Pas de troisième chance en matière de médiation familiale ?

DOI : 10.35562/bacage.970

Décision de justice

CA Grenoble, ch. des affaires familiales – N° 22/02833 – 17 janvier 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/02833

Date de la décision : 17 janvier 2024

Résumé

Dans un contexte d’incitation forte aux MARD, la Cour d’appel de Grenoble rejette une demande de médiation familiale. Sa décision se justifie en l’espèce par le manque d’opportunité à enjoindre aux parents de s’informer sur ce processus.

Index

Mots-clés

médiation, famille, MARD

Rubriques

Enfant

Plan

À travers les réformes successives, le législateur a souhaité faire de plus en plus de place aux modes alternatifs de résolution des différends, notamment en matière familiale1. Cependant, malgré une forte incitation, cette dernière n’est pas de droit, c’est‑à‑dire que le juge ne doit pas nécessairement accueillir une demande de médiation. C’est ainsi que dans un arrêt du 17 janvier 2024, la chambre des affaires familiales de la cour d’appel de Grenoble a rejeté une demande de mesure de médiation familiale2.

Définition. La médiation constitue le MARD le plus courant en matière familiale3. Toutefois, il n’en existe aucune définition légale. L’article 2 du Code de déontologie de la médiation familiale l’a défini comme « un processus de gestion des conflits dans lequel les membres de la famille demandent ou acceptent l’intervention confidentielle et impartiale d’une tierce personne […] ».

Faits de l’espèce. En l’espèce, les parents d’un enfant de quatorze ans sont séparés depuis de nombreuses années et aucun d’entre eux ne justifie de la reprise d’un dialogue. Deux mesures de médiation ont été ordonnées en 2010 et 2014. La mère soutient que la communication parentale est inexistante malgré ses tentatives visant à renouer le dialogue avec le père et indique que l’enfant souffre de cette situation. Le père affirme que les mesures de médiation mises en place dans le cadre des précédentes décisions ont toutes échoué et précise que les parents se transmettent toutes les informations importantes concernant l’enfant à travers un carnet de liaison.

Procédure. La mère a formé une demande aux fins de voir ordonner une nouvelle mesure de médiation familiale. Le 13 juin 2022, le juge aux affaires familiales de Grenoble a rejeté la demande de médiation formulée par la mère. Cette dernière a interjeté appel de cette décision, notamment en ce qui concerne la mesure de médiation.

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Grenoble confirme la décision déférée en ce qu’elle rejette la demande de médiation formulée par la mère. Cette décision motivée par des circonstances particulières (2) pourrait paraître surprenante en ce qu’elle s’appuie sur une absence de difficulté concrète dans l’exercice de l’autorité parentale conduisant à se demander si la cour d’appel retient un nouveau critère d’exclusion de la médiation (1).

1. L’absence de difficulté concrète dans l’exercice de l’autorité parentale, un nouveau critère d’exclusion de la médiation ?

Fondement. La possibilité pour le juge aux affaires familiales de statuer sur une mesure de médiation familiale dans le cadre d’un contentieux concernant l’exercice de l’autorité parentale trouve son fondement dans l’article 373‑2‑10 du Code civil. Après avoir rappelé la mission de conciliation de ce juge, l’article indique que le juge peut « proposer une mesure de médiation [aux parents], […] et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder », ou leur enjoindre de « rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de cette mesure ». En l’espèce, la mère forme une demande qui vise à enjoindre au père de se rendre à la rencontre d’information, le père n’ayant pas donné son accord pour que le juge désigne un médiateur familial.

Critères légaux d’exclusion. Concernant la proposition et l’injonction à la médiation familiale, l’article 373‑2‑10 du Code civil fixe les critères d’exclusion suivants : les violences alléguées par l’un des parents sur l’autre parent ou sur l’enfant et l’emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre. Cependant, dans cet arrêt, pour rejeter la demande de la mère, la cour d’appel ne s’appuie sur aucun de ces deux critères. Ces deux critères d’exclusion ne sont en effet pas exclusifs. L’article 373‑2‑10 du Code civil a pour objectif de permettre aux juges de proposer ou d’enjoindre à la médiation familiale lorsque cela leur paraît opportun au regard de la situation familiale4. Il n’oblige pas les juges à ordonner systématiquement des mesures de médiation ou à accueillir toutes les demandes de médiation lorsqu’aucun de ces deux critères n’est rempli5.

