L’infraction d’exhibition sexuelle est ainsi rédigée qu’il existe une relative indéfinition de ses éléments constitutifs. Cette dernière est source de débats quant à la caractérisation des éventuelles « précautions suffisantes » prises par le prévenu ou quant à la nature du dol exigé. Ces considérations, témoignage de cette imprécision, sont d’ailleurs assez proches dans la mesure où il est parfois difficile de déterminer si elles se rapportent à l’élément matériel ou moral de l’infraction. C’est donc assez logiquement que le texte de l’article 222‑32 du Code pénal est à l’origine de divergences d’interprétation comme en atteste l’arrêt ci‑après étudié.
L’origine de cette décision trouve sa source dans l’interpellation d’un individu qui se promenait, totalement nu, dans une zone naturelle protégée. Prévenu des chefs d’exhibition sexuelle et de stationnement irrégulier dans une réserve naturelle, l’agent niait les faits, expliquant que « les gendarmes s’étaient mépris sur ses intentions » et que, le sentier qu’il empruntait étant dépeuplé, il n’avait pas entendu imposer à autrui d’acte impudique. Il sollicitait, donc, la relaxe. Par un arrêt rendu le 15 octobre 2024, la chambre des appels correctionnels accueillait sa demande. Après avoir relevé que l’incrimination en cause réprimait « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public », elle expliquait très brièvement que le prévenu déambulait nu sur un sentier, certes accessible au public, mais dénué de toute présence humaine. Selon les juges, il n’était donc pas établi que le « prévenu aurait pu imposer à autrui la vue de ses organes sexuels ».
Malgré le recours à un raisonnement syllogistique, la motivation adoptée par la cour d’appel ne permet pas de déterminer avec certitude quel élément constitutif de l’infraction d’exhibition sexuelle fait défaut. Or, si de prime abord la relaxe semble justifiée, elle interroge néanmoins après examen de l'ensemble des éléments constitutifs. Incriminée à l’article 222‑32 du Code pénal, l’exhibition sexuelle suppose, au titre de l’élément matériel, un acte impudique qui soit public. S’agissant de la première de ces conditions, elle est évidemment vérifiée par la circonstance que l’individu se promenait vêtu de simples chaussettes, sans qu’il soit nécessaire de débattre inutilement sur les différents modes d’impudicité1. Ce n’est donc pas sur cette condition que se fonde la relaxe.
Pour ce qui est de la publicité de l’acte, la question est plus délicate. Elle peut, elle‑même, nécessiter de décomposer l’infraction. Le texte exige, en premier lieu, que l’exhibition ait été « imposée à la vue d’autrui ». Cette condition conduit à s’interroger sur la nécessité d’un témoin pour réaliser cette exhibition. Un témoin doit‑il avoir assisté à l’acte impudique pour que l’infraction soit constituée ? En réalité, il faut se demander si cette interrogation a seulement un sens. En effet, « si l’acte, même accompli dans un lieu public, n’a été vu par personne, il ne peut être ni constaté ni poursuivi2 ». Cette condition ne doit donc pas s’interpréter comme exigeant un témoin puisque, « pour que le délit soit poursuivi, il faut de toute façon qu’il ait été perçu par une personne3 ». Aussi, il faut en conclure que la formulation employée par le texte n’a de sens que tant qu’elle se comprend comme exigeant un témoignage oculaire venant d’une victime involontaire4. Or, et sans qu’il soit nécessaire de préciser plus avant la portée de ces exigences, il convient de conclure que ce n’est pas non plus cette condition qui faisait défaut dans l’affaire qui nous préoccupe. Les officiers de police judiciaire (OPJ) avaient constaté la présence de l’intéressé, nu, dans un lieu public permanent5, en l’espèce une forêt, et, sauf à considérer les OPJ comme insusceptibles d’être victimes de faits d’exhibition sexuelle, ce versant de l’exigence de publicité est nécessairement caractérisé.
