L’articulation des compétences du juge aux affaires familiales (JAF) et du juge des enfants (JE) peut donner lieu à des chevauchements complexes, mais également à un partage des compétences bénéfique. Dans cet arrêt rendu par la chambre des affaires familiales de la cour d’appel de Grenoble le 4 décembre 2024, le JAF1 se sert de cette articulation pour prendre une décision difficile concernant la résidence d’une fratrie.
Procédure. Par un jugement en assistance éducative du 9 septembre 2021, le JE a instauré une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) au profit de trois enfants2 jusqu’au 30 septembre 2022, mesure renouvelée par deux fois pour un an. Puis, le 7 mars 2024, une mesure d’AEMO renforcée est ordonnée jusqu’au 31 mars 2025. En parallèle, la mère a fait assigner le père devant le JAF aux fins de voir fixer une résidence alternée à titre principal, une résidence chez la mère à titre subsidiaire.
Par jugement en date du 18 janvier 2024, le JAF a constaté l’exercice conjoint de l’autorité parentale, fixé la résidence des enfants chez le père et un droit de visite et d’hébergement classique pour la mère3, les modalités de trajets et la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. La mère a interjeté appel de cette décision. Elle renouvelle les demandes formées en première instance. Le père demande la confirmation du jugement.
L’arrêt confirme le jugement attaqué, notamment en ce qu’il fixe la résidence des enfants chez le père. La cour d’appel fait application de la délimitation rigoureuse entre les compétences du JAF et du JE (1), tout en mettant en exergue la coopération nécessaire entre eux (2).
1. La délimitation rigoureuse entre les compétences du juge des enfants et du juge aux affaires familiales
Imprécision du texte. La Cour de cassation a déclaré que « la compétence du JE est limitée, en matière civile, aux mesures d’assistance éducative ; que le JAF est seul compétent pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la résidence de l’enfant4 ». Ce partage de compétences, en apparence clair, se révèle pourtant complexe. Un risque réside dans la possibilité pour les parents d’instrumentaliser le contentieux devant chacun des juges pour servir leurs intérêts dans l’autre contentieux5. Le troisième alinéa de l’article 375‑3 du Code civil organise ce partage de compétences. Il prévoit que, lorsque le JAF a statué sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale, le JE ne peut prendre de décisions sur celles‑ci que si un fait nouveau de nature à entraîner un danger pour le mineur s’est révélé postérieurement à la décision du JAF. Cette rédaction manque de clarté en ce qu’elle crée une confusion pour la décision du JE durant la saisine du JAF n’ayant pas encore donné lieu à décision, mais également en cas de danger, le JAF ne pouvant pas statuer sur un placement. L’espèce correspond à ce dernier cas.
Offices des juges. Le JAF dispose d’un titre général de compétence6 qui cède devant un titre spécial de compétence tel celui du JE en matière de mesures d’assistance éducative7. Le JAF est compétent pour prendre des décisions sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, peu importe qu’une mesure éducative ait été ordonnée par le JE. La décision du JAF est prise sous réserve des modalités ordonnées par le JE. Elle est applicable dès lors que cesse l’intervention de celui‑ci8. La compétence du JE est exceptionnelle, celui‑ci ne pouvant être saisi que si la condition de danger est remplie9. S’ils se prononcent tous deux en considération de l’intérêt de l’enfant10, chacun ne peut dépasser sa compétence11. En l’espèce, le JAF respecte ce partage de compétences en refusant de statuer sur le danger que pourrait constituer la résidence chez le père, le placement résultant de la caractérisation de celui‑ci étant de la compétence du JE. Il affirme : « à l’instar de ce qu’a retenu le premier juge, il appartiendra au juge des enfants, s’il estime les enfants en danger au domicile paternel, d’envisager un placement. »
Décision « par défaut ». Lorsqu’il est saisi sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le JAF est dans l’obligation de statuer. S’il doit prendre sa décision dans l’intérêt de l’enfant, il ne peut décider d’un placement et peut parfois se retrouver contraint de prendre une décision qui pourrait se révéler dangereuse pour l’enfant à défaut d’autre option. Si la Cour de cassation a fermement déclaré que le JAF ne pouvait déléguer au JE le pouvoir de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale12, il ne peut que renvoyer à la compétence du JE en matière de placement. En l’espèce, malgré les risques que pourrait présenter la résidence chez le père, c’est la meilleure décision que sa compétence lui permet de prendre. En cas de danger caractérisé, le JE sera compétent pour décider d’un placement.
