BACALy

Cession de fonds de commerce : encadrement de l’information due à la caution personne physique

Caroline Lardaud-Clerc


1À l’heure des débats nés de la publication de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés présenté par l'Association Capitant, toute question portant sur l’annulation d’un cautionnement pour dol revêt une importance singulière.

2Dans l’espèce commentée, une société propriétaire de deux fonds de commerce de boucherie-charcuterie-traiteur céda l’un d’eux à une société acquéreur, par acte authentique en date des 29 et 30 décembre 2008. Aucun financement n’ayant été obtenu par l’acquéreur, une partie du prix de vente de 145 000 euros devait être réglé par échéances mensuelles successives. Prévoyante, la venderesse fît inscrire un privilège du vendeur et un nantissement sur le fonds de commerce ; elle s’assura en outre de l’engagement de cautions de deux personnes physiques liées à l’acquéreur.

3Une procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte au bénéfice de l’acquéreur le 26 novembre 2010, la venderesse déclara sa créance à la procédure collective pour un montant de 89 576,98 euros. Au cours des opérations de liquidation judiciaire, la venderesse initiale devint cessionnaire du fonds de commerce litigieux par l’effet d’une reprise moyennant un prix de cession de 32 000 euros. Par ailleurs, un certificat d’irrecouvrabilité de sa créance déclarée au passif de la liquidation judiciaire lui ayant été remis, la venderesse-repreneur fît délivrer, en vain, une mise en demeure de payer la somme de 94 550,70 euros aux cautions personnes physiques.

4C’est dans ces conditions que les cautions ont assigné la société venderesse-repreneur en nullité du cautionnement pour dol et que, déboutées en première instance, elles ont interjeté appel par devant la cour d’appel de Lyon. Ainsi la juridiction lyonnaise était saisie de la question de savoir si la non réalisation du chiffre d’affaires espéré grâce aux bilans comptables passés, prouvait un dol émanant du vendeur.

5Dans son arrêt en date du 14 juin 2018, la juridiction rhodanienne déboute les cautions de leur demande, donnant ainsi sa juste mesure à l’invocation du dol en matière de cautionnement. Elle considère, de manière simple mais efficace, que la prise de connaissance des documents comptables revenait aux cautions, qui ne pouvaient donc pas invoquer un quelconque dol de la part de la venderesse en l’absence de preuve de falsification de la comptabilité transmise.

6Étendue de l’information due à la caution. Les cautions invoquaient un défaut d’information, considérant que la comptabilité produite présentant ensemble les comptes des deux fonds de commerce, ne leur avait pas permis d’apprécier exactement la rentabilité du fonds acquis, qui avait finalement fait l’objet d’une liquidation judiciaire. L’argument est rejeté par la cour d’appel de Lyon qui considère que les cautions avaient été parfaitement informées grâce à la transmission des documents comptables de la société cédante. Un tel encadrement est le bienvenu, car il permet d’éviter trois écueils.

7Tout d’abord, dans un contexte législatif d’expansion de l’obligation d’information (par ex., art. 1112-1 C. civ. ; art. 1137 C. civ. ; art. L.111-1 C. conso. ; art. L.313-22 C. mon. et fin.), la solution d’appel évince le risque de transformation de l’obligation d’information de l’article L.141-1 du Code de commerce en une obligation de renseignement – voire de conseil ou de mise en garde générale qui serait contraire à la distinction établie la Cour de cassation entre le sort de la caution profane et celui de la caution avertie. La lecture des faits de l’arrêt laissant supposer que les cautions ne pouvaient soutenir être non averties (en ce sens, Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24694), la cour d’appel ne pouvait imposer à la venderesse de leur fournir une analyse de la comptabilité produite.

8Ensuite, la solution de la cour s’inscrit, peu ou prou, dans l’idée qui avait conduit la Cour de cassation dans son arrêt Baldus (Cass. civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-11381), consacré par l’article 1112-1, alinéa 2 du Code civil, à considérer que l’information sur la valeur réelle de la chose vendue n’a pas à être fournie par l’acquéreur. En l’espèce, la cour décide que le vendeur n’a pas, lui non plus, l’obligation d’offrir à l’acquéreur – ou à sa caution – d’analyse de rentabilité du fonds cédé.

9Enfin, la cour d’appel est marquée par la nette distinction qu’elle met en place entre les arguments qui auraient pu être invoqués sur le fondement de la dette du débiteur, et ceux qui ont été préférés par les cautions et qui leur étaient propres. S’éloignant d’un éventuel amalgame entre l’analyse de la solvabilité du débiteur principal et la rentabilité de l’exploitation du fonds de commerce, la cour d’appel considère que les cautions ont été parfaitement informées à la fois par l’insertion des éléments comptables litigieux dans l’acte authentique de cession, et par la paraphe qu’elles ont apposé sur les livres comptables transmis.

10Absence d’élément matériel du dol. Ayant évincé l’absence la réticence dolosive par le rejet des prétentions fondées sur l’information incomplète, la cour d’appel devait encore se prononcer sur les deux autres éléments matériels du dol : le mensonge et les manœuvres. Les cautions soutenaient, en effet, que l’état de cessation des paiements de la société propriétaire du fonds cédé était directement lié à des données comptables non sincères et/ou à une éventuelle captation de clientèle par la venderesse qui, détentrice par ailleurs de son second fonds de commerce de boucherie-charcuterie-traiteur, lui aurait fait concurrence.

11Se fondant sur les règles élémentaires du droit de la preuve, et constatant que les cautions n’apportaient aucun élément pour étayer leurs dires, la cour d’appel rappelle aux cautions, s’il est besoin, que la non-réalisation d’un chiffre d’affaires escompté n’implique pas nécessairement une manœuvre ou un mensonge comptable de la part du vendeur, ni une captation de clientèle. Cette chute du chiffre d’affaires, particulièrement dans le cadre d’un petit commerce de proximité, peut simplement résulter d’une mauvaise gestion du cessionnaire.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 14 juin 2018, n° 16/05280



Citer ce document


Caroline Lardaud-Clerc, «Cession de fonds de commerce : encadrement de l’information due à la caution personne physique», BACALy [En ligne], n°11, Publié le : 18/10/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=898.

Auteur


À propos de l'auteur Caroline Lardaud-Clerc

Docteur en droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3


BACALy