1. Contexte
Nonobstant son caractère amiable, la conciliation, depuis la loi no 2005‑845 du 26 juillet 2005, peut être ouverte à la demande du débiteur alors même que celui‑ci se trouve en cessation des paiements. Prévue à l’article L. 611‑4 du Code de commerce, cette possibilité suppose néanmoins que la cessation des paiements ne soit pas survenue depuis plus de 45 jours lors de la conciliation : « il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante‑cinq jours. » Le texte n’indique cependant pas précisément la phase de l’ouverture de la conciliation devant être rapprochée du délai de 45 jours. S’agit‑il du dépôt de la demande d’ouverture de la procédure par le débiteur ou bien de l’ordonnance du président du tribunal ouvrant à proprement parler la conciliation ? L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la cour d’appel de Grenoble du 8 juin 2023 apporte une réponse à cette question importante au plan procédural.
2. Solution
En l’espèce, une société ayant pour activité la promotion et la vente de biens immobiliers a demandé le 11 janvier 2023 l’ouverture d’une procédure de conciliation au président du tribunal de commerce de Romans‑sur‑Isère. Dans sa requête, elle indique en substance rencontrer des difficultés liées à une baisse des ventes de maisons neuves consécutive à la crise sanitaire, à l’arrêt de chantiers du fait du retrait de la garantie de livraison de certains assureurs, à la diminution de l’artificialisation de terrains ainsi qu’à la perturbation des approvisionnements en raison de la guerre en Ukraine. Elle a ainsi sollicité la désignation d’un conciliateur afin de trouver un accord avec ses créanciers afin de disposer de temps pour vendre certains actifs immobiliers et renégocier avec un assureur les conditions de mises en œuvre de sa garantie. Par une ordonnance en date du 25 janvier 2023, le président du tribunal de Romans‑sur‑Isère rejeta la requête de la société débitrice car celle‑ci est en cessation des paiements depuis plus de 45 jours au jour de sa décision. De plus, il est relevé par le juge que le conciliateur ne peut se voir confier une mission de réalisation des actifs immobiliers, non prévue par les textes en matière de conciliation. La société interjeta appel de cette ordonnance le 6 février 2023 devant la cour d’appel de Grenoble sur la base de deux arguments. Tout d’abord, il est soutenu que le délai de 45 jours prévu par l’article L. 611‑4 du Code de commerce s’apprécie au jour où la demande en conciliation est présentée et non à la date où le juge statue sur cette dernière. Ensuite, il est affirmé que la recherche d’un accord avec les créanciers afin d’obtenir les délais nécessaires pour la réalisation d’actifs immobiliers fait bel et bien partie des missions pouvant être confiées à un conciliateur. Dans sa décision, la cour d’appel de Grenoble accueille favorablement cette argumentation. L’argument fondé sur la mission du conciliateur ne pouvait que prospérer tant la demande du débiteur visait précisément la négociation d’un accord avec les créanciers et non la réalisation d’actifs immobiliers. En revanche, en affirmant que la condition selon laquelle le débiteur ne doit pas être en cessation des paiements depuis plus de 45 jours s’apprécie à la date du dépôt de la requête, le juge grenoblois tranche une question plus délicate.
3. Portée
Au vu de la rédaction de l’article L. 611‑4 du Code de commerce, deux analyses sont envisageables s’agissant du critère d’ouverture de la conciliation.
En premier lieu, il peut être considéré que cette procédure ne peut être ouverte lorsque la cessation des paiements est survenue depuis plus de 45 jours au moment où le juge statue sur la demande du débiteur. Au soutien de cette analyse ayant déjà reçu les faveurs de certains juges du fond1, il est possible de faire valoir les solutions positives relatives à l’appréciation de l’état de cessation des paiements par le juge lors de l’ouverture d’une procédure collective. Or, il est de jurisprudence constante que la cessation des paiements est alors appréciée au jour où statue la juridiction, même en cause d’appel2, ce qui est heureux tant il serait absurde d’ouvrir à cet instant précis une procédure collective à l’égard d’un débiteur dont les difficultés ont disparu. Cependant, il faut bien avouer que dans l’affaire soumise à l’examen du juge grenoblois, il n’est pas tant question d’apprécier les difficultés rencontrées par le débiteur que de déterminer si ces difficultés persistent depuis plus de 45 jours lors de la conciliation. L’analogie n’est donc pas pleinement convaincante3, ce qui explique peut‑être pourquoi elle est délaissée par la cour d’appel de Grenoble au profit d’une autre analyse.
En effet, une autre façon d’appréhender le critère d’ouverture de la conciliation consiste, en second lieu, à considérer que cette procédure ne peut être ouverte lorsque la cessation des paiements du débiteur est survenue depuis plus de 45 jours au moment du dépôt de la demande d’ouverture. Le raisonnement peut s’appuyer sur une argumentation analogique que fait sienne la cour d’appel de Grenoble en considérant que « si l’article L. 611‑4 du Code de commerce ne précise pas la date à laquelle le délai de 45 jours doit être apprécié, il convient de se référer aux autres textes prévoyant ce délai pour déterminer ce moment ». Tel est le cas, tout d’abord, de l’article L. 631‑4 du Code de commerce qui énonce que l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, s’il n’a pas, dans ce délai, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. Tel est le cas, également, de l’article L. 628‑1 du Code de commerce prévoyant, en matière de sauvegarde accélérée, que la circonstance que le débiteur soit en cessation des paiements ne fait pas obstacle à l’ouverture de cette procédure si cette situation ne précède pas de plus de 45 jours la date de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation préalable. Il ressort de ces textes que le délai de 45 jours est bien apprécié au moment de la demande d’ouverture de la procédure et non pas lorsque le juge statue. De là à étendre le raisonnement à la procédure de conciliation, il n’y a qu’un pas que franchit la cour d’appel de Grenoble pour considérer que la condition selon laquelle le débiteur ne doit pas être en cessation des paiements depuis plus de 45 jours afin de bénéficier de l’ouverture d’une conciliation s’apprécie à la date du dépôt de la requête. Plus convaincante, cette analyse est par ailleurs confortée par un argument d’opportunité selon lequel il serait injuste de subordonner l’ouverture d’une procédure de conciliation aux délais de convocation et d’examen du dossier par le président de la juridiction. La considération de la saisine du président du tribunal par le débiteur semble à cet égard de nature à favoriser les procédures amiables.
La solution de la cour d’appel de Grenoble ne peut donc qu’être approuvée. Puisse‑t‑elle être consacrée, le cas échéant, en plus haut lieu.