Retour sur une formation grenobloise en DIP de la famille

DOI : 10.35562/bacage.878

Résumé

Une matinée de formation ENM s’est tenue le 28 novembre 2023 avec les magistrats du ressort de la cour d’appel de Grenoble. Elle a été l’occasion d’échanger sur le contentieux familial international. Les lignes qui suivent reviennent sur deux questions délicates – délicieuses  ? – de droit international privé de la famille.

Plan

1. Comment mettre en œuvre une règle de conflit retenant comme critère de rattachement la nationalité en présence d’un binational ?

Même si les rattachements fondés sur la nationalité sont en déclin, la résolution d’un conflit positif de nationalités se pose encore fréquemment. Un exemple emprunté aux conflits de juridictions et un autre emprunté aux conflits de lois permettent de le démontrer.

Voici qu’un Franco‑américain veut fonder, subsidiairement, la compétence des juridictions françaises en invoquant l’article 14 du Code civil qui confère un privilège au Français demandeur. Faut‑il que le tribunal le considère comme exclusivement français et qu’il accepte sa compétence ?

Voici qu’une Franco‑roumaine agit en recherche de paternité contre un Français. Quelle loi le juge doit‑il mettre en œuvre sachant que l’article 311‑14 du Code civil désigne la loi nationale de la mère ?

Un arrêt de la Cour de cassation fournit des indications pour différents types de conflits positifs susceptibles d’être rencontrés.

Dans un motif de portée générale, la Cour de cassation affirme : « Il résulte des principes généraux du droit international que, lorsqu’une personne possède la nationalité française et celle d’un État tiers, non membre de l’Union européenne, elle reste, par l’effet de sa nationalité française, soumise à la loi française que, sauf convention internationale en sens contraire, le juge français saisi doit prendre seule en considération1. »

Avec cette affirmation, deux systèmes de résolution du conflit positif de nationalités coexistent, selon que la nationalité française est en concours avec celle d’un État tiers à l’Union ou d’un État membre.

En cas de conflit entre la nationalité française et une nationalité étrangère, le juge doit prendre en considération la première, sans s’assurer de son effectivité. Posé de longue date2, ce principe de la primauté de la nationalité du for est clairement réaffirmé dans le motif commenté. Pourtant il a été jugé trop abstrait par certains auteurs préconisant de l’abandonner pour lui préférer une approche souple conduisant à résoudre le conflit en fonction du but ou de l’esprit de la règle qui prend en considération une nationalité3. Cette approche fonctionnelle a été consacrée une seule fois par la jurisprudence4. Exceptionnellement, la Cour de cassation a omis le principe de la primauté de la nationalité du for dans des affaires qui concernaient, comme dans l’arrêt de 1987, la reconnaissance d’un jugement étranger5. Il faut ajouter que ce n’était pas l’hypothèse de l’arrêt de 2022, où il s’agissait d’apprécier la validité du mariage contracté par une Franco‑algérienne mineure.

En cas de conflit entre la nationalité française et la nationalité d’un autre État membre, la Cour de cassation prend soin, dans le motif sous observation, d’écarter le principe de la primauté de la nationalité du for. C’est sous‑entendre qu’il faut alors respecter le système préconisé par la Cour de justice de l’Union européenne. Pour les conflits entre des nationalités européennes, la Cour de Luxembourg a récusé le principe de la primauté de la nationalité du for et celui de la recherche de la nationalité la plus effective. Selon elle, la loi régissant le nom d’un enfant double national de l’Union ne peut être déterminée par les autorités administratives d’un État membre par application du principe de la primauté de la nationalité du for, quand bien même cette nationalité serait la plus effective. Se fondant sur les principes de non‑discrimination et de libre circulation, la Cour a jugé qu’un enfant ayant la double nationalité belge et espagnole devait, même si la Belgique était son pays de naissance et de résidence, être autorisé à porter un double nom « paterno‑maternel » conformément à la tradition espagnole6. La même solution a été étendue en matière de divorce à la mise en œuvre de l’article 3, § 1, sous b), du règlement Bruxelles II bis7. Cette jurisprudence laisse à penser que la résolution des conflits de nationalités dans l’ordre européen dépend uniquement de la volonté des intéressés. Reste à se demander si ce système sera satisfaisant dans une situation contentieuse. Une chose est, comme dans l’arrêt Garcia Avello, de laisser des parents se prévaloir de la loi espagnole plutôt que de la loi belge afin que l’enfant puisse porter le nom de chacun d’eux. Une autre sera admettre qu’une Franco‑allemande agissant en recherche de paternité puisse, pour la mise en œuvre de l’article 311‑14 du Code civil, choisir entre la loi allemande et la loi française en fonction de son meilleur intérêt. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer que son action soit prescrite selon le droit français et recevable selon le droit allemand qui retient un principe d’imprescriptibilité…

2. Pourquoi les parents d’intention français demandent aujourd’hui l’exequatur du jugement établissant leur qualité de parents à la suite d’une GPA réalisée à l’étranger ?

