Sort de la licence d’officine non incluse dans le plan de cession d’une pharmacie

DOI : 10.35562/bacage.889

Décision de justice

CA Grenoble, ch. commerciale – N° 23/02297 – 02 novembre 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23/02297

Date de la décision : 02 novembre 2023

Résumé

Dans le cas où une licence d’officine n’a pas été incluse parmi les actifs du plan de cession d’une pharmacie, le tribunal de la procédure collective ne peut en ordonner la restitution auprès du directeur général de l’agence régionale de la santé (ARS), en l’absence de texte en ce sens. Il appartient, par conséquent, au débiteur de déclarer la cessation de son activité auprès des autorités compétentes afin que directeur général de l’ARS constate la caducité de la licence d’exploitation.

Plan

1. Contexte

Une pharmacie constitue un fonds de commerce comme un autre pouvant faire l’objet d’un plan de cession si les difficultés rencontrées le requièrent. Toutefois, parce qu’une officine de pharmacie n’est pas un fonds de commerce habituel, il est nécessaire de tenir compte de l’existence d’une législation particulière, prévue par les articles L. 5125‑1 et suivants du Code de la santé publique, lesquels encadrent strictement l’implantation des officines de pharmacie ainsi que l’exercice de la profession de pharmacien. Cela est particulièrement vrai pour la création, le transfert ou le regroupement d’officines suivis par l’Agence régionale de la santé (ARS) en application des articles L. 5125‑18 et R. 5125‑1 et suivants du Code de la santé publique1. Deux questions se posent alors en présence d’un plan de cession.

Tout d’abord, la licence d’exploitation ou licence d’officine, délivrée par l’ARS, peut‑elle librement être incluse parmi les actifs du plan de cession ? À l’évidence, une réponse positive s’impose. En effet, afin d’éviter une dérive mercantile, l’alinéa 1er de l’article L. 5125‑21 du Code de la santé publique énonce que « la licence ne peut être cédée par son ou ses titulaires indépendamment du fonds de commerce auquel elle se rapporte ». Il s’ensuit que la licence d’officine, à la différence d’autres matières2, n’est pas un acte octroyé intuitu personae mais un élément attaché au fonds de commerce si bien qu’elle peut ainsi être librement cédée dans le cadre du plan de cession de l’entreprise que constitue la pharmacie3.

La seconde question est ensuite de savoir si, dès lors que la licence d’officine n’est pas incluse dans un plan de cession, la procédure collective peut y mettre fin, notamment afin d’éviter que le débiteur ne puisse causer du tort au cessionnaire de la pharmacie dont l’offre a été retenue par le tribunal ? Plus délicate en l’état du droit positif, la réponse à cette seconde question occupe une place centrale au sein de la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble le 2 novembre 2023, qu’il convient d’évoquer plus avant.

2. Solution

Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal de commerce de Vienne a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard d’une SARL ayant une activité de pharmacie. Dans le cadre du processus d’appel d’offre, une date limite de dépôt des offres a été fixée, au terme de laquelle deux offres de reprise ont été déposées entre les mains de l’administrateur judiciaire : l’une de la part d’une personne physique, l’autre de la part de la société concurrente et voisine de la société débitrice. Par jugement du 8 juin 2023, le tribunal de commerce de Vienne a arrêté le plan de cession de l’officine de pharmacie au profit du candidat concurrent et a ordonné la restitution de la licence à l’ARS en vertu des articles L. 5125‑7 et L. 5125‑5‑1 du Code de la santé publique. La conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire a, par ailleurs, été décidé au sein de la même décision.

Par déclaration du 19 juin 2023, le débiteur a interjeté appel à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Vienne et demande l’infirmation de cette décision dans toutes ses dispositions. Trois arguments sont principalement mis en évidence. Le premier considère que le tribunal a retenu une offre purement liquidative ne pouvant fonder un plan de cession dans la mesure où les salariés de la pharmacie avaient tous démissionné avant l’arrêté du plan et que la reprise du droit au bail a été effectuée par le cessionnaire avec la volonté de le résilier pour intégrer le fonds de commerce au sein de sa propre structure. Le second argument se prévaut de ce que les pouvoirs conférés par la loi au tribunal en matière de cession d’entreprise ne lui permettent pas d’ordonner la restitution de la licence d’officine à l’ARS. Enfin, le troisième argument est le corolaire du précédent et repose sur l’idée selon laquelle le débiteur, en s’opposant à la restitution de sa licence d’officine, excipe bel et bien d’un intérêt à agir en vertu de l’article 546 du Code de procédure civile.

