Le consentement constitue un élément essentiel de la procédure d’adoption. Cependant, une fois donné, sa rétractation n’est pas de droit. C’est ce qu’illustre un arrêt du 9 janvier 2024, dans une affaire d’adoption simple d’un enfant majeur du conjoint. En l’espèce, la chambre des affaires familiales de la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement d’adoption malgré l’avis contraire de l’adopté.
Faits de l’espèce. Le 29 juin 2022, un acte de consentement à adoption simple de l’enfant d’un conjoint a été dressé par un notaire ayant relevé le consentement de l’adopté et de l’adoptante. Une attestation de non‑rétractation à l’adoption est dressée le 30 août 2022. La conjointe du père de l’enfant a saisi le tribunal aux fins d’adoption simple de celui‑ci.
Procédure. Par jugement du 12 décembre 2022, le juge aux affaires familiales (JAF) a prononcé l’adoption simple. Le fils forme un appel contre le jugement d’adoption. Il est invité à présenter ses observations sur la recevabilité de l’appel au regard de l’intérêt à agir, « le jugement d’adoption déféré ayant été rendu après le consentement de l’adopté devant notaire ». L’adopté affirme que son consentement était altéré. Il produit plusieurs certificats médicaux faisant état de troubles digestifs durant la période couvrant le jour du consentement chez le notaire. Il déclare, en outre, « qu’il a subi l’adoption plus qu’admise et qu’il n’a pas pris la pleine mesure de ce que l’adoption allait occasionner dans sa vie ».
Plan. L’appel de l’adopté est déclaré irrecevable faute d’intérêt à agir. Cet arrêt illustre l’impossibilité procédurale de rétractation du consentement en appel (1) en se fondant sur l’absence sévère d’intérêt à agir (2).
1. L’impossibilité procédurale de rétracter son consentement
Principe. Le consentement de l’adopté est un élément essentiel de la procédure d’adoption. Exigé dès 13 ans1, il doit être libre, obtenu sans contrepartie et éclairé2. Ce consentement est donné devant un notaire français3. Le refus ne peut être écarté comme abusif. Si le troisième alinéa de l’article 349 du Code civil dispose que le consentement « peut être rétracté à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption », l’arrêt commenté témoigne qu’il est impossible de rétracter son consentement en cours de procédure lorsque le consentement a été recueilli dans les formes par un notaire et une attestation de non‑rétraction a été dressée par celui‑ci. La seule manière de revenir sur celui‑ci est la démonstration de l’altération de son discernement ou d’un vice du consentement. En l’espèce, le consentement de l’adopté a été constaté par notaire qui a informé les parties de tous les effets de l’adoption4. Cet arrêt témoigne d’une relation particulière liant le notaire et le juge. En effet, le notaire qui dresse le consentement à l’adoption est le garant du consentement de l’adopté5.
Protection de ce consentement. Si la réforme de 2022 réformant l’adoption6 s’est intéressée à la possibilité pour le juge de passer outre le consentement du majeur protégé et du mineur de plus de treize ans hors d’état de manifester sa volonté7, le législateur n’a pas statué sur le cas de ceux qui consentent à leur adoption. Les lacunes de ce texte s’expliquent probablement par la conception de l’adoption comme une institution de protection pour l’adopté qui n’aurait pas d’intérêt à rétracter son consentement. De même, cette réforme s’est intéressée à l’adoption par le conjoint du parent sans se questionner particulièrement sur le consentement de l’adopté majeur. Ainsi, alors que les parents de l’adopté disposent d’un délai de rétractation de deux mois8, aucun délai ne protège le consentement de l’adopté. En l’espèce, le notaire a dressé une attestation de non‑rétractation à l’adoption deux mois après l’acte de consentement. Il doit être noté qu’aucun texte n’impose cette exigence ou ce délai. Le positionnement de l’article 348-5 du Code civil, au milieu des dispositions relatives au consentement des parents9 et avant celles relatives à celui de l’adopté10, permet de retenir que ce délai de deux mois concerne seulement le consentement des parents de l’adopté. L’article 349 du Code civil, qui concerne le consentement de l’adopté, par sa formulation et son absence de renvoi à l’article 348‑5, semble retenir la rétractation à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption. Ainsi, si l’article 349 du Code civil offre une faculté de rétractation, sa mise en œuvre concrète interroge. N’étant pas partie à l’instance, l’adopté ne sera pas nécessairement informé de la procédure avant la décision. L’arrêt commenté met en exergue la nécessité de préciser cet article qui se révèle lacunaire.
