhicules pendant un mois, à raison de dix heures par jour — soit, tout de même, un total de 310 heures5 ».

Au vu de ces éléments, il convient d’approuver la décision du tribunal correctionnel qui a justement estimé que les réquisitions du procureur de la République n’étaient pas conformes à l’article 78‑2 alinéa 7. En effet, les interruptions des contrôles pour une durée de quinze minutes toutes les six heures semblent effectivement fictives et pourraient tout aussi bien correspondre au roulement entre les équipages de police qu’à un réel choix de politique criminelle. En outre, le tribunal correctionnel relevait que « le fait qu’une interruption de 5 h 30 (entre 4 h 30 et 10 h) dans la possibilité de ces contrôles soit spécifiée au niveau des réquisitions apparaît tout à fait insuffisante d’autant qu’elle se situe à des horaires nocturnes où il y a particulièrement peu d’activité et de personnes à contrôler ». À cela s’ajoute le fait que ces réquisitions autorisaient des périodes de contrôles allant jusqu’à 18 h 30 de contrôle par jour sur une durée de sept jours. Ainsi, plus de 129 h 30 de contrôle étaient autorisées par le biais de ce seul acte. Bien au‑delà des 24 heures maximales autorisées par l’article 78‑2‑2 du Code de procédure pénale et se succédant sans le moindre contrôle de la part d’un magistrat, il convenait de conclure à l’illégalité de cet acte. Cependant, afin de ne pas faire tomber toute la procédure — car annuler cet acte revenait à admettre que le contrôle d’identité s’est fondé sur ce dernier — la 6e chambre des appels correctionnels a refusé d’analyser la régularité des réquisitions litigieuses, et ce, même après avoir relevé le fait que les officiers de police judiciaire les avaient mentionnées dans leur procès‑verbal. Ce silence témoigne de son malaise vis‑à‑vis de ces réquisitions. La cour a alors entrepris, pour régulariser a posteriori la procédure, de substituer à la psychologie des policiers son analyse de la situation dans laquelle il existait des raisons plausibles de soupçonner que le prévenu avait commis ou tenté de commettre une infraction.

En effet, afin de justifier le contrôle d’identité réalisé par les officiers de police judiciaire, la 6e chambre des appels correctionnels se place sur le terrain des contrôles d’initiative. Fondé sur l’article 78‑2 alinéas 1 à 6, ce type de contrôle permet, notamment, de procéder à un contrôle d’identité lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner que l’individu contrôlé a commis ou tenté de commettre une infraction ou qu’il est susceptible de donner des renseignements sur une enquête en cours. Reste maintenant à déterminer ce qui peut constituer ces raisons plausibles. Il semble qu’il faille des éléments objectifs pour les caractériser, ces dernières apparaissant comme plus importantes qu’un simple soupçon tout en étant moins exigeantes que les indices apparents d’un comportement délictueux de l’article 53 du même Code6. Cependant, « développée sans harmonisation de la Cour de cassation, qui s’en remet à l’appréciation des juridictions du fond au prix d’un manque de cohérence d’ensemble, la jurisprudence ayant trait à cette notion s’avère pour le moins casuistique7 ». Ainsi, des juges ont pu considérer que ne constituaient pas des raisons plausibles le fait qu’un individu semble se dissimuler8, ou encore s’immobilise à la vue des forces de l’ordre, fait demi‑tour et tente de se dissimuler9. En revanche, constitue des raisons plausibles le fait, pour un individu, de se montrer agité et de prendre la fuite10, ou encore de prendre la fuite à la vue des forces de l’ordre dans un lieu connu pour la vente d’héroïne11. Assez largement, il semble que la seule attitude suspecte d’une personne peut constituer ces raisons plausibles, dès lors qu’elle est corroborée par des éléments objectifs. Tel est le cas de la personne qui siffle avant de rentrer dans un immeuble occupé par des individus soupçonnés d’infraction à la législation des stupéfiants et qui en ressort quelques instants après12. Tel est, également, le cas du contrôle de l'identité d'un individu signalé par un témoin et dont le comportement ostensible dénonçait manifestement le dealer attendant le client en surveillant sa marchandise dissimulée à proximité13. Le simple comportement suspect peut, donc, effectivement suffire, dès lors qu’il est corroboré par des éléments extérieurs.