Du reste, et toujours s’agissant de la condition de publicité, le texte exige que l’acte impudique soit commis dans un lieu « accessible au regard du public », expression qui permet de ne pas exclure du champ de l’infraction les exhibitions commises dans des lieux privés. Ainsi, « exiger que l’exhibition ait été commise dans un lieu accessible aux regards du public permet de s’assurer que l’auteur de l’exhibition n’a pas pris les précautions suffisantes pour dissimuler son comportement impudique, voire qu’il a recherché cette exhibition6 ». Il n’est, dès lors, plus possible de se référer au seul caractère public du lieu pour caractériser la publicité de l’acte puisque certains lieux, pour n’être pas accessibles au regard des tiers, n’en sont pas moins publics, comme c’est le cas, notamment, des toilettes publiques7. Il est, donc, nécessaire d’apprécier les efforts mis en œuvre par l’intéressé pour ne pas imposer l’acte impudique à la vue d’autrui en quelque lieu qu’il se trouve, c’est‑à‑dire, pour reprendre les termes utilisés par la jurisprudence, de s’assurer qu’il ait pris les « précautions suffisantes » pour ne pas être vu. Tel n’était manifestement pas le cas du prévenu qui marchait, nu, sur un « sentier ». En outre, pour la caractérisation de l’infraction, la chambre criminelle exige simplement le risque que le comportement soit perçu. Se rend ainsi coupable d’exhibition sexuelle le prévenu qui réalise un acte de masturbation dans sa voiture garée devant un immeuble d’habitation, dès lors qu’il « n’a pas pu ignorer qu’il pouvait être vu8 », et ce, même s’il « n’avait pas eu l’intention de s’exposer à la vue du public9 ». En effet, le risque suffit à caractériser l’infraction, en accord avec la logique du texte10, puisque « la pudeur publique […] est pareillement malmenée que l’auteur de l’exhibition s’affiche ou qu’il néglige de se dissimuler correctement11 ». Aussi, ce n’est, une nouvelle fois, certainement pas sur ce fondement que le prévenu a été relaxé dans la décision commentée, puisqu’il avait nécessairement connaissance du fait qu’il pouvait être vu en circulant, totalement dévêtu, dans une forêt.
Finalement, pour ce qui est de l’élément moral, l’infraction d’exhibition sexuelle est, conformément à l’alinéa premier de l’article 121‑3 du Code pénal, une infraction intentionnelle. À cet égard, et malgré un débat doctrinal, certains auteurs ont pu relever que l’infraction se satisfaisait d’un dol général12. En effet, le principe d’indifférence des mobiles tend à rendre inopérante la défense consistant à affirmer que l’acte impudique n’a pas été réalisé avec l’intention de choquer13. Ainsi, il suffit, pour que l’élément moral de l’exhibition sexuelle soit constitué, que l’auteur ait agi en conscience et connaissance de cause. Il faut donc qu’il ait voulu son acte impudique en ayant conscience de l’impudicité de ce dernier14. L’intention de commettre un fait d’exhibition est donc évidente s’agissant de l’individu qui se promène, nu, dans une forêt. Il avait même, en l’espèce, conscience du caractère infractionnel de son comportement, puisqu’il a pris la fuite à la vue des gendarmes et les a suppliés de ne pas intervenir pour ne pas retourner en prison. À l’occasion de l’expertise psychiatrique, il avouait, entre autres, son « amour du naturisme ». De plus, l’étude de sa personnalité dresse le portrait d’un multirécidiviste déjà condamné pour des faits d’exhibition à dix reprises et qui banalise son comportement infractionnel. Il est donc difficile de souscrire à ses explications, qui plus est lorsque celles‑ci sont variables au cours de la procédure. Cependant, la décision commentée devient autrement plus compréhensible, dès lors que l’on suppose que l’exhibition sexuelle exige un dol spécial. Il est vrai que, pour rejoindre l’argumentation de la cour d’appel, le prévenu n’avait pas non plus manifesté la volonté de heurter la sensibilité morale d’autrui, dans la mesure où il avait « choisi » de commettre l’exhibition litigieuse dans un lieu a priori dépeuplé.
La relaxe du prévenu peut donc sembler curieuse, mais il convient de remarquer qu’elle s’inscrit dans une tendance qu’ont certaines juridictions du fond à considérer l’infraction d’exhibition sexuelle comme nécessitant un dol spécial15. Suivant cette interprétation, l’auteur doit avoir conscience, non pas de pouvoir être vu, mais bien d’être effectivement vu par autrui, et donc avoir la volonté particulière de heurter la pudeur d’autrui. Il résulte de cet arrêt que cette appréciation semble avoir les faveurs de la juridiction grenobloise. On le voit : si la solution n’est pas en parfaite adéquation avec l’interprétation qu’en donne la Cour de cassation, c’est en partie en raison de la relative indéfinition des éléments constitutifs de l’infraction, lesquels ne découlent pas clairement du texte d’incrimination.