Référence à l’absence de difficulté concrète dans l’exercice de l’autorité parentale. La cour d’appel affirme qu’« en dépit de la faible communication parentale, c’est à bon droit que le premier juge a retenu qu’aucune difficulté concrète relative à l’exercice de l’autorité parentale ou du droit de visite et d’hébergement du père n’était rapportée et qu’il n’apparaissait donc pas opportun d’ordonner une nouvelle mesure de médiation familiale ». Ainsi, la cour semble venir compléter l’article 373‑2‑10 du Code civil en vue de son application en indiquant que la difficulté concrète dans l’exercice de l’autorité parentale permet de motiver la décision d’ordonner une mesure de médiation familiale. Le recours à ce motif pourrait surprendre, à la fois pour sa caractérisation et pour sa raison d’être. En premier lieu, alors même que la cour relève qu’aucun des parents ne justifie de la reprise d’un dialogue et que la mère forme une demande de médiation, elle considère qu’aucune difficulté concrète n’existe. On pourrait donc se demander ce que la cour entend par difficultés « concrètes ». En second lieu, ce critère ne trouve pas sa source dans la lettre de l’article 373‑2‑10 du Code civil. Cependant, cette motivation est une illustration de la souplesse laissée aux juges par la lettre de cet article pour apprécier l’opportunité pour chaque espèce d’une mesure de médiation familiale.

Face à l’incitation actuelle à la médiation familiale, le rejet d’une demande tendant à la mise en œuvre de celle‑ci motivée par l’absence de difficulté concrète relative à l’exercice de l’autorité parentale pourrait sembler durcir les conditions d’injonction à la médiation. Cependant, il convient de tempérer ces propos. En effet, il s’agit ici d’une motivation propre au cas d’espèce et non d’un critère de principe.

2. Une décision motivée par des circonstances particulières

Libre appréciation du juge aux affaires familiales. Les critères pour enjoindre à la médiation familiale sont laissés à la libre appréciation du juge6. Comme cela a été exposé précédemment, celui‑ci peut se saisir de cette mesure lorsque cela lui semble opportun au regard d’une situation familiale. Ce sera certainement le cas lorsque la relation parentale semble le permettre ou lorsque c’est la condition indispensable à une coparentalité future.

Indifférence des mesures de médiation antérieures. La cour ne se réfère pas aux précédentes mesures de médiation, ce qui se justifie certainement par leur ancienneté : dix années ont passé depuis que la dernière mesure de médiation a été ordonnée. Il aurait donc été assez surprenant que leur existence suffise à écarter la nouvelle demande de médiation.

Faveur accordée à la médiation familiale. Ces dernières années, le législateur tend à inciter le recours à la médiation familiale. Portant un regard plus local sur l’affaire, les projets portés par les tribunaux judiciaires de Grenoble et de Privas en matière de consensus parental témoignent d’une sensibilité locale avérée aux modes alternatifs de règlement des différends en matière familiale dans le ressort de la cour d’appel de Grenoble. La mise en œuvre de la médiation familiale suppose un dialogue et donc une volonté de participation des parties. C’est pourquoi l’injonction à la médiation familiale peut questionner. Il ne s’agit cependant pas ici d’obliger les parents à s’engager dans un processus de médiation, mais simplement de leur ordonner, sans qu’aucune sanction ne soit prévue, de se rendre à une rencontre d’information sur la médiation. Enjoindre une mesure de médiation permet notamment l’information de celui ou celle qui n’aurait pas connaissance de ce dispositif et de ses enjeux7. De plus, cette possibilité d’injonction est supposée rendre possible la reprise d’un dialogue minimal permise par l’intervention du juge. Une cour d’appel ordonnant une telle mesure a pu affirmer que « l’intervention d’un tiers paraît nécessaire pour permettre aux parents de surmonter leurs dissensions personnelles8 ».

Rejet circonstancié de la demande médiation. Or, en l’espèce, le père connaissait le dispositif, les parents ayant déjà eu recours à deux mesures de médiation. L’enjoindre à s’informer de nouveau pouvait donc sembler vide de sens. Par un arrêt du 13 octobre 2010, la cour d’appel d’Amiens a également pu retenir que la demande de médiation familiale d’un père ne s’inscrivait pas dans l’objectif de « faciliter la recherche par las parents d’un exercice consensuel de l’autorité parentale » en ce que les parties ne manquaient pas d’information quant à l’intérêt d’une telle mesure9. Le refus de la cour d’appel de Grenoble, qui pourrait sembler en contradiction avec ce développement de la médiation et des MARD en matière familiale, se justifie donc par la particularité de l’espèce.

