Lorsqu'une juridiction, à la suite de l'annulation d'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol, fait droit à des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de réexaminer cette demande, ces conclusions aux fins d'injonction du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale au sens de l'article L. 600‑2 du code de l'urbanisme. Dans un tel cas, l'autorité administrative compétente doit, sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que le pétitionnaire ne dépose pas une demande d'autorisation portant sur un nouveau projet, réexaminer la demande initiale sur le fondement des dispositions d'urbanisme applicables à la date de la décision annulée, en application de l'article L. 600‑2 du code de l'urbanisme. Ces dispositions demeurent applicables lorsque l'annulation est devenue définitive postérieurement à la décision prise sur injonction.
Cristallisation des règles d’urbanisme de l’article L. 600‑2 du code de l’urbanisme, confirmation de la demande et caractère définitif de l’annulation postérieurement à la décision prise sur injonction
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Décision de justice
CAA Marseille, 1re chambre – N° 20MA00837 – Commune de Mallemort – 22 novembre 2022
Informations complémentairesJuridiction : CAA Marseille
Numéro de la décision : 20MA00837
Numéro Légifrance : CETATEXT000046598330
Date de la décision : 22 novembre 2022
Index
Rubriques
UrbanismeTextes
Résumé
Conclusions du rapporteur public
DOI : 10.35562/amarsada.210
Le maire de Mallemort après avoir vu le tribunal administratif de Marseille annuler l’arrêté de refus de permis qu’il avait opposé le 22 octobre 2014 à Mme P. pour la réalisation d’une maison individuelle et procéder, sur injonction de cette juridiction, au réexamen de la demande, lui a opposé un nouveau refus le 5 septembre 2016. Mais Mme P. en a obtenu l’annulation en première instance et la commune a donc interjeté appel du jugement en cause devant notre cour.
Le tribunal a censuré les deux motifs qui ont fondé cette décision, à savoir, la violation du règlement de la zone R1 du plan de prévention des risques naturels d’inondation de la basse vallée de la Durance et l’existence d’un risque pour la sécurité publique au sens sur les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
Pour le premier, il s’est fondé sur le fait que l’arrêté du 12 avril 2016 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a approuvé le PPRi avait été annulé par jugement du 7 décembre 2018. Or, ce jugement a été lui-même annulé par notre cour, le 28 mai 2021, qui a donc ressuscité le PPRi qui était donc parfaitement opposable à la demande Mme P.. Les dispositions du PPRi à la zone orange R1 dans laquelle a été classé le terrain d’assiette ne permettent pas la réalisation de constructions nouvelles à usage d’habitation. Après l’annulation du premier refus de permis, le maire s’est trouvé enjoint par le tribunal au réexamen de la demande mais son jugement ayant été frappé d’appel et n’ayant pas acquis de caractère définitif à la date de la décision attaquée, il ne nous semble pas évident d’admettre que la demande de permis aurait été confirmée au sens de l’article L. 600‑2 du code de l'urbanisme en application de la jurisprudence préfet des Yvelines (Conseil d'État, 25 mai 2018, no 417350, A sur ce point) et dût être examinée sur le seul fondement des textes en vigueur à la date de la première décision de refus annulée sous l’effet de cette cristallisation voulue par le législateur. Nous pensons plutôt que le projet qui tend à l’implantation d’une construction nouvelle à usage d’habitation était interdit par le PPR alors opposable et que le maire, sans avoir eu à porter d’appréciation, se trouvait tenu de refuser le permis pour ce motif. Et si la commune ne conteste pas le jugement en tant qu’il a censuré l’absence de PPRI opposable, la question de la compétence liée demeure d’ordre public.
