Les cinquante dernières années ont été l’occasion d’un bouleversement concernant la modification de la mention du sexe à l’état civil. Le droit français a cheminé de l’impossibilité à la décision judiciaire motivée par la preuve d’un sexe psychosocial différent de celui mentionné dans les actes de l’état civil, en passant par la modification subordonnée à une transition médicale. Cet arrêt de la cour propose une application claire et respectueuse de l’interprétation par la circulaire du 10 mai 20171 des articles 61‑5 et suivants du Code civil.
Histoire – Au nom de l’indisponibilité de l’état des personnes, la Cour de cassation a longtemps refusé la modification de la mention du sexe à l’état civil. En 1992, la France était condamnée par la Cour EDH, car elle interdisait la modification de l’état civil2. Faisant suite à cette condamnation, le 11 décembre 19923, la Cour de cassation a fini par autoriser la modification de la mention du sexe à l’état civil à cinq conditions, parmi lesquelles un traitement médicochirurgical. En 2010, une circulaire4, puis en 2012, la Cour de cassation5 ont assoupli ces conditions. En 2017, la France a été de nouveau condamnée par la Cour EDH,6 car l’exigence d’une transformation irréversible de l’apparence portait atteinte au droit au respect de l’intégrité physique des individus.
Droit positif – Après une longue période d’encadrement jurisprudentiel de la modification de la mention du sexe à l’état civil, le législateur s’est finalement emparé du sujet en 20167. L’article 61‑5 du Code civil dispose désormais que « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :
1- Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;
2- Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;
3- Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué. »
La preuve se fait par tous moyens. Il doit être précisé que ces éléments ne sont pas cumulatifs ni exclusifs, et que cette liste n’est ni limitative ni exhaustive. En outre, plusieurs faits doivent être rapportés pour constituer un faisceau d’indices suffisant. L’article 61‑6 du Code civil vient préciser que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ».
Faits de l’espèce – En l’espèce, une personne transgenre demande que la mention sexe « masculin » soit remplacée par la mention sexe « féminin » dans son acte de naissance. De plus, le justiciable demande l’application du dernier alinéa de l’article 61‑6 du Code civil permettant le changement de prénom concomitant à la modification de la mention du sexe à l’état civil.
Procédure – Le jugement de première instance critiqué a rejeté sa requête et appel a été interjeté par la personne.
Pronom et nom utilisés dans l’arrêt – Avant de commencer le développement, il est intéressant de noter que le rédacteur de l’arrêt a fait le choix de genrer le justiciable au féminin et de la nommer par le prénom féminin choisi dès l’exposé des motifs de la décision.
Par une application respectueuse de la loi et de l’interprétation de la circulaire, la cour pose, dans cet arrêt, deux critères pour la démonstration nécessaire à la modification de la mention du sexe à l’état civil (1), avant de faire une application conforme de ces critères (2).
1. Établissement approprié de deux critères interne et externe
Définition des critères nécessaire à la modification – Dans un premier temps, la cour rappelle les éléments posés par l’article 61‑5 du Code civil. Puis, elle définit deux critères pour l’application de cet article : l’identité de genre vécue et la dimension sociale de son appartenance au sexe revendiqué. Elle retient donc un élément externe et un élément interne à la personne. Ces deux critères ne sont ni évoqués expressément par l’article 61‑5 du Code civil ni énoncés par la Cour de cassation qui n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation des critères posés par cet article.
Source des critères – Ces deux éléments découlent des deux premiers critères proposés par l’article 61‑5 du Code civil tels que les interprète la circulaire du 10 mai 20178. Celle‑ci précise en effet que « le premier critère énoncé […] a trait à l’identité de genre vécue, tandis que le deuxième révèle la dimension sociale de son appartenance au sexe revendiqué ». Il est à noter que cette circulaire était la bienvenue, car les critères posés par l’article pouvaient laisser un certain flou qui devait être corrigé par les cours d’appel9. Cependant, l’interprétation retenue par ce texte et ainsi énoncée semblent tenir ces deux critères pour cumulatifs et nécessaires. Or, comme elle rapporte ces critères au premièrement et deuxièmement de l’article 61‑5 du Code civil, cela crée une certaine contradiction, car, dans un premier temps, le texte affirmait que ces faits n’étaient pas nécessaires, mais étaient simplement des éléments possibles d’un faisceau d’indices.