Ainsi, s’agissant de l’arrêt du 9 novembre 2023, si le simple fait que les individus s’éloignaient à la vue des policiers ne paraît pas, à lui seul, suffisant pour caractériser les raisons plausibles, le fait que cette situation ait eu lieu dans un secteur défavorablement connu pour le trafic de produits stupéfiants pourrait bien justifier ce contrôle. Ces deux facteurs cumulés pourraient constituer les raisons plausibles de soupçonner l’existence d’un comportement infractionnel au sens de l’article 78‑2 alinéa 2. De ce point de vue, la décision ne pose pas de problème. La seule chose qu’il serait possible de lui reprocher est une forme de mauvaise foi. En effet, la chambre des appels correctionnels substitue a posteriori une justification au contrôle qui n’est manifestement pas celle qui a motivé l’action des officiers de police judiciaire, ces derniers ayant mentionné les réquisitions illégales dans le procès‑verbal. La décision d’appel est justifiée par des faits qui ont nécessairement été influencés par la découverte de l’infraction. Il est cependant difficile de reprocher ce raisonnement à la cour d’appel de Grenoble, la Cour de cassation opérant, elle‑même ce type de substitution dans ses arrêts. En effet, l’arrêt commenté n’est pas sans rappeler la jurisprudence de la Cour qui justifie a posteriori, le recours à une perquisition en découvrant des éléments justifiant l’état de flagrance alors même que les officiers de police judiciaire ne s’étaient pas placés, d’eux‑mêmes, dans ce régime d’enquête14. Aussi, même si les officiers de police judiciaire ont mal fondé l’acte en question, il est possible de le régulariser, dès lors que les éléments relevés dans le procès‑verbal sont en mesure de justifier celui qui aurait dû être caractérisé.

Ce raisonnement est caractéristique de la recherche perpétuelle d’un équilibre entre préservation des droits des individus et nécessité de réprimer les infractions. S’il est assez habile et valable au regard de la jurisprudence de la Cour, il reste contestable car, en sauvant la procédure, il empêche de sanctionner soit l’illégalité de l’acte le fondant réellement, soit la négligence des enquêteurs.

Notes

1 Code de procédure pénale, art. 78‑2‑2 IV. Retour au texte

2 Cons. constit., 24 janv. 2017, no 2006‑606/607 Q.P.C., § 23. Retour au texte

3 Cass. civ. 1e, 14 mars 2018, no 17‑14.424 ; pour un exemple où la succession a été considérée comme régulière : Cass. civ. 1e, 5 septembre 2018, no 17‑22.507. En l’espèce, il s’agissait de deux réquisitions autorisant des contrôles d’identité de 12 h à 20 h mais espacées de plus de vingt-quatre heures, la première autorisant le contrôle datant du 6 février 2017 et la seconde du 9 du même mois. Retour au texte

4 Cass. crim. 13 septembre 2017, no 17‑83.986, publié au Bulletin ; Dalloz actualité 4 octobre 2017, obs. S. Fucini ; D. 2017. 1912 ; AJ pénal 2017. 543, obs. G. Roussel ; Dr. pénal 2017. Comm. 167, note A. Maron et M. Haas. Retour au texte

5 P.-J. Delage, Contrôles d’identité et visites des véhicules : la période de 24 heures de l’article 78‑2‑2 du Code de procédure pénale est unique et insécable, Dalloz, RSC 2018, p. 142. Retour au texte

6 Sur la distinction entre « raisons plausibles de soupçonner » et « indices apparents d’un comportement délictueux » : Cass. crim., 5 octobre 2022, no 21‑86.751. Retour au texte

7 T. Lebreton, Les contrôles d’identité de police judiciaire, Dalloz, AJ Pénal 2020, p. 571. Retour au texte

8 Ibid., citant Aix‑en‑Provence, 25 mars 2019, no 19/301. Retour au texte

9 Ibid., citant Paris, 6 décembre 2019, no 19/6093. Retour au texte

10 Ibid., citant Cass. crim., 14 avril 2015, no 14‑83.462. Retour au texte

11 Ibid., citant Nîmes, 9 mars 2020, no 20/250. Retour au texte

12 Cass. crim., 26 octobre 2010, no 10‑82.814. Retour au texte

13 Grenoble, 12 mars 1997 : Dr. pénal 1998. Comm. 26, obs. Maron. Retour au texte

14 Cass. crim., 5 octobre 2011, no 11‑81.125. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Arthur Porret, « Régularisation d’un contrôle d’identité par substitution de motifs », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=836

Auteur

Arthur Porret

Doctorant en droit privé et sciences criminelles, CRJ, Univ. Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France

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