Décision attaquée : Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, du 16 décembre 2020 ; Chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, 13 janvier 2021.
La France a été marquée ces dernières années par de nombreux actes terroristes. Le soir du 14 juillet 2016, à Nice, un camion a tué quatre-vingt-six personnes et blessé plusieurs centaines d’autres venues assister au feu d’artifice. Il s’est par la suite immobilisé avant qu’un échange de coups de feu entre les forces de l’ordre et le conducteur ne débute. Ce dernier a alors été mortellement touché. Lors de l’attentat de la gare Marseille-Saint-Charles du 1er octobre 2017 deux jeunes femmes ont été mortellement poignardées sur le parvis de la gare par un homme finalement tué par le tir d’un des militaires en patrouille. La Cour de cassation a rendu le 15 février 2022 trois arrêts publiés au Bulletin au sujet de ces actes, et plus particulièrement sur la possibilité de se constituer partie civile pour des personnes n’ayant pas directement été victimes des actes. Deux arrêts concernent l’attentat de Nice (no 21-80.264 et no 21-80.265), le dernier est au sujet de l’attentat de Marseille (no 21-80.670).
La partie civile se définit classiquement comme le « nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle exerce les droits qui lui sont reconnus en cette qualité devant les juridictions répressives. Cette qualité est réservée à ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction », conformément à l’article 2 du Code de procédure civile (Guinchard. S., Lexique des termes juridiques 2022-2023, Paris, Dalloz, 30e édition, 2022, p. 777).
Dans la première espèce, une personne se trouvant à proximité du lieu de l’attentat de Nice a entendu des bruits de choc ainsi que des hurlements. Comprenant ce qui était en train de se produire, il a entrepris de poursuivre le camion fonçant sur la foule afin d’en neutraliser le conducteur. Alors qu’il était à hauteur de la cabine, une fusillade opposant le conducteur aux forces de l’ordre a débuté. L’homme qui s’est ainsi interposé s’est constitué partie civile auprès du juge d’instruction. Dans la deuxième espèce, concernant le même attentat, une dame se trouvait à ce moment sur la promenade des Anglais. Elle a entendu les cris de la foule et les coups de feu et, comprenant qu’un attentat était en cours, a sauté sur la plage quatre mètres plus bas, se blessant à la tête. Elle s’est également constitué partie civile. Dans la troisième espèce concernant l’attentat de Marseille, une personne s’est constituée partie civile auprès du juge d’instruction. Elle avait tenté d’intervenir, alors que l’agresseur portait des coups sur la seconde victime, en le frappant avec un bâton de bois.
La cour d’appel de Paris avait déclaré l’ensemble de ces constitutions de partie civile irrecevables. Cette dernière considérait que, dans la première affaire, l’homme était à l’abri de la trajectoire du camion. Il a délibérément pris la décision de remonter sur la chaussée de la promenade et de courir derrière lui. Dans la deuxième affaire, la femme était également hors du champ des tirs. Dans la dernière espèce, la personne qui s’était interposée ne s’est pas trouvée directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessures recherché par le terroriste puisque celui-ci n’a eu aucun geste à son encontre lorsqu’elle est intervenue pour tenter de le maîtriser. Partant de ces constats, ces personnes n’ont pas été exposées directement et immédiatement au « risque de mort ou de blessure » recherché par le terroriste et ne pouvaient donc pas se constituer partie civile. Leurs préjudices relèvent du traumatisme vécu par les témoins des conséquences de l’infraction et non du préjudice d’une victime directe de la commission de l’infraction. Les personnes ainsi déboutées se sont pourvues en cassation.
La Cour de cassation casse et annule les trois arrêts de la cour d’appel de Paris au motif qu’il résulte des articles 2, 3 et 87 du code de procédure pénale que « pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d’instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent au juge d’admettre comme possibles l’existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ». Pour la Cour de cassation, la proximité avec le lieu des attentats suffit à caractériser la possibilité du préjudice allégué, même si cette proximité résulte du comportement personnel des individus. La notion d’« indissociabilité » entre l’action de la personne et l’acte terroriste est alors centrale.
Dans un communiqué de presse, la Cour de cassation est revenue sur la portée de ces décisions et a déclaré que « les spécificités des attentats terroristes conduisent […] à adopter une conception plus large de la notion de partie civile » (V. communiqué de presse de la Cour de cassation relatif aux arrêts du 15 février 2022). Cette décision se justifie en effet au regard de la définition pénale de l’acte de terrorisme comme l’acte « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (art. 421-1 du Code pénal). Dès lors, la Cour de cassation accepte la constitution de partie civile pour des personnes qui ont subi un dommage en cherchant à interrompre un attentat, ou encore ceux qui se croyant exposés et qui paniquant après avoir entendu des bruits évocateurs, se blessent en fuyant un lieu proche d’un attentat.
Cette solution ne peut être que saluée en ce qu’elle permettra à un plus grand nombre de personnes d’avoir une opportunité d’être reconnues victimes d’actes terroristes et cela pourra faciliter leur reconstruction sociale à la suite du traumatisme qu’elles peuvent avoir vécu. Pour autant, la portée de ces décisions doit être relativisée. En effet, au-delà du cadre des procès d’attentats, la Cour de cassation avait déjà pu juger, pour admettre la recevabilité d’une constitution de partie civile, qu’il faut « que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent à la juridiction d’instruction d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué, les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’une des infractions visées à la poursuite » (en ce sens : Cass. Crim., 12 mars 2019, no 18-80.911).