En matière d’adoption, l’appel ne constitue pas une voie de rétractation du consentement

DOI : 10.35562/bacage.1125

Décision de justice

CA Grenoble, ch. des affaires familiales – N° 22/00256 – 09 janvier 2024

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : 22/00256

Date de la décision : 09 janvier 2024

Résumé

À la suite de l’acte de consentement dressé par notaire, l’appel ne peut constituer une voie de rétractation du consentement à l’adoption.

Plan

Le consentement constitue un élément essentiel de la procédure d’adoption. Cependant, une fois donné, sa rétractation n’est pas de droit. C’est ce qu’illustre un arrêt du 9 janvier 2024, dans une affaire d’adoption simple d’un enfant majeur du conjoint. En l’espèce, la chambre des affaires familiales de la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement d’adoption malgré l’avis contraire de l’adopté.

Faits de l’espèce. Le 29 juin 2022, un acte de consentement à adoption simple de l’enfant d’un conjoint a été dressé par un notaire ayant relevé le consentement de l’adopté et de l’adoptante. Une attestation de non‑rétractation à l’adoption est dressée le 30 août 2022. La conjointe du père de l’enfant a saisi le tribunal aux fins d’adoption simple de celui‑ci.

Procédure. Par jugement du 12 décembre 2022, le juge aux affaires familiales (JAF) a prononcé l’adoption simple. Le fils forme un appel contre le jugement d’adoption. Il est invité à présenter ses observations sur la recevabilité de l’appel au regard de l’intérêt à agir, « le jugement d’adoption déféré ayant été rendu après le consentement de l’adopté devant notaire ». L’adopté affirme que son consentement était altéré. Il produit plusieurs certificats médicaux faisant état de troubles digestifs durant la période couvrant le jour du consentement chez le notaire. Il déclare, en outre, « qu’il a subi l’adoption plus qu’admise et qu’il n’a pas pris la pleine mesure de ce que l’adoption allait occasionner dans sa vie ».

Plan. L’appel de l’adopté est déclaré irrecevable faute d’intérêt à agir. Cet arrêt illustre l’impossibilité procédurale de rétractation du consentement en appel (1) en se fondant sur l’absence sévère d’intérêt à agir (2).

1. L’impossibilité procédurale de rétracter son consentement

Principe. Le consentement de l’adopté est un élément essentiel de la procédure d’adoption. Exigé dès 13 ans1, il doit être libre, obtenu sans contrepartie et éclairé2. Ce consentement est donné devant un notaire français3. Le refus ne peut être écarté comme abusif. Si le troisième alinéa de l’article 349 du Code civil dispose que le consentement « peut être rétracté à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption », l’arrêt commenté témoigne qu’il est impossible de rétracter son consentement en cours de procédure lorsque le consentement a été recueilli dans les formes par un notaire et une attestation de non‑rétraction a été dressée par celui‑ci. La seule manière de revenir sur celui‑ci est la démonstration de l’altération de son discernement ou d’un vice du consentement. En l’espèce, le consentement de l’adopté a été constaté par notaire qui a informé les parties de tous les effets de l’adoption4. Cet arrêt témoigne d’une relation particulière liant le notaire et le juge. En effet, le notaire qui dresse le consentement à l’adoption est le garant du consentement de l’adopté5.

Protection de ce consentement. Si la réforme de 2022 réformant l’adoption6 s’est intéressée à la possibilité pour le juge de passer outre le consentement du majeur protégé et du mineur de plus de treize ans hors d’état de manifester sa volonté7, le législateur n’a pas statué sur le cas de ceux qui consentent à leur adoption. Les lacunes de ce texte s’expliquent probablement par la conception de l’adoption comme une institution de protection pour l’adopté qui n’aurait pas d’intérêt à rétracter son consentement. De même, cette réforme s’est intéressée à l’adoption par le conjoint du parent sans se questionner particulièrement sur le consentement de l’adopté majeur. Ainsi, alors que les parents de l’adopté disposent d’un délai de rétractation de deux mois8, aucun délai ne protège le consentement de l’adopté. En l’espèce, le notaire a dressé une attestation de non‑rétractation à l’adoption deux mois après l’acte de consentement. Il doit être noté qu’aucun texte n’impose cette exigence ou ce délai. Le positionnement de l’article 348-5 du Code civil, au milieu des dispositions relatives au consentement des parents9 et avant celles relatives à celui de l’adopté10, permet de retenir que ce délai de deux mois concerne seulement le consentement des parents de l’adopté. L’article 349 du Code civil, qui concerne le consentement de l’adopté, par sa formulation et son absence de renvoi à l’article 348‑5, semble retenir la rétractation à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption. Ainsi, si l’article 349 du Code civil offre une faculté de rétractation, sa mise en œuvre concrète interroge. N’étant pas partie à l’instance, l’adopté ne sera pas nécessairement informé de la procédure avant la décision. L’arrêt commenté met en exergue la nécessité de préciser cet article qui se révèle lacunaire.

