L’article 371‑5 du Code civil pose le principe de vie commune de la fratrie. Son application implique que les frères et sœurs ne doivent pas être séparés, dans la limite du possible, sauf si leur intérêt le commande. Écartant l’application de ce principe, la cour d’appel de Grenoble rend, le 11 juin 2024, une décision qui prévoit deux modes de résidence séparés pour deux frères1.
Faits de l’espèce. En l’espèce, la fratrie est composée d’une sœur majeure et de deux frères de 17 ans et 12 ans au jour de la décision. Les différentes décisions des juges aux affaires familiales (JAF) concernant cette fratrie ont fixé la résidence des deux frères chez le père, mais le cadet vit depuis un an et demi chez sa mère et est scolarisé près du domicile de celle‑ci.
Procédure. Par une ordonnance de non‑conciliation du 13 décembre 2018, le JAF a fixé la résidence des deux enfants mineurs chez le père. La mère a interjeté appel de cette décision, appel qui a été constaté caduc2. À la suite de l’assignation en divorce de la mère par le père, le JAF a attribué la résidence habituelle des enfants au père en 2022. La mère a interjeté appel de cette décision. Par ordonnance juridictionnelle du 6 avril 2023, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Grenoble, saisi par la mère, a fixé la résidence du cadet chez la mère. Dans chacune de ces décisions, les droits de visite et d’hébergement accordés étaient classiques3 pour le parent qui n’avait pas la résidence habituelle.
Demandes. La mère demande la fixation de la résidence des deux enfants chez elle. Le père sollicite la confirmation de l’ordonnance juridictionnelle, soit la fixation de la résidence du cadet chez la mère et du benjamin chez lui.
Par cet arrêt, la cour d’appel de Grenoble fixe la résidence du cadet chez la mère avec un droit de visite et d’hébergement classique pour le père et confirme le jugement du JAF en ce qui concerne la résidence et le droit de visite et d’hébergement du benjamin. Cette décision repose notamment sur une confrontation pragmatique des articles 371‑5 du Code civil et 373‑2‑11 du même Code qui s’intéresse à la prise en considération par le JAF de la pratique antérieure des parents. Elle conduit à une séparation mesurée de la fratrie (1) qui se justifie par un réalisme de la cour face à la pratique des parents (2).
1. La séparation mesurée de la fratrie
Fondement. L’article 371‑5 du Code civil dispose que : « L’enfant ne doit pas être séparé de ses frères et sœurs, sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution. » Le principe de vie commune de la fratrie revêt la force contraignante d’une présomption simple qui peut être renversée par la preuve de l’intérêt de l’enfant de séparer la fratrie4. Par exception, la jurisprudence admet donc la séparation de la fratrie5.
Espèce. En l’espèce, le principe d’unité de la fratrie est soulevé par la mère. Les parents s’accordent pour que la résidence du cadet soit fixée chez la mère et cette dernière invoque le principe d’unité de la fratrie afin de voir la résidence du benjamin fixée chez elle, lieu où réside le cadet et où les frères seraient également davantage en lien avec leur aînée.
Référence à l’intérêt de l’enfant. Deux critères de séparation de la fratrie ressortent de la lettre de l’article 371‑5 du Code civil : l’impossibilité de réunir la fratrie et l’intérêt de l’enfant6. Dans le cas présenté à la cour, aucune difficulté particulière ne permettait de caractériser une impossibilité de réunir la fratrie. La décision de séparation de la fratrie se fonde par conséquent sur l’intérêt de chacun des enfants. En ce qui concerne le cadet, son intérêt semble se situer dans le respect de sa demande, tandis que pour le benjamin, sont mis en balance ses modalités de vie chez son père et son intérêt à suivre son frère. La cour précise qu’« il ne peut être déduit du seul transfert de résidence de l’enfant […] l’intérêt de celui‑ci à suivre le même sort de son frère, ce d’autant que le changement pour [le cadet] s’est opéré à sa demande, les parents ayant respecté son choix ». Ainsi, la cour précise ici que le changement de résidence d’un enfant ne permet pas de présumer l’intérêt du reste de la fratrie à changer également de résidence, notamment lorsque ce changement résulte d’un déménagement volontaire. Elle rappelle donc à bon escient que le principe de l’article 371‑5 du Code civil est une présomption simple et qu’il existe des cas où l’intérêt de l’enfant n’est pas de fixer une même résidence pour toute une fratrie.
Tempérament à la séparation de la fratrie. Il doit être noté que conformément à la pratique des parents et à la demande du père, le droit de visite et d’hébergement des parents permettra à la fratrie de passer week‑ends et vacances ensemble. Cette précision importante permet à la décision d’être en conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation7.
Si, dans l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel permet une séparation de la fratrie par les résidences qu’elle fixe, la décision commentée se justifie par un réalisme de la cour confrontée à la pratique antérieure des parents.
2. Le réalisme de la cour face à la pratique des parents
Fondement. L’article 371‑5 du Code civil rencontre ici l’article 373‑2‑11 du même Code qui dispose que : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend notamment en considération : […] la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure. » Prendre en considération la pratique antérieure des parents et les accords que ceux‑ci ont conclus apparaît être un critère important de décision pour le juge. De plus, on notera que les jugements des juges aux affaires familiales sont rendus « à défaut de meilleur accord », ce qui signifie que les parents peuvent décider d’exercer leur autorité parentale librement s’ils parviennent à un accord.
Prise en considération de la pratique antérieure des parents. En l’espèce, le cadet avait déménagé chez sa mère depuis dix‑huit mois, alors que son frère continuait à vivre chez son père conformément à la résidence fixée par le dernier arrêt du JAF. Ainsi, sans qu’il y ait d’accord écrit, et au regard des demandes des parties en appel, une pratique avait pu s’installer entre eux, pratique qui va être reprise par la décision de la cour d’appel. En confrontant les différentes considérations qui lui sont imposées par les textes, dans ce cas les articles 371‑5 et 373‑2‑11 du même Code, la cour d’appel décide d’écarter l’application du principe du premier article pour le cadet pour appuyer sa décision sur la pratique des parents visée par le second article.
Juge aux affaires familiales et adolescents. L’exécution forcée du versant extra patrimonial des décisions des JAF est limitée. C’est notamment le cas en ce qui concerne la résidence et le droit de visite et d’hébergement des adolescents pour lesquels il est en pratique difficile de prendre une décision contraire à leur volonté, et dont l’expression de volonté tend à être décisive8. Cependant, si les juges font fréquemment état de la volonté de l’enfant pour décider de la résidence de celui‑ci, ils en limitent la portée en rappelant que son avis n’est pas décisif9, et ce, quel que soit son âge. En matière de vie commune de la fratrie, la cour d’appel de Caen avait déjà pu retenir que la séparation de celle‑ci pouvait être justifiée par le refus des juges d’aller à l’encontre de la volonté clairement exprimée par les enfants10. En l’espèce, le cadet avait 17 ans lors de la décision de la cour d’appel de Grenoble et avait environ 15 ans et demi lorsqu’il a déménagé chez sa mère. La faible marge de manœuvre réelle laissée au juge dans sa décision concernant les modalités d’exercice de l’autorité parentale de cet adolescent justifie la non‑automaticité du transfert de la résidence de son frère benjamin et la considération distincte de ses intérêts. Cet arrêt permet ainsi d’illustrer la difficulté et la particularité qui peuvent exister en ce qui concerne les adolescents pour les JAF et les différents professionnels du droit accompagnant les familles avec des parents séparés.