Dans sa décision du 2 novembre 2023, la cour d’appel de Grenoble infirme le jugement du tribunal de commerce de Vienne mais seulement en ce qu’il a ordonné la restitution de la licence d’officine à l’ARS. Outre l’article L. 5125‑9 du Code de la santé publique4, le raisonnement se fonde sur l’article L. 5125‑5‑1 du même Code indiquant que « toute opération de restructuration du réseau officinal réalisée au sein d’une même commune ou de communes limitrophes à l’initiative d’un ou plusieurs pharmaciens ou sociétés de pharmaciens et donnant lieu à l’indemnisation de la cessation définitive d’activité d’une ou plusieurs officines doit faire l’objet d’un avis préalable du directeur général de l’agence régionale de santé », la cessation définitive de l’activité de l’officine ou des officines concernées « étant constatée dans les conditions prévues à l’article L. 5125-22 ». Précisant les modalités de la cessation d’activité, l’alinéa 1er de l’article L. 5125‑22 du Code de la santé publique énonce qu’« en cas de cessation définitive d’activité de l’officine, son titulaire, ou en cas de décès ses héritiers, déclare cette cessation auprès du directeur général de l’agence régionale de santé », lequel, en vertu de l’alinéa 3e du même texte, « constate la caducité de la licence par arrêté5 ». Il s’ensuit, pour le juge grenoblois, que le tribunal ayant arrêté la cession de l’officine de pharmacie « ne peut ordonner la restitution de la licence » d’officine. Il appartient au représentant de la société débitrice, qui disposait bien en l’occurrence d’un intérêt à agir en justice, « d’aviser le conseil de l’ordre des pharmaciens ou éventuellement le directeur général de l’agence régionale de l’ARS de la situation de la société » afin que la caducité de la licence soit constatée.

3. Portée

Rares sont les décisions de justice statuant sur le sort des agréments administratifs nécessaires à l’exploitation d’une entreprise faisant l’objet d’un plan de cession, ce qui souligne l’intérêt à porter à la décision de la cour d’appel de Grenoble du 2 novembre 2023. L’apport principal de cette décision réside dans la précision apportée au cas précis où une licence d’officine de pharmacie n’est pas incluse parmi les actifs du plan de cession de l’entreprise : le tribunal de la procédure collective ne peut en ordonner la restitution en l’absence de textes en ce sens tant au sein des dispositions du Code de la santé publique que de celles du Code de commerce.

L’ordonnance n2018‑3 du 3 janvier 20186, relative à l’adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie, a pourtant bien prévu certaines dispositions destinées à articuler le sort de ces licences en présence d’une procédure collective. Ainsi, hormis l’alinéa 2e de l’article L. 5125‑21 du Code de la santé publique affirmant la cessibilité d’une officine de pharmacie « au cours d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire », l’alinéa 3e du même article énonce, lorsque la licence n’est pas incluse dans le plan, que celle‑ci « est considérée comme caduque à compter de la date du jugement de clôture pour insuffisance d’actifs, ou le cas échéant pour extinction du passif ». Cependant, l’articulation ne va pas plus loin, si bien qu’en refusant que le juge de la procédure collective puisse ordonner la restitution de la licence, la cour d’appel de Grenoble, dans son arrêt du 2 novembre 2023, a fait prévaloir une solution que l’on ne peut qu’approuver en l’état des textes.

Demeure, toutefois, la question de savoir si, dans le cas d’une liquidation judiciaire, le débiteur doit, en application des articles L. 5125‑5‑1, L. 5125‑9 et L. 5125‑22 du Code de la santé publique, déclarer au conseil de l’ordre des pharmaciens ou au directeur général de l’ARS la cessation d’activité de l’officine transmise dans le cadre d’un plan de cession, afin que la caducité de la licence soit constatée. Dans sa décision, la cour d’appel de Grenoble se prononce en ce sens, en procédant, sans le dire, à une combinaison des articles L. 5125‑21 et L. 5125‑22 du Code de la santé publique, articulant plus avant le droit des pharmacies d’officine et le droit des procédures collectives. Ainsi, s’il appartient au débiteur de déclarer la cessation de son activité dans le cadre de sa liquidation judiciaire, cette cessation, à défaut de déclaration, est réputée définitive dès lors qu’aucune activité n’a été constatée pendant douze mois consécutifs.

