Le recouvrement anticipé des provisions a été introduit par la loi no 2000‑1208 du 13 décembre 2000 Solidarité et renouvellement urbains, dite « Loi SRU », au sein de la loi no 65‑557 du 10 juillet 1965 fixant le statut la copropriété des immeubles bâtis. Une procédure dérogatoire de recouvrement de charges a ainsi été insérée à l’article 19‑2 de la loi du 10 juillet 1965 qui permet de réclamer par anticipation les sommes non encore exigibles telles que les provisions comprises ou non dans le budget prévisionnel, les cotisations issues du fonds de travaux ainsi que les sommes appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes. Les charges échues ne constituant pas des provisions, le syndic ne pouvait donc utiliser la procédure de l’article 19‑2 pour procéder à leur recouvrement1. Il faudra attendre la loi no 2018‑1021 du 23 novembre 2018, dite « Loi ELAN » pour que la procédure de l’article 19‑2 soit étendue aux travaux non compris dans le budget prévisionnel ainsi qu’aux sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes. Ce dispositif repose sur un mécanisme simple a priori : à défaut du versement à sa date d’exigibilité d’une provision due au titre de l’article 14‑1 de la loi du 10 juillet 1965, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14‑1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles. Le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, après avoir constaté, selon le cas, l’approbation par l’assemblée générale des copropriétaires du budget prévisionnel, des travaux ou des comptes annuels, ainsi que la défaillance du copropriétaire, condamne ce dernier au paiement des provisions ou sommes exigibles2. On l’aura compris : la mise en demeure joue un rôle central dans la mise en œuvre — et l’issue ! — de ce dispositif, comme en témoigne l’avis rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 12 décembre 20243 ; avis dont la deuxième chambre civile de la cour d’appel de Grenoble fait une stricte application dans un arrêt rendu le 25 février 2025.
1. Avis de la Cour de la cassation
Il doit être rappelé que la procédure prévue à l’article 19‑2 de la loi du 10 juillet 1965 permet le recours à la procédure accélérée au fond qui offre au requérant, le syndicat des copropriétaires en l’espèce, de bénéficier d’une décision rapide sans avoir à justifier de conditions particulières préalables, notamment l’urgence ou l’absence de contestation sérieuse. Toutefois, le recouvrement anticipé des provisions suppose une mise en demeure préalable demeurée infructueuse passé un délai de trente jours, de sorte que la question du formalisme que doit respecter le syndic pour que le copropriétaire débiteur soit pleinement informé des conséquences qu’il encourt s’il ne paye pas dans les délais indiqués s’est rapidement posée en pratique. Il est vrai que les textes sont peu prolixes sur ce point : aucune mention particulière n’est expressément prévue de sorte que cela a contraint les juges à se substituer au législateur. Ainsi, la cour d’appel d’Aix‑en‑Provence a considéré que l’interpellation du débiteur a été estimée insuffisante lorsque la mise en demeure « ne comporte aucun visa de l’article 19‑2, qui instaure pourtant une procédure dérogatoire de recouvrement de charges emportant des conditions et des conséquences spécifiques » et n’informe pas le destinataire « ni du délai qu’impose cet article 19‑2, ni de la sanction encourue d’exigibilité immédiate des provisions non encore échues du budget prévisionnel4 ». Plus récemment, c’est le tribunal judiciaire de Marseille qui s’est interrogé sur le fait de savoir si la mise en demeure visée par l’article 19‑2 de la loi du 10 juillet 1965 doit distinguer les provisions dues au titre de l’article 14‑1 de la même loi, des charges échues impayées des exercices antérieurs ? Cette question a donné lieu à un avis de la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 12 décembre 2024. Statuant dans le sens des réquisitions de l’avocat général, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que les mises en demeure comportant un montant global d’impayés et y agrégeant des sommes non encore exigibles à ce stade dénaturent la finalité et l’esprit de cette procédure spéciale. En conséquence, la Haute juridiction a indiqué que, pour être régulière, la mise en demeure doit indiquer avec précision la nature et le montant des provisions réclamées au titre du budget prévisionnel de l’exercice en cours ou des dépenses pour travaux non comprises dans ce budget, à peine d’irrecevabilité de la demande. Cette sanction procédurale permet au demandeur de procéder à une nouvelle saisine dans l’hypothèse où la première n’aurait pas été correctement formulée. Si certains auteurs ont considéré que cet avis devait inciter le législateur à règlementer un minimum les modalités de mise en œuvre de la procédure accélérée au fond afin de limiter l’aléa judiciaire5, dans l’immédiat, il ne pouvait qu’être conseillé aux syndics de détailler le plus précisément possible les sommes appelées auprès du copropriétaire au titre de l’article 19‑2 en distinguant les sommes au regard de leur nature, la présentation d’un montant global entraînant irrémédiablement l’irrecevabilité de l’action ! Quid en revanche du sort procédural des mises en demeure comportant un montant global d’impayés réalisées antérieurement à l’avis de la Cour de cassation ?
