Les relations familiales ne sont malheureusement pas toujours pacifiques. De simples mésententes peuvent ainsi se transformer progressivement en de graves conflits. Lors des querelles, certains parents peuvent décider de rompre toute relation avec leurs ascendants, et par la même occasion, de supprimer tout contact entre leurs enfants et les grands-parents. Le Code civil prend en compte cette réalité sociale à travers les termes de l’article 371-4 qui dispose que : « L’enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit ». De ce fait, même en cas d’un conflit familial opposant les parents et les grands-parents, c’est à l’aune de l’intérêt de l’enfant que devra être analysée la demande d’un droit de visite et d’hébergement des grands-parents. C’est ce que rappelle utilement la Cour d’appel de Grenoble dans la décision commentée.
En l’espèce, un conflit familial opposait la grand-mère et la mère d’un enfant mineur. Cette dernière décida de rompre toute relation avec sa mère, mais aussi d’interrompre les relations entre la grand-mère et son petit-fils. Face à cet état de fait, la grand-mère fit assigner sa fille devant le juge aux affaires familiales afin que soit fixé un droit de visite et d’hébergement en sa qualité de grand-mère sur son petit-fils.
Le juge aux affaires familiales ordonna une mesure de médiation familiale et fit droit à la demande de la grand-mère. Ainsi, il fut décidé un droit de visite médiatisée un samedi après-midi par mois pendant six mois et, à l’issue, un droit de visite médiatisée et d’hébergement un mercredi par mois et quatre week-ends dans l’année.
Appel de ce jugement fut interjeté par la mère. Elle soutenait à cet effet que si elle ne s’opposait pas à une visite médiatisée, la fixation d’un droit de visite au profit de la grand-mère à son domicile était contraire à l’intérêt de l’enfant. En effet, la grand-mère n’ayant jamais été proche de ses petits-enfants, elle avait eu une attitude de dénigrement auprès de l’enfant mineur causant des problèmes de santé à ce dernier.
La Cour d’appel de Grenoble confirma le jugement sur le fondement de l’article 371-4 du Code civil. Elle a relevé que les problèmes de santé de l’enfant mineur n’étaient pas imputables à la grand-mère, celle-ci ayant été très proche du mineur qu’elle gardait souvent. L’intérêt de l’enfant commandait donc de maintenir les relations avec sa grand-mère.
Cependant, quelques questions émergent : quel est l’intérêt de l’enfant ? Rompre toute relation avec sa grand-mère, ou maintenir les relations avec cette dernière ?
Ces interrogations peuvent surprendre tant la réponse paraît évidente au nom d’une présomption de proximité de liens entre grands-parents et petits-enfants qui laisse supposer que maintenir les relations avec les grands-parents est forcément de l’intérêt de l’enfant. Il ne faut pourtant pas s’y méprendre. Les relations de l’enfant avec ses grands-parents peuvent se révéler difficiles à la suite d’un conflit familial et les solutions varient d’une affaire à l’autre1 suivant l’intérêt de l’enfant.
Relevons que la décision de la Cour d’appel de Grenoble ne surprend guère. Elle constitue une illustration du droit reconnu à l’enfant d’entretenir des relations avec ses grands-parents et s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres arrêts de cours d’appel rendus dans le même sens.
Une préservation de l’intérêt de l’enfant déterminée par la qualité de sa relation avec ses grands-parents
Il ressort de la loi du 5 mars 20072 que seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de son droit de maintenir des relations avec ses grands-parents. Il fallait donc, en l’espèce, rechercher quel était l’intérêt de l’enfant.
