Procédure à bref délai : il faut partir à point, courir et se méfier des pièges du RPVA !

DOI : 10.35562/bacage.978

Décision de justice

CA Grenoble, ch. Sociale, section A – N° 23/02849 – 16 janvier 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23/02849

Date de la décision : 16 janvier 2024

Résumé

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, même en l’absence d’avis du greffe concernant la nature à bref délai de l’appel d’un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond, les parties ne peuvent ignorer l’instauration de plein droit d’une telle procédure. De ce fait, l’intimé ne peut valablement invoquer l’octroi d’un délai de trois mois pour conclure en se référant à la fiche évènements du RPVA mentionnant le message « Article 909‑dpt c intimé 3 mois 2017 ». Dès lors les conclusions notifiées au‑delà du délai d’un mois à compter de la notification des conclusions d’appelant sont irrecevables.

Plan

La procédure d’appel à bref délai a bénéficié d’une simplification introduite par le décret du 29 décembre 2023, et qui est entré en vigueur le 1er septembre 2024. La pratique et la doctrine auront tout le plaisir de constater (ou non) l’efficacité de cette simplification dans les mois à venir ; mais en attendant intéressons‑nous à une décision rendue antérieurement à l’entrée en vigueur de ce décret.

En l’espèce, la section A de la chambre sociale de la cour d’appel de Grenoble avait à se prononcer sur l’irrecevabilité des conclusions d’intimé pour non‑respect du délai d’un mois dont il dispose pour conclure à compter de la notification des conclusions d’appelant en vertu de l’article 905‑2 ancien du Code de procédure civile. La situation est classique, même courante, la sanction l’est tout autant : les conclusions d’intimé encourent l’irrecevabilité. La décision d’irrecevabilité rendue par la section A de la chambre sociale n’est donc pas surprenante. Toutefois, ce qui l’est davantage tient dans le fait que, pour sa défense, la partie concernée invoquait la « fiche RPVA » (réseau privé virtuel des avocats1) faisant état du message suivant « Article 909‑dpt c intimé 3 mois 2017 ». L’intimé arguait donc avoir bénéficié en réalité d’un délai de 3 mois pour conclure en vertu de l’article 779 du Code de procédure civile. Or, non seulement l’article 779 ne s’applique pas aux premières conclusions, mais encore la fameuse fiche RPVA invoquée par l’intimé n’a pas convaincu pas le juge de sa bonne foi. D’ailleurs quelle importance que l’intimité soit de bonne foi ? En procédure civile, il est difficile d’obtenir les bonnes grâces du juge ; sed lex dura lex !

1. Sur l’omniscience de l’intimé

L’avis de fixation à bref délai communiqué tardivement par le greffe aux parties n’est salvateur que pour l’appelant puisqu’il constitue le point de départ de son délai d’un mois pour conclure2. Il en va différemment pour l’intimé ; à point de départ différent, solution différente. La cour rappelle une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’intimé doit conclure dans un délai d’un mois à compter de la notification des conclusions d’appelant et ce même en l’absence d’avis de fixation à bref délai3. L’intimé doit alors redoubler de vigilance4.

La solution peut sembler sévère mais après tout, nul n’est censé ignorer la loi. Or, le Code de procédure civile prévoit que l’appel formé contre un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond sera instruit de plein droit selon la procédure à bref délai5. En l’espèce, l’appel porte sur un jugement rendu selon la procédure accélérée au fond, dès lors, l’intimé est présumé connaitre la nature de la procédure en cours devant la cour d’appel de Grenoble. La cour ne pouvait que prononcer l’irrecevabilité des conclusions d’intimé.

Au surplus, le fondement invoqué est éludé par la cour qui affirme l’inapplicabilité de l’article 779 aux premières conclusions. L’esprit du texte est à l’origine de cette assertion ; l’absence de mise en état qui caractérise la procédure à bref délai a conduit le législateur à ne transférer que certaines compétences du conseiller de la mise en état au président ou au magistrat spécialement désigné par le premier président6. C’est pourquoi les pouvoirs du président se limitent à l’organisation d’un ultime échange.

2. Sur la valeur de la fiche évènements e‑barreau

Outre le constat d’un fondement inopérant, la cour d’appel s’évertue à expliquer à l’intimé qu’il n’apporte pas la preuve de l’octroi d’un délai supplémentaire pour conclure. La preuve litigieuse, appelée « fiche RPVA » par l’intimé, correspond à l’onglet évènements de l’interface e‑barreau qui permet la création d’évènements par l’avocat, la consultation d’évènements émanant de la juridiction et la visualisation des audiences7.

