Compétence du président de chambre pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel : c’est oui ou bien c’est non ?

DOI : 10.35562/bacage.987

Décision de justice

CA Grenoble, ch. Sociale, section A – N° 23/03305 – 16 janvier 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 23/03305

Date de la décision : 16 janvier 2024

Résumé

En vertu de l’article 905‑2 ancien du Code de procédure civile, l’irrecevabilité de l’appel tirée de sa tardiveté ne peut être prononcée par le président de chambre dans une procédure à bref délai. Cette interprétation du texte a pris fin le 1er septembre 2024 du fait de l’entrée en vigueur du décret de simplification du 29 décembre 2023. Toutefois, l’arrêt rendu le 16 janvier 2024 conserve un intérêt en ce qu’il estime que l’extension de la compétence du président nuit à la célérité et l’efficacité de la procédure à bref délai. Or, le nouvel article 906‑3 étend les pouvoirs du président.

Plan

On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ! C’est la leçon qu’il faut tirer de l’arrêt soumis à commentaire relatif à l’étendue des pouvoirs du président de chambre dans le cadre d’une procédure d’appel à bref délai.

L’affaire concerne une employée reconnue travailleuse handicapée de Pôle emploi qui, à la suite d’un accident du travail, se voit proposer une mesure d’aménagement individuelle par le médecin du travail. Le plan d’aménagement est contesté par Pôle emploi devant le conseil de prud’hommes de Vienne dans le cadre d’une procédure accélérée au fond. Un jugement avant dire droit est rendu le 19 juillet 2023 condamnant Pôle emploi à verser la somme provisionnelle de 2 000 euros à son employée au titre de son préjudice moral. Deux jugements, datés du 19 juillet et du 6 septembre 2023, opèrent une rectification du premier jugement en supprimant la qualification « avant dire droit » et le caractère provisionnel de la condamnation. Pôle emploi forme alors un appel contre l’ensemble de ces décisions le 14 septembre 2023. Par des conclusions d’incident adressée au président de la chambre sociale, l’employée, en sa qualité d’intimée, soutient l’irrecevabilité de l’appel du fait de sa tardiveté. L’appelant lui oppose l’incompétence du président pour juger des demandes relatives à l’irrecevabilité de l’appel. La question est alors assez simple : le président de chambre est‑il compétent pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel tirée de sa tardiveté ?

La réponse élaborée par la cour d’appel grenobloise suscite intérêt et curiosité. Substantiellement, la réponse est non ! Non, le président de chambre n’est pas compétent pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel tirée de sa tardiveté. La cour se place ainsi dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de cassation1 selon laquelle l’article 905‑2 limite les compétences du président à la sanction du non‑respect des délais de dépôt de conclusions et de remise des actes par voie électronique. Elle y ajoute cependant sa touche personnelle : la limitation des pouvoirs du président se justifie par la volonté de ne pas « compromettre le principe de célérité et [de ne pas] nuire à l’efficacité du traitement de la procédure ».

1. Sur l’incompétence du président pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel

La décision de la cour découle d’un constat : le président n’est pas un conseiller de la mise en état bis. Ce constat, elle le tire de l’article 905‑2 ancien du Code procédure civile qui définit « limitativement » les pouvoirs du président de chambre. L’interprétation est nécessaire car le texte comporte une ambiguïté. En effet, les pouvoirs du président ne sont pas énoncés sous forme de liste mais se déduisent2 de l’article 905‑2 ancien qui dispose, in fine, que :

Les ordonnances du président ou du magistrat désigné par le premier président de la chambre saisie statuant sur la fin de non‑recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel, sur la caducité de celui‑ci ou sur l’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application du présent article et de l’article 930-1 ont autorité de la chose jugée au principal.

Il est aisé de comprendre la tentation qu’il y a d’en conclure que le président est compétent pour rendre une ordonnance prononçant l’irrecevabilité de l’appel quelle qu’en soit la cause.

Mais malgré l’ambivalence du texte, la jurisprudence de la Cour de cassation semble logique au regard de la nécessité — ou du moins de la volonté — d’avancer rapidement dans une procédure à bref délai. Une telle procédure débute alors par une sorte de mise en état « allégée » dans laquelle le président ne contrôle que le respect de la communication électronique et des délais pour conclure. La compétence, en l’espèce, revenait donc à la cour d’appel et non au président, à l’instar du partage de compétences qui existe entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel en procédure ordinaire3.

