La possible indemnisation du préjudice personnel des proches d’une victime directe survivante d’acte terroriste par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions

DOI : 10.35562/ajdc.1888

Cour de cassation, Cass. 2e Civ. – N° 22-12.489 – 15 juin 2023

Décision attaquée : CA Paris, 4 novembre 2021

 : Cour de cassation

 : 22-12.489

 : 15 juin 2023

Abstract

La Cour de cassation confirme sa position, de jurisprudence constante, selon laquelle les proches d’une victime directe d’un acte terrorisme peuvent se voir indemniser, par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, de leur préjudice personnel même en cas de survie de la victime directe.

Le législateur a, dès 1986, dû réagir aux attentats qui touchaient le sol français. Il est notamment intervenu avec la loi nº 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme dans laquelle il prévoit l’indemnisation des victimes de terrorisme par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (le FGTI). Pour autant, la notion de victime indemnisable par ce fonds est parfois difficile à cerner, faute de définition précise, et nécessite l’intervention de la jurisprudence pour la préciser.

En l’espèce, une personne se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu’un terroriste s’y est introduit. Cette personne s’est réfugiée au sous-sol de l’établissement, dans l’une des chambres froides, jusqu’à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police. Après avoir reçu des provisions du FGTI, les proches de cette personne – son époux, ses enfants et ses parents – ont assigné le FGTI aux fins d’indemnisation de leurs préjudices personnels. La cour d’appel considérait que la qualité d’ayants droit des proches faisait défaut faute de décès de la victime directe.

La Cour de cassation est venue casser et annuler l’arrêt d’appel qui refusait l’indemnisation des proches de la victime directe en reprenant une solution de jurisprudence constante (Cass. 2e civ., 27 octobre 2022, nº 21-24.424 ; Cass. 2e civ., 27 octobre 2022, nº 21-24.425 ; Cass. 2e civ., 27 octobre 2022, nº 21-24.426). Elle considère en effet que n’est pas exclue, lorsque la victime directe d’un acte de terrorisme a survécu, l’indemnisation du préjudice personnel de ses proches, selon les règles du droit commun. La Cour de cassation fonde sa décision sur l’article L. 126-1 du Code des assurances selon lequel les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3 du même Code. Selon ces derniers articles, la réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne est assurée par l’intermédiaire du FGTI, qui est tenu dans le délai d’un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés. La Cour de cassation adopte dès lors une conception large de la notion de victimes d’actes terroristes et élargit considérablement le champ des personnes indemnisables par le fonds.

En d’autres termes, au vu des articles L. 126-1 du Code des assurances et des articles auxquels il renvoie, le FGTI est compétent pour indemniser, dans les conditions de droit commun, aussi bien la victime directe que ses ayants droit. La notion d’ayants droit est ici entendue largement au regard des travaux préparatoires de la loi de 1986. En effet, comme l’a jugé la Cour de cassation à l’occasion des arrêts du 27 octobre 2022,

« l’intention du législateur était de répondre, par l’application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d’indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d’actes terroristes, à la différence du régime d’indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d’une infraction, alors applicable, issu de la loi nº 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu’une indemnisation partielle ».

Or, depuis la modification de l’article 706-3 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation juge de manière constante que cet article n’exclut pas, lorsque la victime d’une infraction a survécu, l’indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun (Cass. 2e civ., 14 janvier 1998, nº 96-11.328 ; Cass. 2e civ., 14 janvier 1998, nº 96-16.255). La Cour de cassation considère alors qu’« interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l’indemnisation des proches d’une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d’attentats un sort plus défavorable qu’à ceux des victimes d’autres infractions ».

Le préjudice personnel dont les proches peuvent se prévaloir correspond au préjudice d’affection, mais surtout au préjudice d’attente et d’inquiétude qu’ils peuvent subir du fait de voir leur proche exposé à un attentat terroriste. Ce faisant, la survie de la victime directe n’est pas un obstacle à l’indemnisation de leur préjudice puisque c’est l’attente et l’inquiétude d’avoir des nouvelles de leur proche qui leur a causé le préjudice. La Cour de cassation avait à ce titre pu juger que le préjudice d’attente et d’inquiétude que subissent les victimes par ricochet « est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement » (Cass. mixte, 25 mars 2022, nº 20-17.072). On le voit donc pour la Cour de cassation, la survie ou non de la victime directe n’est nullement une condition d’ouverture du droit à réparation.

Cette solution, dégagée par plusieurs arrêts rendus le 27 octobre 2022 au sujet du même attentat et confirmée par cette espèce, n’est donc pas surprenante. Il apparait justifié que les proches puissent obtenir l’indemnisation de leurs préjudices, en tant que victimes par ricochets des actes terroristes.

References

Electronic reference

Émilie Vincent, « La possible indemnisation du préjudice personnel des proches d’une victime directe survivante d’acte terroriste par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions », Actualité juridique du dommage corporel [Online], 26 | 2024, Online since 31 mai 2024, connection on 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/ajdc/index.php?id=1888

Author

Émilie Vincent

Diplômée du master droit civil général, université Clermont Auvergne, F-63000

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