Pour comprendre ce nouvel épisode de la saga, il faut brièvement en rappeler les précédents. Traditionnellement, les parents d’intention cherchaient à introduire en France les filiations établies à l’étranger par la voie de la transcription des actes de l’état civil étranger dans les registres français. Faisant le choix du libéralisme, la jurisprudence avait finalement admis que la transcription de la filiation d’intention de l’enfant – issu d’une PMA ou d’une GPA – était le principe, sans distinction entre les couples d’intention homosexuels ou hétérosexuels8. Cette jurisprudence a été combattue par l’article 7 de la loi du 2 août 2021 relative à bioéthique. Elle a modifié l’article 47 du Code civil qui dispose désormais : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle‑ci est appréciée au regard de la loi française ». L’appréciation de la réalité au regard de la loi française impose de considérer que la mère ne peut être que la femme qui accouche et donc la mère porteuse étrangère. Dans ces conditions, la filiation à l’égard de la mère d’intention – même si elle est la mère biologique parce que l’enfant a été conçu avec ses gamètes – ne peut être établie que par adoption. De même, il n’est plus possible de transcrire la filiation du père d’intention lorsque ce dernier a eu recours à la GPA avec son compagnon ou mari. Pour contourner ce choix législatif, ceux qui disposent d’un jugement étranger leur reconnaissant la qualité de parents légaux sollicitent aujourd’hui un exequatur à toutes fins utiles. Obtenir l’exequatur leur permet, en outre, de disposer d’une reconnaissance définitive des filiations établies à l’étranger. Tel n’est pas le cas avec la voie de la transcription, puisque la Cour de cassation elle‑même souligne qu’« une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant (…) n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation9 ». Deux observations peuvent être formulées sur cette nouvelle stratégie.

D’une part, il existe une divergence au sein des cours d’appel. Certaines opposent l’exception d’ordre public en considérant, notamment, que l’établissement de la filiation d’intention suppose une adoption, comme l’a exprimé le législateur en modifiant l’article 47 du Code civil. D’autres cours d’appel, comme celle de Paris, accordent l’exequatur à condition que la décision étrangère soit motivée et que la personne idoine (qu’il s’agisse de la mère de naissance ou d’un service social) ait consenti à la renonciation de ses droits sur l’enfant ou à l’abandon de l’enfant10.

D’autre part, accordant l’exequatur, le juge français peut‑il préciser que la décision étrangère produira les effets d’une adoption plénière au sens du droit français et sera transcrite comme telle ? Cette précision sur la portée du jugement étranger permet de faire entrer une forme de filiation prohibée par le droit français dans l’une de ses catégories. Elle poursuit l’intérêt pratique des parents dans leurs rapports avec les autorités françaises et les tiers. Cependant, il n’est pas acquis que cette « naturalisation » de la filiation soit compatible avec le principe de la prohibition de la révision au fond des jugements étrangers. Celui-ci est traditionnellement conçu comme interdisant de changer « qualitativement » la décision étrangère.

Bientôt, la Cour de cassation doit statuer sur des arrêts ayant accepté la stratégie de l’exequatur. De quoi alimenter la saga !

Notes

1 Cass. 1re civ., 30 nov. 2022, no 21‑17.043. Retour au texte

2 Cass. 1re civ., 17 juin 1968 : GADIP, no 46. Retour au texte

3 V. spéc. P. Lagarde, Vers une approche fonctionnelle du conflit positif de nationalité : Rev. crit. DIP 1988, p. 29. Retour au texte

4 Cass. 1re civ., 22 juill. 1987, no 85‑16.948. Retour au texte

5 Cass. 1re civ., 23 fév. 2011, no 10‑14.760 : JurisData no 2011‑002202 ; D. 2011, p. 1383, F. Jault‑Seseke ; Dr. famille 2011, comm. 88, L. Abadie ; JCP G 2011, 261, E. Cornut. – Adde, Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, no 11-14.220 : JurisData no 2012‑025983 ; AJ fam. 2013, p. 133, A. Boiché. Retour au texte

6 CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello aff. C‑148/02 : JurisData no 2003‑400027 ; Rev. crit. DIP 2004, p. 184, P. Lagarde ; D. 2004, p. 1476, B. Audit ; RTD civ. 2004, p. 62, J. Hauser– Adde CJUE, 8 juin 2017, aff. C‑541/15 : Rev. crit. DIP 2017, p. 549, H. Fulchiron ; RTD eur.2017, p. 589, E. Pataut. Retour au texte

7 CJCE, 16 juill. 2009, Hadadi, aff. C‑168/08 : AJ fam. 2009, p. 348, A. Boiché ; D. 2009, p. 2106, V. Égéa. Retour au texte

8 V. par ex : Cass. 1re civ., 18 décembre 2019, no 18‑11.185 AJ fam. 2020. 9, obs. A. Dionisi‑Peyrusse. Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, no 18‑14.751 P : AJ fam. 2020. 133, obs. J. Houssier ; RTD civ. 2020. 81, obs. A.‑M. Leroyer. Retour au texte

9 Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, précit.- Cass. 1re civ., 18 mars 2020, no 18‑15.368 (transcription des filiations maternelles de l’enfant issu d’une AMP à l’étranger), Dr. fam. 2020, comm. 113, note M. Farge. Retour au texte

10 V. Marie‑Catherine Gaffinel, conseillère à la cour d’appel de Paris, pôle 3 chambre 5, Dossier, AJ. Fam. 2023, 366. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Michel Farge, « Retour sur une formation grenobloise en DIP de la famille », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=878

Auteur

Michel Farge

Professeur, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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