Des officiers de police judiciaire remarquaient, stationnant, un véhicule volé. Ils mettaient alors en place un dispositif de surveillance et de sécurisation puis s’installaient dans les parties communes d’un garage en sous‑sol. Pendant ce temps, « les policiers décidaient d’examiner les parties communes du garage muni d’une réquisition du bailleur social ». Affirmant qu’il leur avait été possible de regarder à l’intérieur d’un box grâce à un espacement situé au‑dessus de la porte, les enquêteurs discernaient plusieurs deux‑roues signalés comme volés. Agissant en flagrance, ils interpellaient un individu qui insérait ses clefs dans la serrure du box en question. L’individu, mineur, était placé en garde à vue. Les perquisitions réalisées dans le garage et une cave, dont les clefs se trouvaient accrochées au trousseau du mineur, permettaient de découvrir plusieurs mortiers, une arme de catégorie D, une arme à feu de catégorie B, des munitions de différents calibres, une grenade fumigène, 250 g de résine de cannabis, une multitude d’objets servant habituellement au conditionnement de produits stupéfiants, six deux-roues, des talkies‑walkies et un drone.
Interrogé en garde à vue, le mineur déclarait qu’ayant accidenté le scooter d’un « grand du quartier », il était redevable d’une somme de 3 200 euros, raison pour laquelle il avait été forcé à conserver les objets retrouvés dans la cave et le garage. En outre, il contestait les conditions de son interpellation. Il expliquait que les policiers s’étaient présentés à lui comme faisant des contrôles d’identité puis qu’ils s’étaient emparés de son trousseau de clefs et avaient testé ces dernières sur les serrures des box avant d’ouvrir son garage. Lors d’une première audience, il soulevait une exception de nullité. Un supplément d’information était ordonné afin de vérifier les conditions de la perquisition du box.
Le tribunal correctionnel rejetait les moyens de nullité et condamnait le mineur. Ce dernier, ainsi que le ministère public, interjetaient appel. Devant la chambre des mineurs, le prévenu maintenait sa position et invoquait la nullité du jugement pour défaut d’habilitation du magistrat ayant requis en première instance.
Dans l’arrêt étudié, la cour d’appel de Grenoble annule le jugement au motif que le parquetier ayant exercé les poursuites contre le mineur en première instance n’était pas spécialement chargé des affaires concernant les mineurs en violation de l’article L. 12‑2 du Code de la justice pénale des mineurs. Par conséquent, la juridiction évoque et statue sur le fond. Elle annule également l’inspection visuelle et la perquisition du garage ainsi que tous les actes subséquents. En effet, les juges relèvent que, lors du complément d’information, un commissaire de police ainsi qu’un huissier ont tous deux constaté qu’il n’y avait aucun interstice dans l’encadrement de la porte du garage qui aurait pu permettre à l’agent de police judiciaire de regarder à l’intérieur. Les enquêteurs n’ont, donc, pas pu apercevoir le scooter volé dans le garage avant de procéder à la perquisition qu’ils ont donc réalisée en l’absence de tout élément objectif. Lors du supplément d’information, un agent de police judiciaire produisait une photographie de l’intérieur du garage qu’il avait réalisée à l’aide de son téléphone portable, photographie qui a été rendue possible par l’existence d’un jeu sur le haut de la porte. Dès lors, la chambre des mineurs relève que le fait que cet élément de preuve ait été dissimulé par l’agent de police judiciaire pendant la première phase de l’enquête, alors même qu’elle a nécessairement été déterminante dans celle‑ci, démontre la mauvaise foi de ce dernier qui avait conscience d’agir illégalement et qui a tenté de justifier son action par l’existence de constatations visuelles. Par conséquent, la chambre des mineurs, au visa de l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’Homme et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, annule l’inspection visuelle du garage, la perquisition de ce dernier ainsi que toute la procédure subséquente et relaxe le prévenu.
En premier lieu, il est possible de relever le fait que l’arrêt prononce la nullité du jugement de première instance au motif que le parquetier n’était pas spécialement chargé des affaires concernant le mineur et, ainsi, se conforme aux évolutions du droit positif et de la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce sujet. En effet, avant l’entrée en vigueur du Code de la justice pénale des mineurs le 30 septembre 2021, la spécialisation des magistrats du parquet s’agissant des mineurs était déjà contenue dans l’article 20 alinéa 3 de l’ordonnance de 1945. Cependant, cet article ne concernait que la cour d’assises et la jurisprudence de la Cour de cassation refusait d’ériger le non‑respect de cette exigence en cause de nullité des jugements1. De plus, la Cour présumait l’habilitation du magistrat du ministère public lorsqu’aucune mention de cette dernière n’était portée au dossier et que la preuve contraire n’était pas apportée2.