Rigueur concernant l’altération du consentement. Ainsi, pour remettre en question son consentement, la personne qui cherche à revenir sur celui‑ci doit rapporter la preuve que son discernement a été altéré, et par conséquent son consentement à l’adoption. En l’espèce, la cour d’appel indique qu’« il ne justifie pas de troubles psychiques de nature à avoir altéré son discernement et son consentement à l’adoption ». En effet, l’adopté produit plusieurs certificats médicaux établis entre le 10 janvier et le 6 juillet 2022 faisant état de troubles digestifs, mais il ne justifie pas de troubles psychiques de nature à avoir altéré son discernement et son consentement à l’adoption.

Absence de vice du consentement. Afin de remettre en question son consentement, l’adopté peut également rapporter la preuve d’un vice du consentement. En l’espèce, il indique « qu’il a subi l’adoption plus qu’admise et qu’il n’a pas pris la pleine mesure de ce que l’adoption allait occasionner dans sa vie  », mais cela ne permet pas de soulever un vice du consentement. L’absence de vice est garantie par le notaire qui a l’obligation d’informer l’adoptant et l’adopté de tous les effets de l’adoption. Or cet aspect n’est pas discuté dans cet arrêt.

Effets de l’adoption simple. Concernant les effets de cette adoption, il s’agit de la création d’une obligation alimentaire réciproque entre l’adoptant et l’adopté, l’acquisition de la qualité d’héritier, des droits de mutation à titre gratuit11. Cette adoption ne créera ici pas d’effets en matière d’autorité parentale, de transmission du nom et n’empêche pas l’établissement de la parenté biologique. Elle empêche cependant une prochaine adoption. Si la solution semble sévère, ses effets demeurent par conséquent limités.

2. L’absence surprenante d’intérêt à agir

Fondement. L’intérêt à interjeter appel, qui trouve son fondement dans l’article 546 du Code de procédure civile, réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance. Cependant, l’adopté est un tiers à la procédure d’adoption12. Or, en matière gracieuse, le second alinéa du même article précise que « la voie de l’appel est également ouverte aux tiers auxquels le jugement a été notifié ». Parmi ce tiers figure l’adopté. L’exigence d’un intérêt valant pour les décisions gracieuses13, il devra démontrer un intérêt à agir. Pour rappel, en matière gracieuse, la tierce opposition est fermée14, ce qui ne permet pas à l’adopté de former une demande à ce titre.

Originalité. Le commentaire de cet arrêt présente l’occasion de noter la place surprenante de l’adopté dans la procédure le concernant. « Il est davantage traité comme l’objet plus que comme le sujet de la procédure15. » Si dans le cadre de l’adoption plénière, la question de l’appel de l’adopté ne se pose guère, celui‑ci étant en principe mineur, elle retrouve toute sa pertinence en cas d’adoption simple d’un majeur. La rareté de ces cas d’adoption explique l’absence de décision de la Cour de cassation, celle‑ci ayant davantage pu se prononcer sur l’appel des adoptants ou des parents de l’adopté16.

Faculté de la cour d’appel. La cour d’appel dispose, sur le fondement de l’article 125, alinéa 2 du Code de procédure civile d’une simple faculté de relever d’office le défaut d’intérêt à agir17. En l’espèce, le choix de relever d’office ce défaut s’explique par l’échec nécessaire de la procédure pour l’adopté en raison de cette impossibilité de rétracter son consentement. Le choix de statuer sur cette impossibilité au stade de l’irrecevabilité plutôt qu’au fond demeure cependant surprenant.

Révocation. L’arrêt précise que l’adopté a encore la possibilité de demander rétractation pour motif grave en application de l’article 370 du Code civil18. Ceux‑ci, appréciés souverainement par les juges du fond, ont été retenus en présence de violence, d’absence totale de contact, d’indifférence marquant une altération du lien filial19, mais rejeté en cas de mésentente entre l’adopté et l’adoptant. À l’occasion d’une procédure de révocation, la Cour de cassation a rappelé que la validité du consentement à l’adoption est vérifiée au moment du jugement d’adoption et ne peut donc être remise en cause que par une voie de recours contre le jugement et non à l’occasion d’une révocation20. Cette sévérité s’est également exprimée pour la rétractation du consentement d’un parent à l’adoption de son enfant par son conjoint, partenaire ou concubin, le délai de deux mois expiré21.