E-barreau, bien plus qu’un outil ! C’est ainsi que l’application est présentée par le CNB dans son guide pratique. Messagerie sécurisée, agenda, espace de stockage, les fonctionnalités de l’interface sont variées. Toutefois, ni la quantité ni la qualité des fonctions disponibles ne renforcent la valeur probante d’une pièce. La fiche RPVA comportant un évènement libellé « Article 909‑dpt c intimé 3 mois 2017 » ne constitue ni une décision octroyant un délai plus long, ni la preuve autonome d’une telle décision.

D’ailleurs, la Cour de cassation a approuvé le raisonnement d’une cour d’appel fondant sa décision sur des éléments de preuves corroborés par un évènement e‑barreau8. Cette décision laisse à penser que la force probante de la fiche est conditionnée à la concordance d’éléments probants. La preuve parfaite de l’octroi d’un délai ne peut résulter que la production d’une ordonnance du président. Néanmoins, ce n’est que sous l’empire du droit nouveau que le président peut augmenter les délais pour conclure9. L’article 905‑2 ancien, applicable à la cause, permettait seulement au président de chambre d’écourter d’office les délais impartis pour conclure et non de les augmenter.

3. Et la cause étrangère ?

En matière de communication électronique, la tentation est grande d’en appeler à la cause étrangère ; mais l’invoquer en justifiant le retard de plus d’un mois dans la notification des conclusions aurait été de mauvais goût en l’espèce. Bien que la définition des contours de cette notion soit rendue complexe du fait d’un contrôle de la Cour de cassation sur la qualification d’un dysfonctionnement technique et purement factuel10, l’article 930–1 vise une impossibilité de transmission de l’acte, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Pourtant dans cet ordre d’idée, une partie a tenté d’invoquer un cas de force majeure11 devant la cour d’appel de Bordeaux12. Un évènement RPVA indiquait l’envoi de conclusions d’intimé, ce dernier n’a alors pas transmis ses conclusions dans les délais en passant l’avoir déjà fait. La juridiction bordelaise n’a pas admis la méprise de l’intimé sur la seule production de l’onglet e–barreau l’ayant induit en erreur.

E‑barreau, bien plus qu’un outil ? N’en soyons pas si certains… La leçon sera comme souvent celle de la prudence. Ceinture et bretelles, nous ne pourrons que recommander de toujours vérifier la véracité des éléments e‑barreau et de consigner l’avancée d’une procédure dans un fichier, logiciel ou agenda propre à l’avocat.

Notes

1 Le RPVA est un réseau informatique sécurisé à destination des avocats (intranet) qui héberge notamment e‑barreau, la messagerie sécurisée permettant la communication des avocats entre eux et avec les juridictions. Retour au texte

2 S. Amrani Mekki, « Appel — Les délais de procédure à bref délai ne courent pas avant l’avis de fixation », Procédures n8‑9, août‑sept. 2024, comm. 196. Retour au texte

3 Cass. civ. 2e, 22 oct. 2020, pourvoi n18‑25.769. Retour au texte

4 R. Laffly, « Délai de l’intimé pour conclure en procédure à bref délai », Procédures n1, janv. 2021, comm. 5. Retour au texte

5 Art. 905 anc. CPC. Retour au texte

6 R. Laffly, « Cour d’appel : procédure – Procédure avec représentation obligatoire », Répertoire de procédure civile, nov. 2020 (mise à jour juil. 2024), nos 159 et 160. Retour au texte

7 Conseil National des Barreaux, « Guide pratique : mon nouvel e‑barreau », 4 avr. 2023, p. 16 Retour au texte

8 Cass. civ. 2e, 27 juin 2013, n12‑19.945. Retour au texte

9 Art. 906‑2 CPC. Retour au texte

10 E. De Leiris, « Communication électronique – Cadre juridique de la communication électronique », Répertoire de procédure civile, nov. 2021 (mise à jour : juil. 2024), n72. Retour au texte

11 Ibid. n75 sur la distinction entre la cause étrangère et la force majeure Retour au texte

12 CA Bordeaux, 1re chambre civile, 5 juil. 2023, n22/04604. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Naomi Vigouroux, « Procédure à bref délai : il faut partir à point, courir et se méfier des pièges du RPVA !  », BACAGe [En ligne], 03 | 2024, mis en ligne le 09 décembre 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=978

Auteur

Naomi Vigouroux

Doctorante contractuelle, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
naomi.vigouroux@univ-grenoble-alpes.fr

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