Le 8 mars 2022, la Cour d’appel de Grenoble a rendu un arrêt portant sur la rupture d’un contrat de travail international. Après avoir résolu le conflit des lois en faveur de la loi française, la cour d’appel retient que la notification de la rupture par mail rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
I-Quelle est la loi applicable à un contrat international de travail ?
En raison de l’internationalisation des relations de travail, la Cour d’appel de Grenoble est fréquemment confrontée à des contrats de travail internationaux. En l’occurrence, un Français a conclu un contrat de travail, devenu à durée indéterminée le 6 mars 2017, avec une société de droit Belge. Pour la cour d’appel, ce contrat s’est principalement exécuté en France.
L’intéressé a été victime d’un accident de ski à la station de Risoul en France (le 21 mars 2017), lequel accident a été qualifié d’accident du travail par l’Office National de l’Emploi belge. Il a été ensuite licencié pour faute grave, ce qu’il a contesté.
En cause d’appel, la compétence des juridictions françaises était acquise. Le débat, exigé par l’élément d’extranéité tenant à la nationalité belge de l’employeur, s’est concentré sur la loi applicable au contrat de travail. A priori la question était facile à trancher puisque le contrat était expressément soumis au droit belge. Mais l’autonomie de la volonté – permettant le choix de la loi applicable au contrat – doit se concilier avec la nécessité de protéger le salarié, identifié comme la partie faible.
Pour un contrat de travail conclu en 2017, une telle conciliation résulte de l’article 8, § 1, du règlement (CE), n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
Selon ce texte : « Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article ».
Pareille disposition n’est pas d’une lecture facile. En l’occurrence, elle signifie que la loi belge choisie par les parties doit s’effacer au profit des dispositions impératives de la loi française puisqu’il s’agit du pays dans lequel « le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail »1.
Mais la référence aux dispositions impératives du pays d’exécution de la prestation de travail est trompeuse. Il ne s’agit pas, en effet, d’écarter purement et simplement la loi désignée par les parties, mais de comparer les niveaux de protection. Si les dispositions impératives de la loi du lieu d’exécution sont plus favorables, par exemple en donnant un délai de préavis plus long2, ces dernières seront appliquées tout en préservant l’application de la loi choisie sur les autres points. En revanche, si la loi choisie s’avère plus avantageuse pour le travailleur, elle s’appliquera intégralement.
Ainsi présenté le système exige un effort de comparaison complexe. Pour la Cour d’appel de Grenoble, « les dispositions nationales françaises sont plus favorables au salarié que le droit belge choisi par les parties, s’agissant notamment des obligations dans le cadre de la procédure de licenciement, de l’absence d’obligation générale de motivation du licenciement et du montant des indemnités de rupture en droit belge » et, dans ces conditions, « il convient de dire que le contrat de travail de l’intéressé est de droit français à l’exclusion du droit belge ».
Une fois la compétence du droit français acquise, encore faut-il s’interroger sur son application.
II-Un employeur peut-il légitimement notifier un licenciement par mail ?
Sur le fond, le litige tranché par application du code du travail français, est de facture classique. Un salarié licencié pour faute grave assigne son employeur et plaide la nullité de son licenciement pour harcèlement moral. A cette demande principale, est jointe une demande de rappels d’heures supplémentaires.
La réponse des magistrats atteste des difficultés probatoires tenant notamment à l’établissement du harcèlement moral (finalement non retenu par les juges), et à la rigueur du dispositif hybride de la charge de la preuve des heures supplémentaires prétendument effectuées.
Au-delà de cette configuration, l’arrêt traite d’un sujet finalement peu débattu et mal réglé, tenant à la notification du licenciement.
La notification du licenciement par simple mail
En arrêt de travail jusqu’au lundi 4 juin au matin, le salarié est licencié le 7 juin 2018 par simple courriel, sans tenue préalable d’un entretien. Sur le fond, le contenu du courriel est précis et détaillé quant à l’allégation des comportements fautifs du salarié. Sur la forme, l’employeur explique être contraint à l’utilisation du mail simple en l’absence d’une adresse postale communiquée par le salarié. Pourtant, l’entreprise précise qu’un courrier recommandé a été envoyé à une adresse postale supposée être celle du salarié. Finalement, les juges grenoblois soulignent que ce courrier envoyé par recommandé ne sera jamais retiré par le salarié qui avait quitté définitivement son domicile au jour de la notification du licenciement. En outre et surtout, les magistrats relèvent que l’employeur n’a pas versé aux débats une copie de l’attestation d’envoi d’un courrier en recommandé ni même la copie du courrier prétendument envoyé au domicile du salarié.