L’état actuel de la jurisprudence sur ce point est le suivant : Par la décision Mme G. du 22 octobre 2014 (no 364000 aux Tables), le Conseil d'État a jugé, dans le sillage de sa décision de Section Montaignac du 3 février 1999 (no 19722) que lorsque le juge déduit des motifs d'une décision administrative que l'administration se trouvait en situation de compétence liée et écarte l'ensemble des moyens dirigés contre cette décision comme inopérants, il ne relève pas d'office un moyen mais se borne à exercer son office en répondant aux moyens soulevés devant lui. Il n'est, par suite, pas tenu de communiquer, comme moyen d'ordre public, l’existence de cette situation de compétence liée, sur le fondement de l’article R. 611-7 du CJA. Mais cette décision ne tranche que le cas dans lequel l’existence d’une situation de compétence liée de l’autorité administrative se déduit des motifs mêmes de la décision administrative attaquée. Ce même raisonnement a inspiré la décision Mme Da Silva Soares du 27 juillet 2012 (no 316155) et le rapporteur public Edouard Crépey expliquait qu’il n’y avait pas de contradictoire à organiser, « dès lors qu’en l’espèce la situation de compétence liée reposait sur le motif même pour lequel avait été prise la décision de refus, où il était explicité ». Le Conseil d'État est venu juger différemment que « Le juge ne peut se fonder, sans inviter les parties à présenter leurs observations, sur la situation de compétence liée dans laquelle se trouve l'administration s'il ne ressort ni des termes de la décision attaquée, ni des pièces du dossier que l'administration estimait être dans une telle situation » dans la décision commune de Saint-Denis d’Oléron (15 décembre 2016, no 389141) et Benoit Bohnert, dans ses conclusions a estimé qu’en l’espèce « la question de la compétence liée du maire […] n’a pas été débattue devant les premiers juges » et qu’ « elle ne saurait se déduire du seul visa de la délibération du conseil municipal dans la décision » pour proposer l’annulation du jugement du tribunal qui n’avait pas communiquer aux parties le moyen. La décision commune de Saint-Denis d’Oléron constitue un revirement de jurisprudence par rapport à la décision G. qui estimait que le moyen n’était pas d’ordre public. Vous le savez, un moyen est ou n’est pas d’ordre public, indépendamment de des diverses conditions de son impérative soumission au contradictoire des parties.
Dans le doute quant à la détermination de la situation dans laquelle vous vous trouvez au sujet du respect du caractère contradictoire de la procédure, vous avez sagement choisi de communiquer aux parties le moyen d’ordre public tiré de la compétence liée du maire. Vous avez bien fait, car la question n’est pas débattue par les parties devant vous et ne l’a pas été davantage en première instance où la commune n’a fait état de ce que le maire était tenu de refuser le permis qu’en conséquence de l’application, qu’elle invoquait à titre subsidiaire en guise de motif de substitution, des dispositions de l’article L. 111‑11 relatives aux raccordements aux réseaux publics, c’est-à-dire sur un tout autre point de droit constituant un autre moyen. Et si elle se déduit des motifs de la décision cette compétence liée, ce n’est peut‑être que trop indirectement, eu égard au caractère impératif des dispositions du PPRI qu’a entendu opposer le maire sans avoir à porter une quelconque appréciation au sens de la jurisprudence Montaignac, à la différence de l’hypothèse plus simple où la motivation aurait fait expressément mention de la situation de compétence liée ou indiqué que le maire était tenu de prendre la décision. Ce moyen n’a donc pas été soumis au contradictoire avant que vous le souleviez d’office et le communiquiez.
Vous pourrez désormais vous y fonder pour estimer que pour ce seul motif, la commune de Mallemort est fondée à soutenir que c’est à tort que les Tribunal a annulé le refus de permis.