L’entrée en vigueur du Code de la justice pénale des mineurs laissait présager une évolution en la matière. En effet, la spécialisation de la justice pénale des mineurs est dorénavant érigée en principe général. Elle est mentionnée dans l’article préliminaire du Code de la justice pénale des mineurs. Concernant le ministère public, ce principe est formulé de manière générale dans l’article L. 12‑2 lui‑même placé dans un chapitre intitulé « principes généraux du droit pénal applicable aux mineurs ». Cette évolution pressentie est intervenue dans un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 13 avril 20233. Dans ce qui est présenté comme « un remarquable revirement4 », la Cour de cassation indique que, en l’absence de respect des dispositions précitées, les réquisitions « prises par un magistrat incompétent, n’ont pu valablement saisir le juge d’instruction ni le juge des libertés et de la détention5 ». Elle consacre ainsi la dérogation au principe d’indivisibilité du parquet6. Dans l’arrêt du 21 septembre 2023, la cour d’appel de Grenoble se plie à ce principe et annule le jugement dans lequel le procureur ayant requis contre le mineur n’était pas spécialement désigné pour le faire. La chambre des mineurs fait donc évoluer sa jurisprudence conformément à celle de la Cour de cassation.
En second lieu, la cour d’appel de Grenoble annule les constatations visuelles du garage ainsi que la totalité de la procédure subséquente sur le fondement de l’article préliminaire du Code de procédure pénale et de l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, il apparaît qu’une preuve — en l’espèce, une photographie de l’intérieur du garage qui sera par la suite perquisitionné — n’avait pas été versée au dossier avant que le tribunal n’ordonne un supplément d’information. Cette pièce n’avait « jamais [été] évoquée dans la procédure initiale » alors même qu’elle avait manifestement été « utilisée dans le temps de l’enquête ». Ce seul élément pourrait au moins justifier une atteinte au principe du contradictoire, la Cour européenne des droits de l’Homme ayant déjà estimé que les autorités de poursuites doivent communiquer à la défense « toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge7 ». Cependant, les faits ne se limitent pas à une simple dissimulation de preuve puisque les enquêteurs ont ensuite maquillé l’acte en des constatations visuelles qui n’étaient manifestement pas possibles. Ainsi, ces opérations portent également atteinte au principe de loyauté de la preuve.
En outre, l’agent de police judiciaire tentait de se justifier de la prise de la photographie en expliquant qu’elle avait été rendue possible par l’exploitation d’un jeu présent sur le haut de la porte du garage. Quelle que soit la véracité de ces propos, lesquels semblent avoir été démentis par le constat de l’huissier, cet acte semble également illégal. Bien qu’étant un lieu privé, l’introduction dans le parking souterrain en elle‑même ne crée aucune irrégularité, les enquêteurs ayant préalablement obtenu l’accord du bailleur social8. De plus, les constatations consistent uniquement en la consignation des observations faites par les enquêteurs et ne rentrent pas dans le régime juridique de la perquisition tant qu’elles ne s’accompagnent pas d’une opération de recherche de preuve9. Cependant, le fait d’avoir pris en photo l’intérieur de ce dernier, qui plus est, après avoir profité d’un jeu sur la porte, n’est pas sans rappeler l’arrêt de la chambre criminelle du 23 janvier 201310. Dans ce dernier, la cour avait estimé que le fait de voir à l’intérieur d’un garage fermé en ayant recours à un endoscope constituait une captation d’image au sens de l’article 706‑96 du Code de procédure pénale. En effet, constatant une différence entre le fait de fixer une image et le fait de la capter, la cour considère que l’utilisation d’un dispositif technique pour voir l’intérieur d’un garage constitue une captation même en l’absence de tout enregistrement de l’image ainsi captée. L’analogie entre ces faits et l’affaire qu’a eu à connaître la cour d’appel de Grenoble est frappante : l’agent de police judiciaire a utilisé un dispositif technique — en l’espèce son téléphone — pour capter et fixer l’image du contenu du box. Or, ce moyen de preuve est réservé aux procédures portant sur des infractions commises en bande organisée. Le camoufler par le biais d’un procès‑verbal de constatations visuelles constitue donc un détournement de procédure portant atteinte au principe de loyauté de la preuve et le fait que l’enquêteur ait cherché à dissimuler ces photos indique qu’il en avait conscience. Aussi, lorsque les policiers ont interpellé le prévenu et lui ont demandé d’ouvrir le garage, ils n’avaient, effectivement, aucun élément objectif et licite permettant de justifier ces deux actes. C’est donc très justement que la cour d’appel de Grenoble a décidé de les annuler, de même que toute la procédure subséquente, cette dernière ayant ces deux actes comme support nécessaire et exclusif.