Les questions posées à la cour étaient donc celles consistant à se demander si le licenciement par mail était régulier et en cas de réponse négative quelle sanction fallait-il retenir ?
La question n’est pas clairement réglée par la chambre sociale de la Cour de cassation qui n’a eu l’occasion de statuer qu’à propos d’une lettre de sanction envoyée par mail3 (Cass. Soc. 26 mai 2010, n° 08-42893).
La difficulté tient au fait que l’utilisation du mail n’est pas prévue par l’article L. 1232-6 du code du travail qui précise que la notification intervient par lettre recommandée avec avis de réception. Mais on sait, depuis un arrêt du 7 juillet 2010 qu’il est possible de notifier le licenciement par lettre remise en mains propres contre décharge4. Il convient donc de retenir que la formalité de la lettre recommandée n’est ni exclusive, ni substantielle.
La raison d’être de la règle instaurée à l’article L. 1232-6 est d’organiser une notification écrite assurant une date certaine de rupture. Cette notification relève de la seule responsabilité de son auteur-employeur5 qui supporte les erreurs de coordonnées ou d’orthographe6.
En revanche, on ne saurait reprocher à un employeur d’avoir envoyé une lettre de licenciement à une adresse erronée par défaut d’information de la part du salarié7.
Cette position adoptée par la chambre sociale aurait pu prospérer devant les magistrats grenoblois qui soulignent que l’employeur ignorait, du fait de la réticence du salarié, l’adresse exacte de son salarié. La bonne foi de l’entreprise aurait donc pu être retenue : elle est requise par la chambre sociale de la Cour de cassation8. En l’espèce, les juges grenoblois ont pu légitimement douter de la loyauté de l’employeur qui, ayant affirmé avoir envoyé un courrier en recommandé à une adresse, n’a pas pu en fournir les preuves.
En l’absence de la preuve de la loyauté de l’employeur, les juges, à juste titre, font une stricte application textuelle requérant un support papier. A défaut d’un tel support, la notification est donc irrégulière.
La notification par mail vaut elle licenciement verbal ?
La question revient ainsi à se demander s’il s’agit d’un vice de fond, entrainant une indemnisation pour licenciement non fondé ou un simple vice de forme, réparé par l’allocation d’une indemnité maximale d’un mois de salaire brut telle que prévue par l’article L. 1235 alinéa 5 du code du travail.
La question ne semble pas tranchée par la Cour de cassation dans l’hypothèse précise de la notification par mail simple. En revanche, s’agissant de la notification par courrier simple remis en main propre par un tiers, la chambre sociale a décidé qu’il convenait de décider que le licenciement était seulement entaché d’un vice de procédure et non d’un vice de fond9.
La chambre sociale de la Cour d’appel de Grenoble opte, au cas particulier, pour un vice de fond, considérant que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. C’est une solution précédemment retenue par des juridictions du fond dans des circonstances similaires10.
Il faut donc comprendre, qu’à défaut de notification certaine auprès du salarié, le licenciement, pourtant acquis dans son principe, est non fondé.
Ce faisant, les magistrats grenoblois font application du régime indemnitaire du licenciement non causé (dit barème Macron), et octroient au salarié, au regard de la modestie de son ancienneté, une indemnité équivalente à un mois de salaire brut. On peut noter que cette indemnisation à la charge de l’employeur est celle qui aurait été octroyée au salarié si les juges avaient retenu une simple irrégularité de procédure.
La solution mérite probablement d’être approuvée : Le non-respect des règles formelles de notification du licenciement rendant incertaine sa date précise d’effectivité, aggravé par l’absence d’entretien préalable, doit permettre de plaider un licenciement sans motif.
Dans ces conditions, on peut s’étonner de la démarche des juges grenoblois qui ayant déclaré, de ce seul chef, le licenciement sans cause réelle et sérieuse, décident pourtant d’en examiner les motifs. L’examen est assurément superflu mais a le mérite de répondre à l’ensemble des demandes élaborées par le justiciable et d’éviter le reproche, souvent immérité, du défaut de réponse des magistrats au demande des justiciables. L’enjeu de cette analyse superfétatoire n’est donc pas sur le fond (les motifs ne pouvaient qu’être déclarés non fondés) mais sans doute en lien avec la volonté, louable, de rendre une décision pédagogique et compréhensible par le justiciable.