Pour le second motif, vous ne pourrez évidemment pas déduire de la seule interdiction d’implanter une nouvelle construction dans le secteur posée par le PPRI une absence d’erreur d'appréciation du maire sur le fondement du R. 111‑2 du code de l'urbanisme d’autant, vous le savez, qu’une telle erreur d’appréciation doit être retenue lorsque le permis aurait pu être délivré assorti de prescription spéciales, en application de la jurisprudence Deville (Conseil d'État, 26 septembre 2019, no 412429, A). Mais il pourra toutefois s’agir d’un élément parmi d’autres permettant d’apprécier l’existence d’un risque pour la sécurité publique, votre rédaction devra prudemment prendre bien soin de ne pas prêter à confusion et ne pas permettre de vous suspecter d’avoir fait application du règlement du PPRI. Le Conseil d'État a déjà accepté qu’une appréciation portée sur le fondement du R. 111-2 puisse tenir compte du classement retenu de la parcelle en cause au PPRI (voyez à l’égard d’un arrêt de notre cour, Conseil d'État, 16 novembre 2020, Cne de Roquefort-les-Pins, no 433370).
Ici, le terrain se trouve dans une zone inondable, cartographiée comme telle dans l’étude hydraulique portée à la connaissance de la commune par le préfet, exposée à un risque modéré prenant la forme de hauteurs d’eau pouvant atteindre un mètre et une vitesse de 0,5 mètre/seconde, ce qui n’est pas négligeable et a justifié que l’ensemble des études préalables à l’approbation du PPRI aient conduit les services de l’État, au regard dudit risque, à interdire toute construction nouvelle dans le secteur. La parcelle se trouve en outre à l’extrémité du hameau de Bremejean et non au cœur des parties urbanisées, au sein d’une plaine agricole. Certes, comme l’a relevé le tribunal, le projet prévoit la surélévation du plancher à une hauteur de 1 mètre au-dessus du niveau du terrain naturel mais cette caractéristique du projet, ce niveau refuge, ne pourra que réduire le risque d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens en cas d’inondation, pas le prévenir. L’appréciation du juge en matière de sécurité publique, eu égard aux enjeux humains et matériels qui s’y rattachent, mérite l’appréhension la plus concrète possible des conséquences éventuelles de la réalisation du risque : Outre l’imperméabilisation supplémentaire du secteur qu’entrainera nécessairement la construction de la villa et l’entrave qu’elle représentera au libre écoulement de l’eau, participant à l’aggravation de sa situation globale, les véhicules stationnés sur le terrain, le mobilier extérieur, les parties basses des façades de la construction, les clôtures, certains végétaux d’ornement et tout autre bien matériel qui ne serait pas disposé au-dessus du niveau refuge seraient exposés à une dégradation ou une destruction en cas de forte crue. Il serait difficile pour ses occupants de rejoindre leur habitation en cas de crue et s’ils se trouvaient déjà sur place, pris au piège au niveau refuge de la villa entourée d’un mètre d’eau et privée d’eau potable, de chauffage et d’électricité, leur situation contraindrait les secours, déjà de plus en plus sollicités durant les crues à répétition qu’entrainent les bouleversements climatiques que chacun aura constaté, à mobiliser des moyens matériels et humains, les exposant à différents risques, pour leur venir en aide. Tout cela représenterait évidemment aussi un coût financier, notamment pour la collectivité et les assureurs. Ce pourrait même justifier une action en responsabilité du bénéficiaire du permis contre le maire qui a accepté sa délivrance en zone inondable. Et les éléments nouveaux tirés notamment de l’avancée de l’élaboration du PPRI, de ses études et de ses conclusions, intervenues entre temps mais relatifs à la situation de fait antérieure vous permettent de porter une appréciation différente de celle retenue par le juge à l’occasion de l’examen du premier refus. Nous n’avons donc pas vu d’erreur d'appréciation du maire qui aurait pris la même décision s’il s’était fondé sur ce seul motif. Si vous nous suivez, il ne sera donc pas nécessaire d’examiner la demande de substitution de motif présentée par la commune.
Par ces motifs, nous concluons à l’annulation du jugement et au rejet des demandes présentées par Mme P. et du surplus des conclusions des parties.
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