2. Application de l’avis de la Cour de cassation à une instance en cours par la cour d’appel
Les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté sont simples. Suite au décès du propriétaire d’un appartement, le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, représenté par son syndic en exercice, a fait assigner devant le président d’un tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, les héritiers aux fins de paiement de l’arriéré des charges de copropriété. Par jugement du 21 mars 2024, le président du tribunal judiciaire a débouté le syndicat des copropriétaires de l’immeuble de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux dépens avec application de l’article 10‑1 de la loi du 10 juillet 1965, lequel a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions. Dans ses conclusions, le syndicat des copropriétaires sollicitait la condamnation des héritiers au paiement d’une certaine somme. En réponse à la fin de non-recevoir soulevée d’office par la cour sur le fondement de l’article 125 du Code de procédure civile, ce dernier répondait qu’à supposer que l’avis de la Cour de cassation soit immédiatement applicable aux procédures en cours, la cour d’appel était saisie de la plénitude de juridiction et lui demandait donc qu’elle statue selon le droit commun de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 sur le seul arriéré de charges, considérant que ce changement de motifs n’est pas un moyen nouveau en cause d’appel puisqu’il tend à la même fin. Les héritiers répliquaient en réponse à la fin de non‑recevoir soulevée par la cour, que la demande du syndicat était irrecevable puisque la mise en demeure ne remplissait pas les conditions rappelées dans l’avis de la Cour de cassation du 12 décembre 2024 et que cet avis était bien applicable à toutes les procédures en cours. Ils estimaient que le syndicat ne pouvait solliciter de condamnation sur le fondement du droit commun puisque la procédure intentée en la forme accélérée est irrecevable et que par ailleurs, les sommes ne sont pas détaillées ni dans l’assignation ni dans les conclusions. Dans son arrêt en date du 25 février 2025, la deuxième chambre civile de la cour d’appel rappelle tout d’abord la solution énoncée par la Cour de cassation, à savoir que la mise en demeure visée à l’article 19‑2 de la loi du 10 juillet 1965 doit indiquer avec précision la nature et le montant des provisions réclamées au titre du budget prévisionnel de l’exercice en cours ou des dépenses pour travaux non compris dans ce budget, à peine d’irrecevabilité de la demande, ce qui exclut la présentation d’un montant global dans la mise en demeure. Répondant ensuite à la critique du syndicat des copropriétaires, elle indique que l’avis du 12 décembre 2024 rendu par la Cour de cassation étant interprétatif de la loi, et non créateur de droit, il est nécessairement applicable aux instances en cours. Énonçant enfin les trois conditions cumulatives imposées par l’article 19‑2 de la loi du 10 juillet 19656, elle constate que les mises en demeure adressées aux héritiers visaient le montant global du solde débiteur du compte de charges, ce qui imposait aux copropriétaires de payer une somme qui ne correspondait plus à une provision. De fait, les mises en demeure n’étaient pas conformes à l’article 19‑2, de sorte que les demandes du syndicat des copropriétaires devaient être déclarées irrecevables. Dans son arrêt du 25 février 2025, la deuxième chambre civile de la cour d’appel fait donc une application immédiate de la solution exposée par la Cour de cassation dans son avis du 12 décembre 2024.
