L’intention, une frontière ténue entre agression sexuelle et tentative de viol

Décision de justice

CA Grenoble, 6e ch. des appels correctionnels – N° 22/01281 – 19 janvier 2023

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/01281

Date de la décision : 19 janvier 2023

Résumé

En raison de l’absence de preuve d’une véritable tentative de viol, il convient de retenir la qualification d’agression sexuelle.

Définie de manière générale à l’article 222‑22 alinéa 1er du Code pénal, l’agression sexuelle correspond légalement à « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, commise sur un mineur par un majeur ». Le Code pénal ne donne pas vraiment de définition des agressions sexuelles qui, en réalité, ne se comprennent que par opposition au viol. C’est la raison pour laquelle les agressions sexuelles sont des qualifications supplétives, qui ne s’appliquent que lorsque le viol ne peut pas être retenu. Jusqu’à la loi du 21 avril 2021, le critère de distinction entre le viol et l’agression sexuelle résidait dans l’acte de pénétration sexuelle, c’est‑à‑dire que, dès lors qu’aucun acte de pénétration sexuelle n’était caractérisé, l’agression sexuelle était retenue.

C’est la jurisprudence qui a restreint cette notion de pénétration1, mais le législateur est intervenu afin de donner une définition du viol à l’article 222‑23 du Code pénal : le viol s’entend comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit ou tout acte bucco‑génital, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Depuis cette réforme, la qualification d’agression sexuelle ne concerne donc plus que les actes qui, tout en impliquant un contact physique entre l’auteur et la victime, ne se matérialisent ni par une pénétration sexuelle ni par un acte bucco‑génital. La matérialité de l’agression sexuelle consiste alors en un contact physique entre l’agresseur et la victime2 réalisé sur des zones sexuelles ou sur des zones corporelles à caractère sexuel, mais réalisé dans un contexte sexuel3. Si l’on joint à cela le fait que la Cour de cassation exige que soit démontré le fait que l’agent ait eu conscience de porter atteinte à la liberté sexuelle d’autrui — conscience de l’absence de consentement de la victime — on ne peut que remarquer une certaine complexité à différencier l’agression sexuelle de la tentative de viol dans la mesure où, pour ces deux infractions, le défaut de consentement de la victime doit être caractérisé par l’emploi de violence, menace, contrainte ou surprise. Vous l’aurez compris, le débat se noue autour de la démonstration de l’intention équivoque ou non équivoque de commettre un viol. La question porte de fait sur le raisonnement adopté par les juges du fond pour justifier la qualification des faits en agression sexuelle plutôt qu’en tentative de viol dès lors qu’un individu ordonne qu’on lui prodigue une fellation et tente de dévêtir sa victime. C’est en ce sens qu’il nous faut étudier une décision du 19 janvier 2023 rendue par la 6e chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Grenoble.

En l’espèce, une jeune fille se trouvait à Valence en compagnie d’une amie et du petit ami de celle‑ci. Cherchant son téléphone qui avait été caché par ce dernier, elle avait manqué son bus pour rentrer chez elle à Romans‑sur‑Isère et s’était retrouvée seule, ses amis l’ayant abandonnée. Elle avait croisé dans les rues de Valence un homme qui lui avait proposé de monter dans sa voiture. Elle avait initialement refusé mais avait fini par accepter trente minutes plus tard après l’avoir recroisé. Ce dernier avait loué une chambre d’hôtel et il lui avait demandé de se faire passer pour sa petite‑amie auprès du gardien. Ils étaient montés dans une chambre et alors que l’homme s’était déshabillé et allongé sur le lit, il lui avait pris le bras pour qu’elle le rejoigne mais elle s’y était opposée. Il avait ensuite essayé de l’embrasser mais la jeune femme ayant refusé, il l’avait giflée. Par la suite, il continuait de tenter de l’embrasser, l’avait touchée au niveau de la poitrine et du sexe par‑dessus ses vêtements, l’avait poussée sur le lit, lui avait mis la main sur son sexe et lui avait ordonné de lui faire une fellation. La jeune fille lui avait fait part du fait qu’elle ne savait pas faire et il lui avait répondu que ce n’était pas grave, qu’elle allait apprendre. Il lui avait demandé de se déshabiller, avait tenté d’enlever son pull‑over et à plusieurs occasions, il l’avait de nouveau giflée. La jeune femme avait alors profité qu’il soit aux toilettes pour partir en courant et se réfugier auprès du gardien de l’hôtel. Quant à l’intéressé, il conteste toute agression sexuelle sur la jeune fille : il énonce l’avoir rencontrée par hasard et lui avoir demandé de l’accompagner à l’hôtel pour y passer la nuit. Il explique avoir enlevé son tee-shirt, s’être allongé et endormi tout de suite. Il ajoute que la jeune femme lui avait exprimé son souhait de partir et qu’elle avait alors quitté la chambre. Il finit son récit en déclarant qu’il pensait qu’elle était majeure.