Non‑usage des stéréotypes de genre – Concernant le premièrement, une telle interprétation permet de répondre à la question et la critique souvent opposées à l’article 61‑5 du Code civil qui sont celles de l’appréciation. Que signifie se présenter comme une femme ou comme un homme ? Il est heureux que la cour ne fasse ici pas référence à des stéréotypes de genre comme le préconise la circulaire.
Indifférence concernant la transition médicale – La cour rappelle, à bon escient, l’article 61‑6 du Code civil, afin d’affirmer avec clarté, après plusieurs années de modifications jurisprudentielles et législatives, son indifférence quant à l’existence d’un traitement médical ou d’une opération chirurgicale.
Ainsi, la cour nous propose deux critères en application de l’article 61‑5 qui paraissent opportuns et pérennes malgré leur source infralégislative, ce qui est heureux pour une meilleure sécurité juridique et une compréhension du droit.
À la suite de l’établissement de deux critères pour la modification de la mention du sexe à l’état civil respectueux des articles 61‑5 et suivants du Code civil et de leur interprétation par la directive du 10 mai 2017, la cour en fait une application également conforme à ces textes.
2. Application conforme des critères interne et externe
Appréciation des critères – Les critères étant définis, il convient ensuite pour la cour d’apprécier s’ils sont remplis en l’espèce. Le juge vient rappeler tous les éléments qui ont permis de constituer le faisceau d’indices qui motive l’infirmation du jugement de première instance. La cour énonce de nombreux éléments en distinguant ce qui a trait à l’identité de genre vécue à travers les dires du justiciable et l’exposé de son histoire, et la dimension sociale de son appartenance au sexe revendiqué à travers des attestations de ses proches et documents administratifs. Le nombre et la qualité de ces éléments questionnent sur la décision de première instance dont on ne connaît malheureusement pas les motifs.
Critère interne – Sur le premier critère, réservé au récit de la personne transgenre, la cour répond à une exigence de la circulaire qui donne une grande place à la volonté de la personne et à son expérience intimement vécue sans donner une place décisionnaire au point de vue de la société, se basant sur la jurisprudence de la Cour EDH10. On peut se demander dans ce sens quel est alors le rôle du ministère public.
Critère externe – Sur le second critère, en l’espèce, plusieurs attestations de proches et des documents administratifs soutiennent la demande du justiciable, mais on peut se demander quelle est la limite pour constituer la preuve de cette dimension sociale. Le défenseur des droits va jusqu’à affirmer que « le seul fait d’adresser une requête en modification de la mention du sexe à l’état civil suffirait […] à témoigner de cette volonté [de se présenter comme une personne de tel ou tel sexe]11 ». Dans ce cas, est‑ce que ce critère a encore lieu d’être ?
Atteinte à la vie privée – On peut relever une certaine intrusion dans la vie privée du justiciable forcé de se raconter et de demander une confirmation de son identité de genre par des tiers. On questionnera donc la légitimité de l’appréciation par un tiers de l’identité de genre. Cet arrêt trouve une résonance particulière avec la proposition de loi déposée au Sénat le 2 avril 202412 qui propose de déjudiciariser la procédure de modification de la mention du sexe à l’état civil en se rendant auprès de l’officier d’état civil. Plusieurs États européens comme le Danemark, Malte, ou l’Irlande ont opté pour une procédure déclaratoire. Une telle réforme est soutenue par le Défenseur des droits13. Cette procédure serait moins attentatoire à la vie privée.
Position favorable à la modification – Si certains auteurs avaient pu s’inquiéter que la libéralisation conséquente à la réforme de 2016 sans contrôle médical soit contrebalancée par une tendance restrictive des juges, il n’en est rien en l’espèce14. Il doit être noté que le taux d’acceptation des demandes de modification de la mention du sexe à l’état civil se maintient autour de 99 % depuis 201915.
Respect de l’ordre juridique – La décision‑cadre du Défenseur des droits du 18 juin 202016 témoigne d’une application hétérogène sur le territoire des articles 61‑5 et suivants du Code civil. On peut donc saluer la position conforme à la loi et à son interprétation par la circulaire de la cour d’appel de Grenoble. Cette appréciation est respectueuse du droit positif. Pour une application uniforme du droit et un respect de la séparation des pouvoirs, la position de la cour est opportune.
Cet arrêt soulève la question de l’importance de la volonté individuelle en matière d’état des personnes. Le principe de l’immutabilité le concernant a été très affaibli par les dernières réformes et pas seulement en matière de mention du sexe. L’état civil est‑il en train de devenir un état privé17 ?