L’article 111‑5 du Code pénal instaure au profit des seules juridictions pénales un pouvoir d’interprétation des actes administratifs, réglementaires ou individuels afin d’en apprécier la légalité lorsque de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis. Ce texte, entré en vigueur le 1er mars 1994, a eu le mérite de mettre un terme à la divergence de jurisprudence qui opposait le tribunal des conflits1 et la chambre criminelle de la Cour de cassation2, consacrant pour l’essentiel la solution retenue par cette dernière. Il présente la particularité donc de déroger, au bénéfice du seul juge pénal, au principe de la séparation des autorités judiciaires et administratives. Si le contrôle de légalité des actes administratifs constitue une obligation pour le juge pénal3, ce devoir cesse néanmoins lorsque l’appréciation de la validité de l’acte critiqué n’est pas nécessaire à la solution du procès pénal. C’est notamment ce que rappelle la 6e chambre des appels correctionnels dans un arrêt rendu le 10 avril 2024.
En l’espèce‚ le 29 juin 2020, M. Y. dépose à la mairie de sa commune une demande de permis de construire ayant pour objet des travaux d’agrandissement d’une maison individuelle faisant suite à une lettre du maire du 19 juin 2020 lui demandant de cesser les travaux en cours. Suite aux observations des services de la préfecture sur ce projet‚ le maire prenait en conséquence un arrêté de refus de permis de construire fondé sur l’article L. 122‑5 du Code de l’urbanisme, relevait qu’un permis de construire accordé le 28 février 2019 avait autorisé une extension de l’habitation, dont la surface avait augmenté de plus de 30 %, et que l’extension dont l’autorisation était sollicitée n’était pas une extension limitée mais constituait une construction nouvelle, qui n’était pas située en continuité d’un groupe d’habitation. Entendu ultérieurement, le maire déclarait qu’il avait constaté l’arrêt des travaux après son courrier, puis leur reprise après le dépôt de la demande de permis de construire. Il indiquait que le gros œuvre était terminé. Poursuivi pour avoir exécuté des travaux ou utilisé le sol sans permis de construire, en l’espèce en ayant fait réaliser une extension supplémentaire d’une surface de 28,50 m2 à l’habitation existante malgré le refus du permis de construire, sur le fondement des articles L. 421‑1, R. 421‑1, et R. 421‑14 du Code de l’urbanisme, le propriétaire des lieux était condamné par le tribunal correctionnel au paiement d’une amende de 1 000 euros avec sursis, à la remise en état des lieux dans leur état antérieur en procédant à la démolition de l’extension supplémentaire malgré le refus de permis de construire et ce, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle le jugement sera définitif le tout, passé ce délai, et à défaut d’exécution, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. En cause d’appel, le prévenu soulève pour la première fois l’illégalité de l’arrêté de refus de permis de construire ainsi qu’une exception de nullité tirée de la violation de sa propriété par les gendarmes, toutes deux étant rejetées par la 6e chambre des appels correctionnels dans l’arrêt rendu le 10 avril 2024.
Le premier apport de l’arrêt rendu par la 6e chambre des appels correctionnels réside sur le sort réservé à l’exception d’illégalité soulevée pour la première fois en cause d’appel. Sans grande surprise, car la solution est tout de même connue de longue date, ou devrait‑elle l’être à tout le moins, les magistrats composant la 6e chambre des appels correctionnels ont considéré que l’exception d’illégalité présentée par le prévenu pour la première fois en cause d’appel devait être déclarée irrecevable. Cette solution ne surprendra guère et doit être pleinement approuvée au regard d’une jurisprudence bien établie qui considère que, si l’article 111‑5 modifie les pouvoirs du juge répressif quant au champ du contrôle de la légalité et quant à la portée de ce contrôle, ce texte n’a, en revanche, introduit aucun changement quant aux modalités procédurales qui doivent être utilisées pour permettre au juge d’y procéder. L’on ne le répètera donc jamais assez : l’exception préjudicielle tirée d’une prétendue illégalité d’un acte administratif doit impérativement être présentée avant toute défense au fond, d’une part, et ne saurait être présentée pour la première fois en cause d’appel, d’autre part4.
Le second apport de l’arrêt commenté réside dans la délimitation de l’office du juge. Si la chambre criminelle de la Cour de cassation considère de longue date qu’il appartient au juge de relever d’office, sans avoir à le soumettre à la discussion des parties, tout moyen qui est de nature à priver la poursuite de son fondement légal5, elle admet dans le même temps le juge pénal n’a pas à relever d’office l’illégalité d’un acte administratif dès lors que la solution du procès pénal n’en dépend pas. Tel a été le cas pour l’application des dispositions législatives relatives au permis à points, la chambre criminelle de la Cour de cassation ayant considéré que l’examen de légalité des dispositions règlementaires était sans incidence sur les poursuites exercées du chef des infractions énoncées à l’article L. 11‑1 ancien (devenus art. L. 223‑1 et s.) du code de la route6. Là encore, les magistrats de la 6e chambre des appels correctionnels font une exacte application de la règle jurisprudentielle édictée par la chambre criminelle de la Cour de cassation en retenant, après avoir déclaré que l’exception préjudicielle d’illégalité était irrecevable, que l’illégalité de l’arrêté de refus de permis de construire n’étant pas de nature à enlever aux faits constatés leur caractère délictueux, dès lors que selon l’article L. 421‑1 du Code de l’urbanisme, les constructions, même ne comportant pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d’un permis de construire, et qu’il était incontesté en l’espèce que les travaux d’extension de la maison avait été entrepris sans dépôt préalable de demande de permis de construire, de sorte qu’il n’y avait pas lieu, par application de l’article 111‑5 du Code pénal, à soulever d’office l’illégalité de l’arrêté de refus de permis de construire.