Rigueur concernant l’altération du consentement. Ainsi, pour remettre en question son consentement, la personne qui cherche à revenir sur celui‑ci doit rapporter la preuve que son discernement a été altéré, et par conséquent son consentement à l’adoption. En l’espèce, la cour d’appel indique qu’« il ne justifie pas de troubles psychiques de nature à avoir altéré son discernement et son consentement à l’adoption ». En effet, l’adopté produit plusieurs certificats médicaux établis entre le 10 janvier et le 6 juillet 2022 faisant état de troubles digestifs, mais il ne justifie pas de troubles psychiques de nature à avoir altéré son discernement et son consentement à l’adoption.
Absence de vice du consentement. Afin de remettre en question son consentement, l’adopté peut également rapporter la preuve d’un vice du consentement. En l’espèce, il indique « qu’il a subi l’adoption plus qu’admise et qu’il n’a pas pris la pleine mesure de ce que l’adoption allait occasionner dans sa vie », mais cela ne permet pas de soulever un vice du consentement. L’absence de vice est garantie par le notaire qui a l’obligation d’informer l’adoptant et l’adopté de tous les effets de l’adoption. Or cet aspect n’est pas discuté dans cet arrêt.
Effets de l’adoption simple. Concernant les effets de cette adoption, il s’agit de la création d’une obligation alimentaire réciproque entre l’adoptant et l’adopté, l’acquisition de la qualité d’héritier, des droits de mutation à titre gratuit11. Cette adoption ne créera ici pas d’effets en matière d’autorité parentale, de transmission du nom et n’empêche pas l’établissement de la parenté biologique. Elle empêche cependant une prochaine adoption. Si la solution semble sévère, ses effets demeurent par conséquent limités.
2. L’absence surprenante d’intérêt à agir
Fondement. L’intérêt à interjeter appel, qui trouve son fondement dans l’article 546 du Code de procédure civile, réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance. Cependant, l’adopté est un tiers à la procédure d’adoption12. Or, en matière gracieuse, le second alinéa du même article précise que « la voie de l’appel est également ouverte aux tiers auxquels le jugement a été notifié ». Parmi ce tiers figure l’adopté. L’exigence d’un intérêt valant pour les décisions gracieuses13, il devra démontrer un intérêt à agir. Pour rappel, en matière gracieuse, la tierce opposition est fermée14, ce qui ne permet pas à l’adopté de former une demande à ce titre.
Originalité. Le commentaire de cet arrêt présente l’occasion de noter la place surprenante de l’adopté dans la procédure le concernant. « Il est davantage traité comme l’objet plus que comme le sujet de la procédure15. » Si dans le cadre de l’adoption plénière, la question de l’appel de l’adopté ne se pose guère, celui‑ci étant en principe mineur, elle retrouve toute sa pertinence en cas d’adoption simple d’un majeur. La rareté de ces cas d’adoption explique l’absence de décision de la Cour de cassation, celle‑ci ayant davantage pu se prononcer sur l’appel des adoptants ou des parents de l’adopté16.
Faculté de la cour d’appel. La cour d’appel dispose, sur le fondement de l’article 125, alinéa 2 du Code de procédure civile d’une simple faculté de relever d’office le défaut d’intérêt à agir17. En l’espèce, le choix de relever d’office ce défaut s’explique par l’échec nécessaire de la procédure pour l’adopté en raison de cette impossibilité de rétracter son consentement. Le choix de statuer sur cette impossibilité au stade de l’irrecevabilité plutôt qu’au fond demeure cependant surprenant.
Révocation. L’arrêt précise que l’adopté a encore la possibilité de demander rétractation pour motif grave en application de l’article 370 du Code civil18. Ceux‑ci, appréciés souverainement par les juges du fond, ont été retenus en présence de violence, d’absence totale de contact, d’indifférence marquant une altération du lien filial19, mais rejeté en cas de mésentente entre l’adopté et l’adoptant. À l’occasion d’une procédure de révocation, la Cour de cassation a rappelé que la validité du consentement à l’adoption est vérifiée au moment du jugement d’adoption et ne peut donc être remise en cause que par une voie de recours contre le jugement et non à l’occasion d’une révocation20. Cette sévérité s’est également exprimée pour la rétractation du consentement d’un parent à l’adoption de son enfant par son conjoint, partenaire ou concubin, le délai de deux mois expiré21.