Absence de mention de l’intérêt de l’enfant. Enfin, il convient de se questionner sur l’absence de référence à l’intérêt de l’enfant dans cet arrêt. L’intérêt de l’enfant10 est une notion au cœur de la pratique des juges aux affaires familiales qui n’est pas définie par les textes. Il s’agit d’une notion mouvante et relative. Elle devrait être la motivation de toutes les décisions parentales concernant l’enfant11. Or, dans cet arrêt, la cour ne s’y réfère pas expressément, ce qui questionne, notamment en ce qui concerne le refus d’une demande de médiation familiale dont les bienfaits pour l’enfant sont mis en avant par la mère en l’espèce et par le législateur qui invite fortement à sa mise en œuvre. On peut néanmoins supposer qu’en s’interrogeant sur les difficultés concrètes rencontrées dans l’exercice de l’autorité parentale, elle se pose implicitement la question du respect de cet intérêt et rend une décision en conformité substantielle avec celui‑ci.

Notes

1 Voir notamment : loi no 2002‑305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, loi no 2011‑1862 du 13 déc. 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, loi no 2016‑1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Retour au texte

2 Il doit être noté que cet arrêt traite également de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et du remboursement de frais médicaux, mais que nous ne nous intéresserons pas à ces aspects de l’arrêt dans ce commentaire. Retour au texte

3 C’est ce dont témoigne sa seule mention parmi les autres MARD dans le Code civil en matière d’autorité parentale. (En matière de divorce, on trouvera également la mention de la procédure participative.) Retour au texte

4 Pour d’autres illustrations de rejet de demande de médiation familiale par des cours d’appel : cour d’appel, Caen, 3e chambre civile, 13 oct. 2016, no 15/03747, JurisData no 2016‑021912 ; cour d’appel d’Amiens, 3e chambre de la famille, 1re section, 13 oct. 2010, no 09/03388, JurisData no 2010‑026685. Pour une illustration d’accueil de cette demande : cour d’appel, Orléans, chambre de la famille, 13 janv. 2009, no 08/00862, JurisData no 2009‑002603. Retour au texte

5 À ce propos Me H. Poivey‑Leclerq déclarait notamment à l’occasion des troisièmes États généraux du droit de la famille : « Précisons en outre que rien ne contraint le magistrat lui‑même à prononcer une injonction », in Marc Juston, « L’intérêt de la médiation familiale pour l’enfant », Droit de la famille, no 3, 1er mars 2008. Retour au texte

6 Le juge aux affaires familiales prendra notamment en considération les éléments nommés par l’article 373‑2‑11 du Code civil. Retour au texte

7 Pierre‑Jean Claux, Stéphane David, Droit et pratique du divorce 2024/2025, Dalloz Référence, no 6, mars 2024, 153.33 ; Marc Juston, « L’intérêt de la médiation familiale pour l’enfant », Droit de la famille, no 3, 1er mars 2008. Retour au texte

8 Cour d’appel de Paris, 24e chambre, sect. A, 12 mai 2004, 03/ 01102 in Pierre‑Jean Claux, Stéphane David, Droit et pratique du divorce 2024/2025, Dalloz Référence, no 6, mars 2024, 153.33. Retour au texte

9 Cour d’appel d’Amiens, 3e chambre de la famille, 1re section, 13 oct. 2010, no 09/03388, JurisData no 2010‑026685. Retour au texte

10 Adeline Gouttenoire, « Autorité parentale – Exercice de l’autorité parentale par les parents séparés », Rép. Civ., juil. 2024, 318 suiv. ; Jean Garrigue, Victor Deschamps, Droit de la famille, HyperCours, Dalloz, no 3, sept. 2023, 903 suiv. ; Philippe Bonfils, Adeline Gouttenoire, Droit des mineurs, Précis Dalloz, no 3, juin 2021, p. 88 suiv. Retour au texte

11 Cass. civ. art. 371‑1 et 373‑2‑6 al. 1 ; Cass. civ. 1re, 4 nov. 2010, no 09‑15.165 et Cass. civ. 1re, 14 avr. 2010, no 09‑13.686 in Adeline Gouttenoire, « Autorité parentale – Exercice de l’autorité parentale par les parents séparés », Rép. Civ., juil. 2024. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Blandine Cretallaz, « Pas de troisième chance en matière de médiation familiale ? », BACAGe [En ligne], 03 | 2024, mis en ligne le 09 décembre 2024, consulté le 15 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=970

Auteur

Blandine Cretallaz

Doctorante en droit privé et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
blandine.cretallaz@univ-grenoble-alpes.fr

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