Parce qu’elle formule, pour reprendre son expression, des « règles jurisprudentielles7 », la fonction normative de la Cour de cassation ne fait plus guère débat aujourd’hui8. Si l’interrogation classique du rôle créateur de la jurisprudence n’a pas disparu9, elle s’est néanmoins profondément renouvelée10. Il est un fait observable et observé : la Cour de cassation sécrète des normes particulières dont le statut ne peut être simplement calqué sur celui de la norme interprétée, qu’il s’agisse d’une loi ou d’un règlement. Si la fonction normative de la Cour de cassation est liée à sa fonction juridictionnelle, puisque la première s’exprime principalement à l’occasion de la seconde, elle se manifeste aussi à l’occasion de sa fonction consultative11. Si la doctrine s’est longtemps interrogée sur la nature des avis rendus par la Cour de cassation, en se livrant à diverses comparaisons dont aucune ne s’est véritablement révélée satisfaisante, elle est en revanche unanime sur sa force normative12. Il est en effet classiquement admis que l’avis rendu par la Cour de cassation a une portée quelque peu paradoxale dans la mesure où son autorité jurisprudentielle est considérable, mais comme il ne doit pas constituer un arrêt de règlement, prohibé par l’article 5 du Code civil, sa portée juridique est nulle au regard de l’autorité de la chose jugée13. Si l’avis ne lie ainsi, ni le juge qui l’a demandé, ni même la Cour de cassation qui l’a rendu et qui sera amenée éventuellement à se prononcer au contentieux, de la même façon qu’elle n’est pas liée par les arrêts qu’elle a précédemment rendus, force est de constater qu’il est quasi systématiquement suivi en pratique, ce qui pose alors la question de son application dans le temps. Tel était le cas dans l’espèce rapporté puisque la mise en demeure du syndicat des copropriétaires avait été délivrée antérieurement à l’avis de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Dès lors, la question de savoir si la solution exposée dans l’avis pouvait être appliquée immédiatement à l’instance en cours était légitimement posée aux magistrats de la deuxième chambre civile de la cour d’appel. Dans l’arrêt rapporté, l’application immédiate de l’avis rendu le 12 décembre 2024 à un acte accompli deux ans auparavant est motivée par le fait que l’avis rendu par la Cour de cassation est « interprétatif de la loi, et non créateur de droit ». La motivation montre que le raisonnement des juges d’appel s’inscrit pleinement dans la solution de la Cour de cassation qui a souvent eu l’occasion de rappeler, au moyen d’une formule désormais consacrée selon laquelle « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit14 », que contrairement à la norme législative, la règle jurisprudentielle est rétroactive par principe. Toutefois, elle a aussi affirmé que, lorsque les conséquences de la rétroactivité sont excessives, le juge doit moduler son application dans le temps15. Tel est le cas pour les arrêts au sein desquels un revirement de jurisprudence est opéré, mais aussi lorsqu’une jurisprudence simplement nouvelle16 surprend fortement. Dans ce cas, sa modulation peut être envisagée au moyen d’un différé général17 ou d’une modulation concrète18. En l’espèce, le conseil du syndicat des copropriétaires doutait que l’avis rendu le 12 décembre 2024 par la Cour de cassation puisse faire l’objet d’une application immédiate à l’instance en cours. Or, parce que cet avis n’établit aucun droit nouveau, ni n’impose aucune charge nouvelle aux parties dans le procès, il semble effectivement « interprétatif », comme les magistrats de la deuxième chambre civile de la cour d’appel le soulignent. Il sera toutefois observé que la Cour de cassation, en retenant que pour être régulière, la mise en demeure doit indiquer avec précision la nature et le montant des provisions réclamées au titre du budget prévisionnel de l’exercice en cours ou des dépenses pour travaux non comprises dans ce budget, « à peine d’irrecevabilité de la demande », n’a pas seulement interprétée la loi, elle a également institué une sanction procédurale ! Outre le fait que la nature de la sanction retenue pose question et participe à brouiller davantage la frontière séparant la nullité de l’irrecevabilité19, sa création montre que l’avis de la Cour de cassation n’est pas seulement « interprétatif », comme l’affirme la deuxième chambre civile de la cour d’appel. Est‑il pour autant « créateur de droit » ? En prévoyant que la mise en demeure irrégulière puisse être sanctionnée par une irrecevabilité, la Cour de cassation offre la possibilité à la partie défenderesse de se prévaloir de cette irrecevabilité en présence d’une mise en demeure irrégulière pour mettre fin au litige sans que la demande formulée par le demandeur à l’action soit examinée au fond. Certes. Néanmoins, l’irrecevabilité n’est pas instaurée pour offrir « un droit » au défenseur, mais bien pour sanctionner l’auteur d’un acte irrégulier. Par ailleurs, l’irrecevabilité laissant au plaideur la possibilité de procéder à une nouvelle saisine dans l’hypothèse où la première n’aurait pas été correctement formulée, cette sanction n’obère donc nullement le droit fondamental reconnu à tout justiciable de pouvoir accéder à un tribunal indépendant et impartial, tel que garantit par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dès lors que le plaideur est encore dans les délais pour agir. Tel était visiblement le cas dans l’espèce rapporté, de sorte de la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la cour d’appel doit être pleinement approuvée.