Primauté des décisions du juge des enfants. En matière de modalités d’exercice de l’autorité parentale, les décisions de placement du JE priment sur les décisions du JAF alors que les décisions du JE statuant sur une AEMO laissent s’exécuter les décisions du JAF13. En l’espèce, la décision du JAF s’exécutera en parallèle de l’AEMO renforcée. Cependant, si une décision de placement était prise par le JE, la décision du JAF ne serait alors plus exécutée le temps du placement14.
Fait nouveau. La principale difficulté à laquelle se trouvera confrontée le JE est l’exigence d’un fait nouveau15. Si le JE intervient après que le JAF a été saisi pour statuer sur la résidence et le droit de visite afférents à l’enfant ou a statué sur ces points, il ne peut prendre une décision contraire que si un fait nouveau, de nature à créer un danger pour l’enfant, s’est révélé postérieurement à la décision du JAF16. En l’absence de faits nouveaux de nature à créer un danger pour les enfants, il ne pourra pas transférer la résidence chez l’autre parent17. En l’absence de faits nouveaux, le JE peut seulement prendre une mesure d’assistance éducative, s’il s’agit d’assurer l’exécution de la décision du JAF alors que l’enfant se trouve en danger18. Sous cette réserve, l’exigence d’un fait nouveau est impérative19. Or en l’espèce, aucun fait nouveau ne sera nécessairement révélé. Cette situation mène cependant à une situation assez évidente, même si le texte ne le précise pas. Peu importe que le JAF statue et qu’aucun fait nouveau ne survienne, le JE reste compétent pour statuer sur un placement qui est de sa seule compétence. Il semble que ce soit le sens du partage légal de compétences. Afin que ce partage de compétences se révèle bénéfique aux familles, il doit donc exister une coopération entre ces deux juges.
2. La coopération nécessaire entre le juge des enfants et le juge aux affaires familiales
Coopération. Cet arrêt illustre la coopération nécessaire entre ces deux juges qui interviennent dans le cadre familial. Dans cette décision, le JAF, limité par sa compétence, est dans l’obligation de prendre une décision qu’il sait pouvoir donner lieu à un danger. Par conséquent, il s’en remet au JE pour décider d’un placement si nécessaire, ce qu’il n’est pas en capacité de faire.
Principe de communication. Cette coopération se réalise par la communication entre ces deux juges20. Par application de l’article 1187‑1 du Code de procédure civile, le JE communique au JAF les pièces sollicitées sauf à ce que leur production fasse courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers. Parallèlement, l’article 1072‑1 exige du JAF qu’il s’informe sur l’existence d’une procédure d’assistance éducative sur les enfants sur lesquels il doit statuer à propos de l’exercice de l’autorité parentale et indique qu’il « peut demander au JE de lui transmettre copie de pièces du dossier en cours, selon les modalités définies à l’article 1187‑1 ». Ainsi, à certaines conditions, le JAF peut fonder sa décision concernant l’exercice de l’autorité parentale sur le dossier d’assistance éducative tel que communiqué par le JE21. Cette transmission bénéfique d’information est visible dans l’arrêt commenté.
Copie de l’arrêt adressé au JE. Lorsqu’une procédure d’assistance éducative est en cours, une copie de la décision du JAF est transmise au JE, ainsi que toute pièce que ce dernier estime22. En l’espèce, l’arrêt indique expressément qu’une copie de l’arrêt doit être adressée au juge des enfants saisi en assistance éducative. Par conséquent, le JE sera informé que le JAF s’en remet à lui en cas de danger résultant de la résidence des enfants chez le père. Ainsi, le partage de compétence entre le JE et le JAF peut se révéler bénéfique aux familles, chaque juge statuant conformément à sa spécialité, tout en assurant une coopération nécessaire.