Notes

1 C. civ. art. 349. Retour au texte

2 C. civ. art. 348‑3 al. 1. Retour au texte

3 C. civ. art. 348‑3 al. 2. Retour au texte

4 Cet aspect ressort de l’acte signé par l’adopté le 29 juin 2022. Retour au texte

5 Il s’agit du rôle classique du notaire que l’on retrouve également dans le cadre du divorce. Celui‑ci vérifie le consentement libre et éclairé des parties à l’acte et authentifie celui‑ci. Retour au texte

6 Ordonnance no 2022‑1292 du 5 octobre 2022 prise en application de l’article 18 de la loi no 2022‑219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption. Retour au texte

7 C. civ. art. 350. Retour au texte

8 C. civ. art. 348‑5. Retour au texte

9 C. civ. art. 348 à 348‑7. Retour au texte

10 C. civ. art. 349 et 350. Retour au texte

11 Ils sont sujets à imprécisions. Voir les propositions de réforme formulées dans I. Théry et A.‑M. Leroyer, Filiation, origines, parentalité, le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Odile Jacob, 2014, p. 107 et suiv. ; H. Bosse‑Platière, M. Schulz, J.‑Cl. Civil Code, art. 343 à 370‑2, fasc. 24, Filiation adoptive. Adoption coparentale. - Adoption de l’enfant du conjoint, partenaire ou concubin, 2022. Retour au texte

12 H. Bosse‑Platière, M. Schulz, J.‑Cl. Civil Code, fasc. 40, Procédure d’adoption, 2022, § 42. Retour au texte

13 Cass. civ. 2e, 19 juin 1980 : Gaz. Pal. 1980, 758, note Viatte ; D. 1980, inf. rap. 462, obs. Julien et 1981, 531, note Massip in art. 546, Code de procédure civile, Dalloz. Retour au texte

14 Cass. civ. 1re, 24 fév. 1982, no 80‑16.396 : JurisData no 1982‑700529 ; Bull. civ. I, no 90 ; JCP 1982, IV, 167 ; Cass. civ. 2e, 5 janv. 1983 : JCP 1983, II, 20043, note Le Ninivin. Retour au texte

15 H. Bosse‑Platière, M. Schulz, J.‑Cl. Civil Code, fasc. 40, Procédure d’adoption, 2022, § 42. Retour au texte

16 CA Nîmes, 21 nov. 1983 : JurisData no 1983‑764350 ; CA Nancy, 20 oct. 1995 : JurisData no 1995‑051928 in H. Bosse‑Platière, M. Schulz, J.‑Cl. Civil Code, fasc. 40, Procédure d’adoption, 2022, § 43. Retour au texte

17 C. pr. civ., art. 546 ; Cass. civ. 2e, 6 juin 2019, no 18‑15.301 : Dalloz actualité 1er juill. 2019, obs. Deharo ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, 49, obs. Kebir. Retour au texte

18 Pour une illustration récente : Cass. civ. 1re, 2 mai 2024, no 22‑14.175, F‑D : AJ fam. 2024. 346, obs. P. Salvage‑Gerest : A.‑M. Leroyer, « Revoir la possibilité de révoquer l’adoption », RTD Civ. 2024 p. 632 : L’auteure note que ces difficultés invitent à une réflexion approfondie sur le statut de beau‑parent afin d’éviter des adoptions tendant simplement à rechercher une solution en raison de l’absence de ce statut. Retour au texte

19 Sur ces exemples, voir not. M. Schulz et C. Doublein et L. Néliaz, Droit et pratique de l’adoption, Berger Levrault, 2013, no 226 et 227 in A.‑M. Leroyer, « Revoir la possibilité de révoquer l’adoption », RTD Civ. 2024 p. 632. Retour au texte

20 Cass. civ. 1re, 13 mai 2020, no 19‑13.419, Bull. civ. p. 77 : M. Musson, « Révocation d’une adoption simple », Dr. fam., 2020, comm. 135 ; N. Peterka, « Adoption simple et insanité d’esprit de l’adoptant », JCP N, no 39, 2020, 1195. Retour au texte

21 Cass. civ. 1re, 11 mai 2023, no 21‑17.737 ; Dr. fam 2023, comm. 124, voir Égéa ; RJPF 2023‑7.8/22, J. Boisson ; Cass. civ. 1re, 12 juill. 2023, no 21‑23.242 ; A. Gouëzel, « L’irrévocabilité du consentement donné par le parent à l’adoption par son conjoint », Dr. fam., no 11, 1er nov. 2023. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Blandine Cretallaz, « En matière d’adoption, l’appel ne constitue pas une voie de rétractation du consentement », BACAGe [En ligne], 04 | 2025, mis en ligne le , consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=1125

Auteur

Blandine Cretallaz

Doctorante en droit privé et sciences criminelles, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France
blandine.cretallaz[at]univ-grenoble-alpes.fr

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