La protection de l’intérêt de l’enfant héritier par l’administrateur ad hoc

DOI : 10.35562/bacage.535

Décision de justice

CA Grenoble, Ch. des mineurs – N° RG 21/04108 – 18 février 2022

Juridiction : CA Grenoble

Numéro de la décision : RG 21/04108

Date de la décision : 18 février 2022

Résumé

Un enfant héritier de sa mère et de sa famille maternelle peut entraîner une opposition d’intérêts entre le père et l’enfant. La Cour d’appel de Grenoble rappelle en ce sens que l’intérêt de l’enfant doit primer et justifier la nomination d’un administrateur ad hoc.

À la suite du décès de sa mère en 2018, un jeune mineur arrive en métropole afin de vivre avec son père. En 2019, il est finalement placé chez son oncle et sa tante en qualité de tiers digne de confiance. Face à l’inactivité du père dans le règlement de la succession de la mère du mineur, une demande de nomination d’un administrateur ad hoc est déposée par courrier auprès du juge des tutelles. Par la suite, trois ordonnances sont rendues entre le 9 mars et le 12 novembre 2020 pour liquider la succession et vendre un bien immobilier en Guadeloupe. De surcroît, pendant les années 2020 et 2021, la grand-mère, le grand-père ainsi que la grand-tante maternels décèdent en laissant le mineur comme héritier. Le juge des tutelles est alors informé par le notaire de l’inactivité du père dans ces différentes successions. Suite à quoi, les 6 et 17 septembre 2021 l’association Remaid France victimes et l’association Chrysallis sont désignées administratrices ad hoc par deux ordonnances rendues par le juge des tutelles. Le père du mineur conteste cette désignation d’administrateur ad hoc devant la Cour d’appel de Grenoble.

La nomination de l’association Chrysallis est déclarée caduque au profit de l’association Remaid, par ordonnance du ministère public le 2 février 2022. En première instance, la société Remaid a été autorisée à accepter les différentes successions et à vendre un bien immobilier situé à Anneyron.

La Cour d’appel de Grenoble rappelle alors le principe de l’administration légale, en se fondant sur les articles 382 et 383 du Code civil, comme prérogative de l’autorité parentale sauf à ce que les intérêts du mineur soient en opposition avec l’administrateur légal. Dans ce cas, un administrateur ad hoc doit être désigné dans « la stricte considération de l’intérêt de l’enfant ». L’intérêt du mineur, dans cette affaire, supposait que le père gère la succession dans les délais impartis. Cela n’ayant pas été respecté par le père, la désignation d’un administrateur ad hoc était donc nécessaire.

La cour d’appel est confrontée à une question d’appréciation d’un conflit d’intérêts entre un enfant et son père, afin de confirmer l’ordonnance de nomination d’un administrateur ad hoc.

L’arrêt se réfère à l’article 382 du Code civil, rappelant ainsi qu’en principe l’administration légale des biens de l’enfant appartient au titulaire de l’autorité parentale. Cet article est immédiatement mis en parallèle avec l’article 383 du Code civil. En présence d’un conflit d’intérêts entre l’enfant et ses parents, les juges apprécient souverainement la nécessité de nommer un administrateur ad hoc1.

Dans ce litige, l’enfant mineur est héritier de plusieurs successions issues de sa branche maternelle. Les liens avec son père, administrateur légal des biens de l’enfant, sont distendus et ce dernier est inactif dans le règlement des différentes successions ouvertes. La Cour de cassation a déjà pu autoriser des tiers à la procédure à déposer une demande de nomination d’administrateur ad hoc2. Cela a permis aux tiers dignes de confiance, pourtant tiers à la procédure, de demander la désignation de l’administrateur ad hoc dans cette affaire. Les conseillers de la cour d’appel ont dû, de prime abord, constater l’existence d’un conflit d’intérêts, en mettant en balance les intérêts du mineur et du père.

Cette balance permet à la cour de conclure que « le conflit d’intérêts était caractérisé ». En ce sens, la Cour constate que l’intérêt de l’enfant n’était pas respecté en raison de la nature complexe des relations du père avec la branche maternelle. Ainsi ces relations sont « de nature à placer l’enfant au cœur des tensions entre adultes […] ce qui est contraire à son intérêt ». La cour précise ainsi que placer une gestion financière successorale dans une relation entre un père et son fils n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant. En présence, de ce conflit d’intérêts, la solution ne pouvait être que celle de la désignation d’un administrateur ad hoc pour assurer le règlement de la succession. En effet, la décision de la cour d’appel reste conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. Une relation tendue entre une mère et ses enfants héritiers de leur père, avec placement des enfants chez leur belle-mère, caractérise une opposition d’intérêts et la désignation d’un administrateur ad hoc3. Il en va de même pour une mère contestant la désignation d’un administrateur ad hoc dans la succession paternelle dont l’enfant était héritier, avec un comportement perturbant le bon règlement de la succession, créant ainsi un conflit d’intérêts4.

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble permet de mettre en avant l’intérêt de l’enfant en cas de relation difficile entre deux branches familiales. Il est aisé de déceler un conflit d’intérêts entre deux parents, mais plus délicat d’imaginer que ce conflit peut perdurer après un décès. Néanmoins, dans cette affaire, la complexité des liens a perduré après la mort de la mère, au cours des différentes successions ouvertes. Pourtant, la cour d’appel permet au père d’être en lien avec l’administrateur ad hoc dans le cadre de la succession, en sa qualité de titulaire de l’autorité parentale. Ce lien assure le respect de l’intérêt du père, sans l’éloigner complètement de la relation familiale complexe avec la branche maternelle. Il est seulement éloigné de la succession ; il ne peut plus y prendre part, mais il pourra continuer à communiquer avec l’administrateur ad hoc. Cette solution assure donc un équilibre entre les intérêts du père et ceux de l’enfant.

Notes

1 Cass, Civ. 1ère, 5 janvier 1999, n° 96-19.759, Dr. Fam. n° 58, note Fossier Retour au texte

2 Cass, Civ. 1re, 9 juin 2010, n° 10.641, AJ Fam., 2010, 393, note Durand Retour au texte

3 Cass, Civ. 1re, 20 mars 2019, n° 18-10.933, Dr. Fam. 2019, n° 7-8, p. 43 obs. Maria Retour au texte

4 Cass, Civ. 1re, 16 décembre 2020, 19-19.370 Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Mélanie Poncet, « La protection de l’intérêt de l’enfant héritier par l’administrateur ad hoc », BACAGe [En ligne], 01 | 2023, mis en ligne le 03 octobre 2023, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/bacage/index.php?id=535

Auteur

Mélanie Poncet

ATER, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, 38000 Grenoble, France

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