Il est toutefois possible d’objecter à ce raisonnement que les dispositions générales du droit des pharmacies d’officine, tout particulièrement les articles L. 5125‑5‑1, L. 5125‑9 et L. 5125‑22 du Code de la santé publique, ne concernent que les cessations d’activité volontaires ou judiciaires des officines en dehors du cadre particulier des procédures collectives régi spécifiquement par l’article L. 5125‑21. En effet, ce dernier texte, intégralement réécrit à l’occasion de l’ordonnance no 2018-3 du 3 janvier 2018 afin que soient « clarifiées les possibilités de cessions d’officines dans les cas de procédure de liquidation judiciaire7 », semble devoir être perçu comme une disposition exclusivement dédiée au droit des procédures collectives. Dès lors, en présence d’une liquidation judiciaire consécutive au plan de cession d’une pharmacie, la caducité de la licence d’exploitation ne pourrait s’obtenir autrement qu’avec le « jugement de clôture pour insuffisance d’actifs, ou le cas échéant pour extinction du passif8 ». Il convient de noter que les organes de la procédure collective n’ont alors pas à craindre une mauvaise utilisation de la licence d’officine par son titulaire en liquidation judiciaire car ce dernier ne peut en principe, en vertu de l’article L. 641‑9 III du Code de commerce, exercer une autre activité indépendante jusqu’à la clôture de la procédure9. A cet égard, la décision de la cour d’appel de Grenoble, en laissant au débiteur l’initiative en liquidation judiciaire de la déclaration de cessation d’activité auprès des autorités compétentes, n’offre aucune alternative favorable en cas d’inertie de la part de ce dernier. Il n’en irait autrement que si, outre le débiteur, le liquidateur judiciaire pouvait procéder lui‑même à la déclaration de cessation d’activité, ce qui suppose que cette démarche puisse être considérée comme une opération de liquidation consécutive au plan de cession de la pharmacie.

Pour conclure, si l’on ne peut qu’adhérer à l’interdiction faite au juge de la procédure collective d’ordonner la restitution en liquidation judiciaire de la licence d’officine, force est de constater que l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 2 novembre 2023 fait preuve d’une certaine hardiesse à propos du régime juridique de la caducité de la licence d’officine en pareille situation. L’avenir dira si cette position est amenée à faire jurisprudence.

Notes

1 M. Duneau, « Pharmacie, ouverture des officines de pharmacie, obtention de la licence », Juris Cl. Notarial, éd. 2022, actualisation par B. Brignon et G. Licciardi, Fasc. 14, no 3 et s. Retour au texte

2 Il en va ainsi différemment en présence, par exemple, d’une licence de taxi (C. transp., art. L. 3121‑3) ou bien encore d’une licence de débit de boissons (C. sant. publ., art. L. 3332‑4) qui sont des titres octroyés intuitu personae. Ainsi, en cas de mutation de personnes, certaines démarches sont préalablement nécessaires auprès de l’autorité administrative compétente. Retour au texte

3 CE, 5 juin 1996, no 164739, Lebon 197 ; LPA 11 sept. 1996, p. 4, concl. M. Bonichot, précisant que la licence est attachée au fonds de commerce et non pas à la personne du titulaire : dès lors, le décès du titulaire n’entraîne pas, par lui‑même, la caducité de la licence, qui n’est pas, en effet, un acte octroyé intuitu personae. Retour au texte

4 Ce texte prévoit qu’en cas de cessation d’exploitation, de transfert ou de regroupement d’officine, ou de tout changement affectant la propriété de l’officine, le pharmacien ou la société doit informer le conseil de l’ordre des pharmaciens territorialement compétent. Ce dernier transmet les informations concernant les débuts, les changements et les cessations d’exploitation des officines à l’agence régionale de santé. Retour au texte

5 L’alinéa 2e de l’article L. 5125‑22 du même code dispose quant à lui que « lorsqu’elle n’est pas déclarée, la cessation d’activité est réputée définitive dès lors qu’aucune activité n’a été constatée pendant douze mois consécutifs ». Retour au texte

6 Prise en application de l’article 204 de la loi no 2016‑41 du 26 janvier 2016, relative à la modernisation du système de santé. Retour au texte

7 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2018‑3 du 3 janvier 2018 relative à l’adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie. Retour au texte

8 C. sant. publ., art. L. 5125‑21, al. 3e. Retour au texte

9 C. Com. art. L. 641‑9 III : « Lorsque le débiteur est une personne physique, il ne peut exercer, au cours de la liquidation judiciaire, aucune des activités mentionnées au premier alinéa de l’article L. 640‑2 », c’est dire les activités de commerçant, d’artisan, d’agriculteur et de professionnel indépendant. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Stéphane Zinty, « Sort de la licence d’officine non incluse dans le plan de cession d’une pharmacie », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=889

Auteur

Stéphane Zinty

Maître de conférences, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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