D’autres juridictions ont volontiers reconnu l’ambiguïté du texte4, et ce postérieurement à la clarification opérée par la Cour de cassation. C’est donc fort heureusement que cette ambiguïté intrinsèque et persistante a été supprimée par un décret du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure civile – entré en vigueur le 1er septembre 2024 – remplaçant l’article 905‑2 ancien par l’article 906‑3. La restructuration de cet article laisse désormais à penser que le président est compétent pour toutes les causes d’irrecevabilité de l’appel. En tout cas l’interprétation est permise5 dans la mesure où le 1o de l’article mentionne simplement l’irrecevabilité de l’appel ou des interventions en appel, tandis que le 3o évoque l’irrecevabilité pour des causes précises à savoir l’application des articles 906‑2 et 930‑1 du Code de procédure civile. Cette interprétation a été confirmée par la circulaire du 2 juillet 2024 ; il est précisé que le président « pourra ainsi examiner la recevabilité de l’appel ou des interventions en appel au regard des moyens traditionnels tenant, par exemple, à l’expiration du délai d’appel ou au défaut d’intérêt ou de qualité à agir (CPC, art. 122)6 ».

2. Sur la justification fragile de cette incompétence

Clap de fin pour l’interprétation limitative des pouvoirs du président rappelée par l’arrêt commenté. Pourtant cette décision n’est pas dépourvue d’intérêt. L’évocation des impératifs de célérité et d’efficacité de la procédure n’est pas sans rappeler l’article 6 § 1 de la Convention EDH. Les motifs de la décision étudiée se comprennent amplement dans un contexte où les préoccupations se portent sur la restauration d’une justice civile malade. Aussi, la jurisprudence de la Cour EDH exigeant le traitement des litiges relatifs au droit du travail avec une certaine célérité7 apporte un éclairage supplémentaire sur ces motifs.

Toutefois la motivation de la cour est fragile car réversible. Si la cour estime que la multiplication des incidents et l’extension des compétences du président de chambre auraient des effets négatifs sur la bonne administration de la justice, c’est la solution contraire qui a été choisie par la chancellerie. Sous l’empire du droit positif, la cour, saisie d’un incident tenant à son incompétence pour juger de l’irrecevabilité de l’appel, pourrait décliner sa compétence au motif que la nouvelle répartition des pouvoirs juridictionnels a pour but la célérité et l’efficacité de la procédure. D’ailleurs, la décision de la cour d’appel et le décret du 29 décembre 2023 recherchent la diminution des incidents de procédure8 ; des positions divergentes et pourtant une ambition commune.

La valse incessante des réformes dites de « simplification » commence à donner le tournis au monde judiciaire. Il faut dire que la règlementation de la procédure d’appel est une tâche ardue9 qui nécessite de trouver un équilibre entre le respect de délais raisonnables et la bonne administration de la justice tout en évitant le piège des réformes managériales10.

Quoi qu’il en soit, l’incident soulevé en l’espèce n’a pas eu la chance de prospérer sous l’empire des nouvelles règles de procédure à bref délai. C’est alors à son détriment que l’intimée est sortie de l’ambiguïté de l’article 905‑2 ancien du Code de procédure civile.

Notes

1 Cass. civ. 2e, 13 avr. 2023, n21‑12.852. Retour au texte

2 R. Laffly, « Cour d’appel : procédure – Procédure avec représentation obligatoire », Répertoire de procédure civile, novembre 2020 (mise à jour juil. 2024), n160. Retour au texte

3 H. Herman, « Procédure à bref délai et déféré : la cour d'appel statue dans le champ de compétence d'attribution du président de chambre », La Semaine Juridique Edition Générale, n19, 15 mai 2023, act. 562. Retour au texte

4 CA Lyon, 26 sept. 2023, n23/02594. Retour au texte

5 M. Barba et R. Laffly, « “Simplification” de la procédure d'appel en matière civile — Épisode 2 : la procédure à bref délai », Dalloz Actualité, 29 janv. 2024. Retour au texte

6 Circulaire de présentation du décret n2023‑1391 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile, CIV/03/24, 2 juil. 2024, p. 10. Retour au texte

7 M. Barba, « Il était une fois l’impérativité des règles de compétence territoriale en matière prud’homale », Dalloz Actualité, 22 oct. 2024. Retour au texte

8 Circulaire de présentation du décret n2023‑1391 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile, CIV/03/24, 2 juil. 2024, p. 2 Retour au texte

9 J. Pellerin, « Appel : introduction », Dalloz action Droit et pratique de la procédure civile, chapitre 641, 2024. Retour au texte

10 Voir sur ces questions C. Chainais, « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et droit du procès civil français : une influence limitée, sous l’ombre portée de la subsidiarité », Mél. en l’honneur de N. Fricero, LGDJ, 2024, p. 103 à 105, nos 6 à 9. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Naomi Vigouroux, « Compétence du président de chambre pour prononcer l’irrecevabilité de l’appel : c’est oui ou bien c’est non ?  », BACAGe [En ligne], 03 | 2024, mis en ligne le 09 décembre 2024, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=987

Auteur

Naomi Vigouroux

Doctorante contractuelle, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
naomi.vigouroux@univ-grenoble-alpes.fr

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