Pour les juges de la cour d’appel, l’intérêt de l’enfant commandait de fixer un droit de visite au domicile de la grand-mère, car la mère n’établissait pas in concreto que les relations de l’enfant avec sa grand-mère étaient contraires à son intérêt. Au soutien de sa demande, la mère faisait pourtant valoir que la mésentente avait conduit la grand-mère à des attitudes ayant créé un trouble anxieux chez l’enfant. Il est alors clair que la mésentente rejaillissait sur l’enfant. À ce titre, la décision pouvait paraître de prime abord incompréhensible. Cependant, la cour d’appel balaie du revers de la main cet argument en estimant que les problèmes de santé de l’enfant ne sont pas imputables à la grand-mère. Toutefois, il est intéressant de noter que pour les juges, la perturbation de l’enfant pourrait être en lien avec le conflit. La question de savoir pourquoi un conflit ayant des conséquences sur l’enfant ne prive alors pas la grand-mère de son droit de visite et d’hébergement peut se poser. En réalité, l’exclusivité accordée à l’intérêt de l’enfant implique, pour les juges, d’analyser la situation à l’aune de la relation entre l’enfant et ses grands-parents. Lorsque le débat est recentré sur cette seule relation, on comprend par là qu’il est de l’intérêt de l’enfant de continuer à voir sa grand-mère. En effet, la réalité est que la grand-mère a été longtemps proche de son petit-fils et prenait à cœur son rôle de grand-mère avant que ne s’élève le conflit familial. Malgré le conflit elle avait manifesté une réelle volonté de maintenir sa relation avec son petit-fils en tentant des démarches amiables. Il existait donc un attachement certain. Pour l’épanouissement de l’enfant, il lui fallait donc renouer véritablement avec la grand-mère qui était dans une démarche bienveillante. Cela aurait pour effet d’apaiser le conflit familial ce qui pouvait avoir pour conséquence d’éviter une perturbation chez l’enfant.
Il est clair qu’un conflit familial entre parents et grands-parents peut avoir des répercussions sur l’enfant. Toutefois, il est à retenir que même en présence d’un conflit familial aigu, seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à son droit d’entretenir des relations avec ses ascendants autres que ses père et mère3. Et, en l’espèce, l’intérêt de l’enfant n’était pas menacé par le maintien de sa relation avec sa grand-mère. Au contraire, il était de son intérêt de continuer à voir celle-ci, car elle était aussi une figure familiale utile.
Si la préservation de l’intérêt de l’enfant s’est faite à l’aune de la relation grands-parents et petits-enfants, elle a aussi pris en compte le contexte familial.
Une préservation de l’intérêt de l’enfant déterminée par la qualité des relations entre parents et grands-parents
Dans le cas présent, les juges ont rappelé que le droit de visite médiatisé s’était déroulé sans incident4. Ils ont démontré par là que pour statuer selon l’intérêt de l’enfant, ils n’oublient heureusement pas le contexte familial, bien au contraire. Le conflit familial avait fait naître des attitudes de dénigrement de la grand-mère à l’encontre de sa fille. Compte tenu de l’actualité du conflit, les juges ont opté à juste titre pour une visite médiatisée. Le refus de confier l’enfant à la grand-mère l’ayant rendu hostile, il convenait donc de ne pas lui accorder un droit de visite directement à son domicile. Dès lors, le bon sens imposait que l’intérêt de l’enfant soit à l’abri de ce tourbillon passionnel envenimant le conflit. Par ailleurs, il convient de rappeler que depuis 2016, cet enfant qui était certes proche de sa grand-mère n’avait plus eu de contact avec elle. Il était donc judicieux de proposer une telle forme de visite, un contact progressif s’avérant aller dans son intérêt. Cette visite médiatisée s’étant achevée avec une note positive, il était donc important d’élargir les relations entre la grand-mère et son petit-fils.
Comme il peut être constaté, le conflit familial n’a pas été totalement nié pour fixer ce droit de visite et d’hébergement. À cet effet, il reste rassurant de savoir que l’intérêt de l’enfant est aussi analysé corrélativement aux rapports entre parents et grands-parents. Même si cela n’était aucunement discuté en l’espèce, il convenait de marquer aussi un arrêt sur ce point pour mieux comprendre la décision de la cour d’appel.
La Cour de cassation opérant un contrôle de motivation, il semble peu probable que cet arrêt encourt la cassation, les juges de la cour d’appel ayant motivé leur décision de manière claire. En outre, il est à relever en la matière que depuis la réforme de 2007, la Cour de cassation se montre de plus en plus favorable au maintien des relations entre enfants et grands-parents.