Convoqué le 18 janvier 2022 au tribunal correctionnel de Valence, il est reconnu coupable d’agression sexuelle pour avoir procédé sur la jeune fille à des attouchements de nature sexuelle, condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et inscrit au fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. En appel, ce jugement est confirmé par la 6e chambre des appels correctionnels par une motivation assez concise, au motif que les déclarations de l’homme ne sont pas crédibles. En effet, il s’avère que la jeune femme avait indiqué avoir laissé son cache‑cou gris dans la chambre d’hôtel et sa trousse de maquillage dans la voiture de l’individu, objets qui ont été retrouvés aux lieux indiqués et permettant de confirmer un départ précipité. De plus, la cour d’appel s’appuie sur les déclarations du réceptionniste de l’hôtel confirmant que l’homme s’était absenté quelques instants avant de réapparaître avec une fille et que celle‑ci était revenue en pleurs et en état de panique vers deux heures du matin en lui expliquant qu’elle avait seize ans et qu’on l’avait obligée à faire des choses. Enfin, la juridiction se fonde sur l’examen médical établissant la présence d’ecchymoses et de griffures venant conforter lesdites déclarations. Ce jugement est uniquement infirmé quant à la peine prononcée : le prévenu est condamné à un an d’emprisonnement.

Bien que la 6chambre des appels correctionnels respecte le principe de légalité des délits et des peines et son corollaire qui est le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale — établissant que l’absence de pénétration sexuelle ou d’acte bucco-génital conduit à écarter la qualification de viol et de se tourner vers celle d’agression sexuelle — l’arrêt étudié suscite une réflexion tenant à l’intention de l’intéressé d’avoir une relation sexuelle avec la jeune fille malgré son absence de consentement et donc, de façon sous‑jacente, se pose la question de la tentative de viol.

Premièrement, que ce soit pour l’agression sexuelle ou la tentative de viol, le défaut de consentement de la victime doit être caractérisé par l’emploi de violence, contrainte, menace ou surprise de la part de l’auteur. En l’espèce, l’homme a usé de la violence physique en lui infligeant à plusieurs reprises des gifles. Cependant, le plus notable est qu’il existait une différence d’âge significative entre l’auteur et sa victime — celle‑ci ayant seize ans et l’auteur étant âgé de 34 ans — ce qui permet d’établir une autorité de fait4 et donc, d’établir la contrainte morale au sens de l’article 222‑22‑1 alinéa 2 du Code pénal.

Deuxièmement, s’agissant de la tentative, conformément à l’article 121‑5 du Code pénal, celle‑ci est caractérisée par un commencement d’exécution et une absence de désistement volontaire de la part de l’auteur. Dans notre cas d’espèce, l’individu a tenté d’embrasser la jeune femme, l’a giflée, l’a touchée au niveau de la poitrine et du sexe par‑dessus les vêtements, lui a pris sa main pour lui mettre sur son sexe, lui a ordonné de lui faire une fellation et a tenté d’enlever son pull‑over. Seule la fuite de la jeune fille, circonstance indépendante de sa volonté, l’a empêché de commettre le viol, que ce soit en l’obligeant à lui prodiguer une fellation ou en lui infligeant une pénétration sexuelle. Néanmoins, ces actes démontrent la volonté de l’homme de commettre l’infraction. Partant, ils devraient être considérés comme entrant dans la phase d'exécution de la tentative et donc, comme des agissements constituant un véritable commencement d'exécution pénalement punissable. Par conséquent, si l’on considère que c'est la fuite de la jeune femme qui a interrompu son projet infractionnel, c’est la qualification de tentative de viol qui semblait la plus appropriée au cas d'espèce. C’est sur ce point que l’arrêt de la 6chambre des appels correctionnels paraît surprenant en ce qu’elle ne semble pas considérer que les actes impudiques réalisés sur la victime constituent un commencement d’exécution. Pourtant, c’est bien de la résolution de la question de la tentative de viol que dépend le quantum de peine encouru par l’infracteur ainsi que la juridiction compétente pour connaître des faits. De fait, il faut souligner que, peu importe qu’il s’agisse du stade de la première instance ou de l’appel, dès lors qu’il existe une erreur au niveau de la qualification pénale des faits, la requalification est obligatoire. En l’espèce, il s’agit de vérifier si le comportement entre bien dans la compétence du tribunal correctionnel et c’est donc le respect du principe de saisine in rem qui doit être étudié. Si l’opération de requalification modifie la nature de l’infraction, la juridiction doit se déclarer incompétente en vertu dudit principe. Ainsi, dans notre affaire, si la requalification des faits en tentative de viol paraissait nécessaire, le tribunal correctionnel aurait dû se déclarer incompétent. Cependant, il pourrait s’agir d’une correctionnalisation judiciaire du viol faute d’élément de preuve suffisant d’une tentative de viol avérée, la jeune fille étant montée de son plein gré aussi bien dans le véhicule de l’intéressé que dans sa chambre d’hôtel alors qu’elle ne le connaissait pas. Enfin, cette correctionnalisation a pu être faite en opportunité dans la mesure où la victime ne s’est pas constituée partie civile — le ministère public ayant fait appel du jugement de première instance — et donc, faire un procès d’assises sans la victime aurait été complexe. Par conséquent, la correctionnalisation peut être la raison pour laquelle la 6chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Grenoble aurait décidé de maintenir la qualification d’agression sexuelle et de juger le prévenu pour ce chef d’accusation…

Notes

1 Cass. crim.14 oct. 2020, no 20‑83.273 Retour au texte

2 Cass. crim. 7 sept. 2016, n o 15‑83.287 Retour au texte

3 Cass. crim. 3 mars 2021, n o 20‑82.399 Retour au texte

4 Cass. crim. 4 sept. 2019, n o 18‑85.919 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Léa Fernandes, « L’intention, une frontière ténue entre agression sexuelle et tentative de viol », BACAGe [En ligne], 02 | 2024, mis en ligne le 17 juin 2024, consulté le 14 mars 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=758

Auteur

Léa Fernandes

Étudiante en Master II Droit pénal et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France. Sous la direction de Martine Exposito, maître de conférences HDR

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